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— Le Divin m’a guidé en cette occasion, cousin. Vous n’étiez pas destiné à devenir Coronal.

— Et vous, Prestimion ?

— Lord Confalume, au moins, le pensait. Des milliers d’hommes de qualité ont péri pour soutenir son choix. Ils seraient encore en vie aujourd’hui sans vos scélératesses.

— Suis-je donc un scélérat ? Si tel est le cas, il en va de même pour Korsibar et son mage Sanibak-Thastimoon. Sans parler de votre amie, la princesse Thismet.

— La dame Thismet a vécu assez longtemps pour comprendre qu’elle s’était fourvoyée et a amplement fait la preuve de son repentir, répliqua sèchement Prestimion. Sanibak-Thastimoon a reçu son châtiment sur le champ de bataille, des mains de Septach Melayn. Quant à Korsibar, il était sa dupe ; de toute façon, il a quitté ce monde. De tous les instigateurs de l’insurrection, cousin, vous êtes le seul à pouvoir réfléchir à la stupidité, à la vilenie, au gâchis honteux de votre infâme entreprise. Faites-le maintenant : l’occasion vous en est donnée.

— La stupidité, Prestimion ? La vilenie ? Le gâchis ?

Dantirya Sambail partit d’un gros rire bruyant.

— La stupidité fut vôtre et quelle stupidité ! Pour la vilenie et le gâchis, vous n’avez à vous en prendre qu’à vous-même ; je n’y suis pour rien. Vous parlez d’insurrection ? Vous vous en êtes rendu coupable, pas Korsibar. C’était Korsibar le Coronal ! Il avait été sacré dans ce Château ; il occupait le trône ! Mais vous avez délibérément choisi, vous et vos deux acolytes, de déclencher une rébellion qui a coûté la vie à tant d’hommes qu’on ne saurait les compter !

— Vous le croyez sincèrement ?

— Je ne dis rien d’autre que la vérité.

— Je ne veux pas aborder la question de la légitimité, Dantirya Sambail. Vous savez aussi bien que moi que le fils d’un Coronal ne succède pas à son père. Korsibar s’est emparé du trône à votre instigation et Sanibak-Thastimoon a usé de ses pouvoirs pour mettre Confalume en état d’hypnose et lui faire accepter la situation.

— Il eût été préférable, Prestimion, que vous laissiez les choses en l’état. Korsibar était un imbécile, mais il n’aimait pas la complication et aurait dirigé les affaires publiques comme il convient ou du moins aurait laissé ceux qui savent le faire les diriger comme il convient, sans leur mettre de bâtons dans les roues. Alors que vous, résolu à mettre votre empreinte sur la moindre petite chose, résolu à votre manière pathétique et puérile à devenir un Grand Coronal Qui Restera Dans l’Histoire, vous ne réussirez qu’à précipiter la planète dans le désastre et la ruine en cherchant systématiquement à…

— Suffit, coupa Prestimion. Je comprends parfaitement comment vous auriez aimé que la planète soit dirigée. Et j’ai consacré plusieurs années éprouvantes de ma vie à m’assurer qu’il n’en irait pas ainsi. Vous n’avez pas le moindre remords, n’est-ce pas, Dantirya Sambail ?

— Du remords ? De quoi ?

— Très bien. Vous venez de vous condamner vous-même. Je vous déclare en conséquence coupable de haute trahison et vous condamne…

— Coupable ? Est-ce là votre idée d’un procès ? Où est mon accusateur ? Qui assure ma défense ? Y a-t-il un jury ?

— Je suis votre accusateur. Vous avez choisi de ne pas vous défendre et personne d’autre ne le fera. Nous n’avons pas besoin d’un jury, mais, si vous y tenez, je peux faire venir Septach Melayn et Gialaurys.

— Très amusant. Et qu’envisagez-vous, Prestimion : de me faire trancher la tête sur la place Dizimaule, devant un grand concours de peuple ? À n’en pas douter, cela vous fera entrer dans l’Histoire ! Une exécution publique, la première en… combien ? Dix mille ans ? Suivie, naturellement, par une guerre civile, quand toute la population courroucée de Zimroel se dressera contre le Coronal tyrannique qui a osé mettre à mort le Procurateur légitime de Ni-moya pour des raisons qu’il sera totalement incapable d’expliquer.

— Je devrais vous mettre à mort, en effet, et au diable les conséquences ! Mais ce n’est pas mon intention ; je n’ai pas en moi la barbarie nécessaire. Je vous pardonne les crimes capitaux dont vous êtes coupable, Dantirya Sambail, poursuivit Prestimion, le regard perçant. Mais vous serez déchu de votre titre de Procurateur et privé jusqu’à la fin de vos jours de toute autorité au-delà des limites de votre propre domaine, même si je vous laisse vos terres et votre fortune.

— C’est très généreux à vous, Prestimion, fit Dantirya Sambail en le regardant à travers ses paupières mi-closes.

— Ce n’est pas tout, cousin. Votre âme est un cloaque de pensées ignobles. Cela doit changer et cela changera avant que je vous permette de quitter le Château et de regagner l’autre continent… Croyez-vous, Maundigand-Klimd, qu’il soit possible d’agir sur l’esprit de cet homme afin de faire de lui un citoyen plus aimable ? De le débarrasser de la colère, de l’envie et de la haine qui sont en lui comme je viens de le déposséder de sa charge et de son pouvoir, pour faire de lui une personne convenable ?

— Pour l’amour du Divin, Prestimion ! rugit Dantirya Sambail. Je préférerais qu’on me tranche la tête !

— Je vous crois volontiers. Vous ne vous reconnaîtrez pas quand tout votre venin vous aura été retiré. Qu’en pensez-vous, Maundigand-Klimd ? Est-ce possible ?

— Oui, monseigneur, je crois que c’est possible.

— Bien. Mettez-vous à l’œuvre, aussi vite que possible. Effacez les souvenirs de la guerre civile que vous venez de lui rendre, maintenant qu’il a vu que ce qu’il a fait mérite la sentence que je viens de prononcer – faites-le tout de suite, sans perdre un moment – puis faites ce qu’il faudra pour le rendre apte à vivre dans une société civilisée. Je vais partir très bientôt, vous le savez, pour me rendre à Peritole, à Strave et dans quelques autres cités du Mont. Je veux que cet homme soit rendu inoffensif et que ce soit fait sans tarder. À mon retour, Dantirya Sambail, nous aurons une nouvelle conversation et si je décide à ce moment-là que je peux prendre le risque de vous rendre la liberté, eh bien, vous serez libre ! N’est-ce pas généreux, cousin ? N’est-ce pas clément ? N’est-ce pas charitable ?

12

Ce n’était pas un Grand Périple, pas au sens strict du terme, car cela eût impliqué qu’il se montre dans les régions les plus reculées du royaume, non seulement les cités d’Alhanroel, mais celles des autres continents, des lieux qu’il ne connaissait que d’une manière très vague : Pidruid, Narabal et Til-omon sur la côte la plus éloignée de Zimroel, Tolaghai et Natu Gorvinu, au moins, sur le continent aride de Suvrael. Un voyage qui durerait plusieurs années. Son règne avait commencé depuis trop peu de temps pour qu’il s’autorise une absence prolongée du Château.

Non, pas un Grand Périple, juste une visite d’État dans une poignée de cités voisines. Mais le cortège n’en était pas moins imposant. Le Coronal sortit par la porte Dizimaule et s’engagea sur la route de Grand Calintane à bord du premier d’une longue file de luxueux flotteurs royaux, accompagné par ses frères Abrigant et Teotas, et la moitié des hauts fonctionnaires de la nouvelle administration, le Grand Amiral Gialaurys, les Conseillers Navigorn d’Hoikmar, Belditan le jeune de Gimkandale, Yegan de Low Morpin, Dembitave, le duc de Tidias, le parent de Septach Melayn et bien d’autres encore. Septach Melayn était resté au Château pour exercer la régence : il avait semblé plus sage de ne pas laisser ce lieu privé de toutes ses figures de premier plan, même pour les quelques semaines que devait durer le voyage.