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Qu’ils suivent mon rythme s’ils le peuvent. Ils seraient les premiers à y parvenir !

— Ha ! s’écria-t-il. Oui !

Avec un petit grognement de plaisir, il transperça la gorge du balafré, le plus près de la fenêtre, avant de pivoter brusquement pour plonger la pointe de la rapière dans le ventre de son voisin au foulard rouge, qui eut l’obligeance de tomber lourdement sur le troisième, d’une laideur frappante, l’obligeant à tourner le dos juste assez longtemps pour que Septach Melayn le touche au cœur en traversant la cage thoracique.

— Ah ! ah ! Et voilà !

Et de trois ! C’était une danse, une démonstration pure et simple. Les deux derniers tentèrent de porter une attaque simultanée, mais Septach Melayn était beaucoup trop rapide pour eux ; une feinte sur la gauche et la lame de la rapière traversa le ventre du premier de part en part ; en baissant l’épaule et en fléchissant le genou gauche, il esquiva le coup du dernier assaillant et retira dans le même mouvement la lame du corps de sa dernière victime, puis il poussa un cri de triomphe en pivotant prestement et…

On frappa à la porte.

— Seigneur Septach Melayn ! fit une voix dans le couloir, Tout va bien, seigneur ?

La barbe ! C’était ce vieux gâteux de Nilgir Sumanand, l’aide de camp et le majordome de Prestimion.

— Évidemment que tout va bien ! cria Septach Melayn. Qu’est-ce que vous imaginez ?

Il reprit en hâte sa place au bureau, cacha sa rapière près de ses pieds. Il passa la main dans ses cheveux pour remettre en place une mèche folle.

Il se pencha sur la Résolution n°1279, feignant de l’étudier avec la plus profonde attention.

Nilgir Sumanand passa la tête dans l’embrasure de la porte.

— J’ai cru vous entendre parler à quelqu’un, mais je savais qu’il n’y avait personne. Et il y a eu des cris, du moins c’est ce qu’il m’a semblé ; d’autres bruits aussi. Des pas, comme si quelqu’un se déplaçait rapidement dans la pièce. On aurait dit une bagarre… Mais je vois qu’il n’y a personne d’autre que vous. Que la grâce du Divin soit sur vous, seigneur Septach Melayn ! Mon imagination a dû me jouer des tours.

Pas du tout, se dit Septach Melayn en faisant d’un regard désabusé le tour de la pièce. Il avait encore devant les yeux l’amoncellement de corps couverts de sang de ses assaillants, mais il était seul à les voir.

— Ce que vous avez entendu, fit-il, était le régent du royaume en train de prendre un peu d’exercice. Je ne suis pas habitué à une vie si sédentaire. Je me lève toutes les heures pour faire de la gymnastique, vous me suivez ? Pour ne pas me rouiller. Je feinte et je me fends, je fais travailler mon poignet, mon bras et mon œil… Que vouliez-vous, Nilgir Sumanand ?

— Votre rendez-vous de midi est arrivé.

— De quoi s’agit-il ?

— Eh bien, répondit Nilgir Sumanand, légèrement déconcerté, c’est pour la transmutation des métaux, vous savez… Vous avez dit il y a trois jours que vous preniez rendez-vous aujourd’hui, à midi.

— Ah oui ! Cela me revient maintenant. Encore une corvée !

C’était l’alchimiste, l’homme qui prétendait fabriquer du fer à partir du charbon de bois. Un entretien assommant en perspective, se dit Septach Melayn, l’air revêche. C’était l’idée d’Abrigant, pas celle de Prestimion. Comme s’il ne suffisait pas qu’il fasse le boulot du Coronal ; on lui demandait de s’occuper aussi des affaires d’Abrigant qui avait accompagné son frère dans l’Est, bien sûr. Comme personne ne savait quand ils seraient de retour, toutes sortes d’affaires bizarres revenaient à Septach Melayn en leur absence. Celle-ci semblait hautement fantaisiste, cette idée de transformer du simple charbon de bois en un métal précieux. Mais il s’était engagé à accorder un peu de son temps à l’alchimiste.

— Faites-le entrer, Nilgir Sumarand.

Le majordome s’effaça pour laisser passer le visiteur.

— Je salue le grand seigneur Septach Melayn, fit-il avec une politesse obséquieuse en exécutant une profonde et maladroite révérence.

Septach Melayn ne put retenir un mouvement de recul. L’homme qui se tenait devant lui était un Hjort. Il ne s’attendait pas à cela : un Hjort courtaud et ventru, à l’œil luisant et globuleux comme celui d’un poisson déplaisant, à la peau grise et terne couverte de pustules lisses et arrondies de la taille d’un galet. Septach Melayn n’aimait pas les Hjorts. Il savait que ce n’était pas bien, que les Hjorts étaient des citoyens à part entière, le plus souvent d’honnêtes citoyens et qu’ils n’y pouvaient rien s’ils avaient cette apparence hideuse. Il devait y avoir quelque part dans l’univers une planète peuplée de Hjorts dont les habitants l’auraient certainement trouvé hideux. Mais il se sentait mal à l’aise dans leur compagnie ; ils l’irritaient. Celui-ci, resplendissant dans un pantalon rouge ajusté, un pourpoint vert d’eau aux parements écarlates et une cape courte de velours pourpre, semblait s’enorgueillir de sa propre laideur. Il ne semblait pas particulièrement intimidé de se trouver dans le bureau du Coronal ni en présence du Haut Conseiller Septach Melayn.

En tant que citoyen privé de noble extraction, Septach Melayn pouvait penser ce qu’il voulait des colons venus d’autres planètes. Mais en sa qualité de régent du royaume de Majipoor, il était tenu de traiter avec le même respect les citoyens de toute origine, qu’ils fussent des Hjorts ou des Skandars, des Vroons ou des Lii, des Su-Suheris, des Ghayrogs ou autre chose. Il accueillit courtoisement le Hjort – il avait nom Taihjorklin – et lui demanda d’exposer le détail de ses recherches, étant donné qu’Abrigant ne lui en avait pas dit grand-chose.

Le Hjort frappa dans ses mains aux doigts boudinés ; deux assistants apparurent – des Hjorts aussi –, poussant une grande table roulante sur le plateau de laquelle était entassé un assemblage d’instruments, de cartes, de parchemins et de matériel varié. Il semblait s’être préparé à une démonstration approfondie.

— Vous devez comprendre, seigneur, que tout est intimement lié et se sépare, et que si l’on parvient à pénétrer le rythme de la séparation, on est en mesure de reproduire la liaison intime. Car le ciel donne et la terre reçoit ; les étoiles donnent et les fleurs reçoivent ; l’océan donne et la chair reçoit. Le mélange et la combinaison sont des aspects de la grande chaîne de l’existence ; l’harmonie des étoiles et l’harmonie de…

— Oui, coupa Septach Melayn, le prince Abrigant m’a expliqué ces théories philosophiques. Ayez l’obligeance de me montrer comment vous vous y prenez pour transmuer le charbon de bois en métal.

Le Hjort sembla à peine déconcerté par la brusquerie de Septach Melayn.

— Nous avons abordé notre œuvre en utilisant différentes techniques scientifiques, à savoir la calcination, la sublimation, la dissolution, la combustion et le mélange d’élixirs. Je suis disposé, si tel est votre désir, à vous donner tous les détails sur l’efficacité respective de chacune de ces techniques.

N’entendant rien, il poursuivit en choisissant les éléments appropriés sur le plateau.

— Toute substance, vous ne l’ignorez pas, est composée de métal et de métalloïde dans des proportions variables. Notre tâche consiste à augmenter la proportion de l’un en réduisant la proportion de l’autre. Dans ce processus, nous employons comme catalyseurs des eaux corrosives et ardentes. Nos principaux réactifs sont le vitriol vert, le soufre, l’orpiment et un large groupe de sels actifs, essentiellement le sel ammoniac et le sel hépatica, mais il y en a beaucoup d’autres. La première étape, seigneur, est la calcination, la réduction des substances utilisées à un corps élémentaire. Elle est suivie par la solution, l’action de la liqueur distillée sur les substances sèches, après quoi nous effectuons la séparation, puis la conjonction…