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— Prestimion ! hurla-t-il en martelant la porte qui venait de lui claquer au nez. Prestimion ! Soyez maudit !

9

Il n’était pas courant de voir des voyageurs approcher du Château par la route du nord-ouest qui passait par l’arrière du Mont en traversant la Cité Haute de Huine avant de rejoindre la voie connue sous le nom de Route de Stiamot, large mais mal entretenue, ancienne et défoncée, qui donnait accès au Château par la Porte de Vaisha, rarement utilisée. L’itinéraire habituel traversait la Plaine de Bombifale qui s’élevait en pente douce jusqu’à High Morpin avant de suivre sur les quinze derniers kilomètres la route de Grand Calintane, bordée de champs perpétuellement en fleurs, qui se terminait sur la place Dizimaule, l’entrée principale du Château.

Mais, ce jour-là, il y avait du monde sur la route du nord-ouest : un petit groupe de véhicules, au nombre de quatre, avançant lentement. Celui qui ouvrait la marche du convoi avait une forme particulièrement bizarre. Une vision d’une étrangeté sans pareille pour le jeune capitaine de la garde à qui incombait la corvée de surveillance de la porte de Vaisha ; il en demeura bouche bée en découvrant le véhicule, sept ou huit lacets en contrebas, sur la route sinueuse. Il resta un moment pétrifié, doutant du témoignage de ses sens. Un énorme chariot à plateau, de très ancienne fabrication, si large qu’il occupait tout l’espace de la Route de Stiamot, d’un accotement à l’autre, enveloppé dans un mur de lumière à la surface ondulante, émettant de froides et blanches pulsations, chargé de monstres entraperçus, à demi cachés par le bouclier lumineux d’une éblouissante blancheur…

Originaire d’Amblemorn, au pied du Mont du Château, le capitaine de la garde en poste à la Porte de Vaisha avait vingt ans. Sa formation ne l’avait absolument pas préparé à affronter une situation de ce genre. Il se tourna vers son subordonné, un jeune homme de Pendiwane, une cité des plaines de la Vallée de la Glayge.

— Qui est l’officier de jour ? demanda-t-il.

— Akbalik.

— Va le chercher, vite. Dis-lui que sa présence est exigée ici.

Le jeune homme s’éloigna au pas de course. Mais trouver quelqu’un – même l’officier de jour, censé être aisément accessible – dans l’inextricable labyrinthe que constituait le Château n’était pas chose facile. Une trentaine de minutes s’écoulèrent avant qu’il revienne, Akbalik sur ses talons. Le chariot à plateau s’était déjà arrêté sur la vaste esplanade de gravier qui s’étendait devant la porte ; les trois flotteurs qui l’avaient escorté pendant l’ascension du Mont étaient garés à côté ; le jeune capitaine d’Amblemorn se trouvait dans la situation invraisemblable de faire face, l’épée tirée, au formidable guerrier qu’était Gialaurys, le Grand Amiral du royaume. Une demi-douzaine d’hommes à l’air revêche, les compagnons de Gialaurys, déployés derrière lui, se tenaient en position de combat.

Akbalik, le neveu du prince Serithorn, un homme fort respecté pour son robuste bon sens et sa fermeté de caractère, saisit instantanément la situation. Un coup d’œil stupéfait au chargement du chariot lui suffit.

— Vous pouvez baisser votre arme, Mibikihur, ordonna-t-il sèchement au jeune capitaine. Ne reconnaissez-vous pas l’Amiral Gialaurys ?

— Tout le monde connaît le seigneur Gialaurys. Mais regardez ce qu’il amène ! Il n’a pas d’autorisation pour faire entrer des animaux sauvages dans le Château. Même le seigneur Gialaurys a besoin d’une autorisation pour franchir la porte avec un plein chariot de ces choses !

Akbalik tourna le regard froid de ses yeux gris vers le chariot. Jamais il n’avait vu un véhicule de cette dimension. Jamais non plus il ne lui avait été donné de voir des créatures comme celles qu’il transportait.

Il était difficile de les distinguer derrière le rideau éclatant d’énergie encerclant totalement le chariot, destiné à les empêcher de sortir ; un rideau qui ressemblait à un éclair en nappe s’élevant du sol, mais un éclair qui serait resté sur place. Akbalik crut discerner à l’intérieur du véhicule d’autres murs d’énergie, plus petits, qui séparaient les animaux les uns des autres. Ces animaux… des monstres hideux, répugnants !…

Gialaurys semblait hors de lui. Les poings serrés, ses grands bras bosselés de muscles dont il avait de la peine à maîtriser les contractions, il avait sur le visage une expression de rage à faire fondre la pierre.

— Où est Septach Melayn, Akbalik ? Je l’avais fait prévenir pour qu’il m’attende à la porte ! Pourquoi êtes-vous là et pas lui ?

— Je suis là parce qu’un garde est venu me chercher, Gialaurys, répondit Akbalik, imperturbable. On m’a annoncé qu’un chariot rempli de monstres des plus étranges s’approchait du Château ; mes hommes n’avaient pas été prévenus et ils voulaient savoir ce qu’il fallait faire… Par la Dame, Gialaurys, que sont ces animaux ?

— Des animaux de compagnie pour distraire le Coronal. Je les ai capturés dans la région de Kharax. Ni vous ni quiconque n’a dans l’immédiat à en savoir plus… Septach Melayn aurait dû m’accueillir à cette porte ! Mon chargement doit être placé en sécurité et je lui avais demandé de prendre les dispositions nécessaires. Je pose encore une fois la question, Akbalik, où est Septach Melayn ?

— Septach Melayn est ici, lança d’une voix tranquille et désinvolte l’escrimeur qui arrivait au même moment à la porte du Château. Ton message a mis du temps à me parvenir, Gialaurys, et je suis passé par erreur par le Parapet de Spurifon, ce qui m’a quelque peu retardé.

Il s’avança d’un pas nonchalant vers Gialaurys et lui donna une petite tape affectueuse sur l’épaule en manière de salut. Puis il se tourna vers le chariot.

— C’est ce qui infestait la région de Kharax ? demanda-t-il d’une voix étranglée. C’est ça, Gialaurys ?

— Oui. Il y en avait des centaines en liberté dans la Plaine de Kharax. Une rude et sanglante tâche, mon ami, de traquer ces animaux et de les abattre. Notre Coronal me doit une fière chandelle… Mais as-tu trouvé un endroit pour loger mes charmants compagnons, Septach Melayn. Un endroit très sûr ? Ce sont quelques spécimens des espèces que j’ai rencontrées là-bas.

— Oui, j’ai trouvé quelque chose. Dans les écuries royales. Mais crois-tu que ton chariot pourra franchir cette porte ?

— Celle-ci, oui, répondit Gialaurys. Pas celle de Dizimaule ; c’est la raison pour laquelle je suis arrivé par ce côté du Château. Allez-y ! lança-t-il à ses hommes.

Faites-moi avancer ce chariot ! Qu’on entre dans le Château sans perdre de temps ! Dans le Château !

Une heure fut nécessaire pour transporter les animaux jusqu’à l’abri que Septach Melayn leur avait préparé et pour les y installer, chacun dans une cage, derrière de solides barreaux qu’il ne serait pas facile d’écarter. Septach Melayn avait trouvé dans une aile désaffectée des écuries un vaste local souterrain, au-dessous de l’antique Tour des Trompettes, qui avait dû être utilisé pour loger des montures royales un ou deux milliers d’années auparavant, au temps de lord Spurifon ou de lord Scaul, quand cette partie du Château était beaucoup plus fréquentée. Des artisans travaillant avec célérité l’avaient transformé sous la direction de Septach Melayn en lieu de détention pour les charmants spécimens de Gialaurys.

Quand l’opération fut terminée, Gialaurys et Septach Melayn congédièrent Akbalik et ceux qui les avaient aidés ; ils restèrent seuls avec les animaux. Septach Melayn contempla avec un mélange de stupéfaction et d’horreur les sinistres créatures qui s’agitaient dans leur cage en soufflant bruyamment.