Выбрать главу

— Tout est prêt, monseigneur.

Une escorte de princes du royaume l’accompagna jusqu’à la salle des banquets. Les deux nobles du plus haut rang – le duc Oljebbin de Stoienzar, le Haut Conseiller sortant, et le prince Serithorn de Samivole, fabuleusement riche – ouvraient la marche, juste devant le prince Gonivaul de Bombifale, le Grand Amiral de Majipoor, à la démarche solennelle. Ces trois hauts personnages, au cours de la guerre civile, avaient mis leur considérable influence au service de Korsibar, mais ils n’en avaient pas gardé le souvenir. Prestimion estimait avoir tout à gagner à leur pardonner cette trahison devenue sans effet et à les traiter avec le respect dû à des hommes de leur position. Septach Melayn marchait à la droite de Prestimion, l’énorme et imposant guerrier Gialaurys à sa gauche. Le Coronal était suivi par ses deux frères cadets survivants : le jeune et impétueux Tetoas et le grand et véhément Abrigant. Le troisième, Taradath, rusé et réfléchi, avait péri à la guerre, dans la désastreuse bataille de la vallée du Iyann, où les troupes de Korsibar avaient fait sauter le barrage de Mavestoi, engloutissant plusieurs milliers d’hommes de Prestimion sous une muraille liquide.

Le banquet du couronnement, comme le voulait la coutume, était donné dans la Grande Salle des Fêtes, dans l’aile Tharamond du Château. Encore plus vaste que la Salle Hendighail et bien mieux située, elle était, malgré ses dimensions gigantesques, incapable de contenir la foule des invités, les princes, les ducs et les comtes de centaines de cités également représentées par leur maire et les divers membres de la noblesse du Château, les descendants de dizaines de Coronals et de Pontifes du passé. Mais lord Tharamond, l’un des plus ingénieux bâtisseurs parmi les nombreux Coronals ayant marqué le Château de leur empreinte, avait conçu les choses de telle sorte que ce vaste espace donnait sur une rangée d’autres salles de banquets, cinq, huit, dix pièces de moindres dimensions en enfilade dont les portes communicantes pouvaient s’ouvrir pour former une salle unique à l’échelle gigantesque de la planète. Dans chacune de ces pièces les invités du banquet du couronnement étaient placés selon les critères soigneusement pesés de l’étiquette.

Prestimion n’avait guère d’inclination pour le faste des solennités. Simple, sans prétention, pragmatique et efficace, il n’avait nul désir d’autoglorification. Mais il comprenait parfaitement l’importance du cérémonial. Le peuple attendait de lui de grandioses fêtes du couronnement ; il répondrait à ses aspirations. Après la cérémonie du sacre qui venait de se dérouler, le grand banquet allait avoir lieu. Le lendemain, il s’adresserait à l’assemblée des gouverneurs des provinces, le surlendemain s’ouvriraient les jeux traditionnels du couronnement – la joute, la lutte, le tir à l’arc et les autres épreuves. À l’issue des jeux, les fêtes du couronnement s’achèveraient et Prestimion s’attellerait à la lourde tâche du gouvernement de la planète géante de Majipoor.

Le banquet lui sembla durer dix mille ans.

Après avoir étreint le vieux Confalume sur sa poitrine, Prestimion le conduisit à la place d’honneur qui lui était réservée sur l’estrade. Encore robuste et solidement charpenté dans la huitième décennie de sa vie, le Coronal avait pourtant beaucoup perdu en vigueur et en vivacité par rapport à l’héroïque Confalume d’antan. Son fils et sa fille avaient péri dans la guerre civile ; il n’en avait bien sûr aucunement conscience, ni même que Korsibar et Thismet eussent jamais existé. Mais une sensation de vide dans son âme, l’absence de quelque chose qui aurait dû s’y trouver transparaissaient ces derniers temps dans l’expression brouillée de son regard.

Prestimion se demanda s’il avait jamais soupçonné la vérité. Lui ou un autre. Quelqu’un – fut-il un grand seigneur du royaume ou un humble fermier – avait-il découvert fortuitement un pan de la réalité enfouie sous les faux souvenirs implantés dans son esprit et s’était-il trouvé plongé dans un grand désarroi ? Si tel était le cas, nul n’avait cru bon de se manifester. Et nul ne le ferait probablement jamais. Même si le sortilège qui avait changé l’histoire de Majipoor devait souffrir quelques exceptions, Prestimion supposait que c’était le genre de chose que l’on préférerait taire, de crainte de passer pour un fou. Du moins l’espérait-il vivement.

Une autre place d’honneur sur la longue estrade revenait à la mère de Prestimion, la vive et pétillante princesse Therissa qui, en raison de l’accession de son fils au trône, porterait bientôt le titre de Dame de l’île du Sommeil et aurait la charge de la machinerie permettant de dispenser conseils et réconfort aux citoyens de Majipoor à la faveur de la nuit. Elle avait à ses côtés l’imposante Kunigarda, la sœur de Confalume, qui avait occupé la charge de Dame de l’île au long du règne de son frère et s’apprêtait maintenant à mettre un terme à ses fonctions. Il y avait aussi les membres du Conseil, au nombre desquels figuraient Septach Melayn et Gialaurys. Au bout de la table avaient pris place le grand mage Gominik Halvor de Triggoin et son fils Heszmon Gorse qui souriaient pensivement. Ces sourires, Prestimion le savait, indiquaient qu’il était leur obligé : malgré le peu d’attirance qu’il avait pour la sorcellerie et les autres phénomènes ésotériques, il ne pouvait nier l’importance que la maîtrise de la magie des deux hommes avait eue dans sa conquête du trône.

Prestimion les salua à tour de rôle et leur souhaita cérémonieusement la bienvenue à ce banquet donné en son honneur.

Quand il eut pris place sur l’estrade et avant que la nourriture soit servie, ce fut au tour des nobles de haute naissance mais de second rang de venir lui rendre hommage. Les grands seigneurs s’approchèrent humblement pour féliciter Prestimion et l’assurer de leurs espoirs pour l’ère nouvelle qui s’ouvrait.

La cérémonie proprement dite put enfin commencer. Sonneries de cloches. Prières et incantations. Interminable suite de toasts. Prestimion ne fit que tremper les lèvres dans son verre de vin, prenant soin de ne pas paraître discourtois mais décidé à ne pas trop boire pendant cette éprouvante soirée.

On servit enfin le repas. Un cortège de mets raffinés en provenance de toutes les régions de la planète, préparés par les cuisiniers les plus talentueux. Prestimion mangea du bout des dents. Puis on déclama des poèmes : les vers puissants du Livre des Changements, la grande œuvre épique de Furvain, long récit de la victoire sur les Changeformes, la population aborigène, par le quasi mythique lord Stiamot, précédèrent la récitation du Livre des Puissances, des Hauteurs du Mont du Château et de bien d’autres sagas des Pontifes et des Coronals des siècles passés.

Après le dîner vint l’heure des chants. Des milliers de voix s’élevant pour scander les hymnes antiques. Prestimion ne put retenir un petit rire en entendant la basse rocailleuse de Gialaurys mêlée à la voix de ses voisins.

Il y eut encore d’autres rites ancestraux prescrits par une tradition poussiéreuse. La présentation solennelle de l’écu du Coronal, portant une constellation d’argent rehaussée de rayons d’or, puis l’imposition solennelle des mains de Prestimion sur l’écu. Après quoi, Confalume se leva pour prononcer un long discours et donner sa bénédiction à Prestimion en l’étreignant solennellement devant toute l’assemblée. Puis ce fut le tour de la Dame Kunigarda qui remit à la princesse Therissa le diadème de la Dame de l’île. Et ainsi de suite, interminablement. Prestimion supporta patiemment le tout, mais il dut prendre sur lui-même.