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— Et à son retour, reprit-il après un très court silence, que va-t-il se passer ? D’autres affaires personnelles l’entraîneront-elles ailleurs ?

— Pas à ma connaissance. Est-ce une source de grande inquiétude pour le Pontife de savoir lord Prestimion si souvent absent ?

— De grande inquiétude ? répéta Vologaz Sar d’un ton détaché. Oh ! non, ce n’est pas le terme exact.

— Alors… ?

Il y eut un moment de silence. Septach Melayn se cala dans son fauteuil et attendit, le visage impassible, que le représentant du Pontife en vienne au but de sa visite.

— L’idée d’une visite de lord Prestimion au Labyrinthe pour présenter ses respects à Sa Majesté Impériale a-t-elle fait l’objet de discussions ? reprit Vologaz Sar avec une insistance infime mais perceptible.

— Elle est à l’ordre du jour, bien sûr.

— Avec une date précise ? si je puis me permettre de poser la question.

— Elle n’est pas encore fixée, répondit Septach Melayn.

— Ah ! Je vois.

Vologaz Sar prit pensivement une gorgée de vin.

— C’est une tradition séculaire, vous le savez, que le nouveau Coronal aille rendre visite au Pontife dans les premiers temps de son règne. Pour recevoir sa bénédiction officielle et présenter les projets de loi qu’il pourrait avoir en vue. Cette tradition a peut-être été négligée, depuis tant d’années que le dernier changement parmi les Puissances du Royaume a eu lieu.

Tout en restant cordial et badin, le ton du légat se fit insensiblement plus grave, plus austère.

— N’oublions pas que le Pontife est le monarque suprême, reprit-il, et, bien sûr, d’une manière théorique, qu’il est aussi le père du Coronal… Le duc Oljebbin m’a donné à entendre que Confalume a fait ces derniers temps plusieurs remarques sur le fait qu’il n’a eu jusqu’à présent que très peu de contacts de quelque nature que ce soit avec lord Prestimion.

Septach Melayn commençait à comprendre.

— Diriez-vous que Sa Majesté en est contrariée ?

— Le terme est peut-être un peu fort. Mais il s’interroge certainement. Il a, vous le comprenez, la plus grande affection pour lord Prestimion. Il n’est pas utile de rappeler que, lorsqu’il était Coronal, il le considérait pratiquement comme son fils. Et aujourd’hui, se voir délaissé de la sorte… Sans parler des questions constitutionnelles, c’est, vous en conviendrez, une affaire de simple courtoisie.

Qu’en termes élégants ces choses étaient dites ! Mais Septach Melayn voyait bien qu’il allait devoir faire preuve d’une grande diplomatie. Il remplit derechef les coupes de vin.

— Il n’y a là aucune volonté d’incorrection envers le Pontife, soyez-en assuré. Le Coronal a eu dès son accession au trône quelques affaires particulièrement délicates à régler ; il a estimé nécessaire de les attaquer de front sans tarder, avant même de s’offrir le plaisir d’une visite protocolaire à Sa Majesté Impériale.

— Des affaires si délicates qu’il n’a pas jugé bon de les porter à la connaissance du Pontife ? Ils sont censés régner conjointement, je ne vous apprends rien.

C’était indéniablement un reproche, mais formulé avec affabilité.

— Je ne suis pas en position de vous éclairer sur ce point, répondit Septach Melayn en s’efforçant à une égale affabilité.

Il comprenait qu’un bras de fer au plus haut niveau était en cours.

— C’est une affaire entre lord Prestimion et le Pontife, ajouta-t-il. Sa Majesté se porte bien, j’espère ?

— Fort bien. Il a conservé une étonnante vigueur pour un homme de son âge. Je pense que lord Prestimion peut s’attendre à un long règne avant que vienne l’heure de lui succéder dans le Labyrinthe.

— Le Coronal en sera enchanté. Il éprouve, vous le savez, une profonde tendresse pour Sa Majesté.

Vologaz Sar changea légèrement de position, de manière à indiquer qu’ils allaient aborder le cœur du sujet.

— Je dois vous avouer en confidence, Septach Melayn, reprit-il en conservant l’onction de sa voix, que le Pontife, ces derniers temps, est d’humeur assez morose. Je ne saurais dire pourquoi : il semble lui-même incapable de trouver une explication. Mais il arpente le secteur impérial du Labyrinthe en proie à une apparente confusion, comme s’il ne savait où il se trouve. Son sommeil est mauvais. On m’a confié que son visage s’illumine à l’annonce d’une visite, mais qu’il ne peut masquer une évidente déception quand les visiteurs sont introduits dans ses appartements, comme s’il était dans l’attente perpétuelle de quelqu’un qui ne vient pas. Je ne donne pas nécessairement à entendre que cette personne est lord Prestimion ; cette explication relève de la conjecture pure et simple. À l’évidence, il ne serait pas raisonnable de sa part d’attendre que le Coronal arrive sans avoir annoncé sa visite. Peut-être le Pontife est-il simplement déprimé par son passage du Château au Labyrinthe. Après plus de quatre décennies passées sous les lambris dorés du Château, entouré d’une foule de grands seigneurs et de courtisans, se retrouver du jour au lendemain confiné dans les sombres profondeurs du Labyrinthe… Il ne serait pas le premier Pontife à en souffrir. Et Confalume est d’un naturel jovial, expansif ; il a énormément changé ces derniers mois.

— Croyez-vous qu’une visite de lord Prestimion lui remonterait le moral ?

— Indiscutablement.

Septach Melayn versa le reste du vin bleu et trinqua une nouvelle fois avec son hôte.

La visite touchait à sa fin. Elle était restée fort courtoise de bout en bout, mais la politesse suave de Vologaz Sar n’avait laissé place à aucune ambiguïté. Prestimion évitait Confalume – depuis le jour de son intronisation, il régnait comme s’il était en fait l’unique souverain de la planète – et Confalume en avait conscience. Il s’en agaçait. Et il enjoignait – c’était le mot, enjoindre – à Prestimion d’entreprendre séance tenante le voyage du Labyrinthe pour mettre un genou en terre devant le vieux monarque, comme la loi l’exigeait.

Cela n’allait pas plaire à Prestimion. Confalume, Septach Melayn le savait, était la seule personne au monde devant qui le Coronal n’avait pas envie de se trouver.

Le Haut Conseiller comprenait parfaitement – et Prestimion, à son retour, le comprendrait aussi – ce qui devait se passer dans la tête de Confalume qui, lui, n’en avait pas la moindre idée. Si Prestimion se dérobait délibérément à ses devoirs protocolaires dans le Labyrinthe, ce n’était pourtant qu’une question secondaire. Les visiteurs que Confalume attendait inconsciemment et dont la venue sans cesse repoussée provoquait en lui un si profond et incompréhensible désarroi n’étaient autres que Thismet et Korsibar, les enfants dont il avait oublié jusqu’à l’existence. Leur absence palpitait en lui au rythme des élancements d’un membre amputé.

C’était une étrange douleur que celle de Confalume, une douleur qui allait fendre le cœur de Prestimion. Le Coronal n’était pas véritablement responsable de la mort de Thismet et de Korsibar – ils avaient tissé eux-mêmes leur destin –, mais c’est assurément Prestimion qui avait volé à Confalume les souvenirs de ses enfants disparus, ce qu’il considérait certainement comme un acte d’une nature monstrueuse. Ce sentiment de culpabilité poussait aujourd’hui Prestimion à garder ses distances avec le vieillard triste qu’était devenu le grand Confalume d’antan.

Il n’y a pas grand-chose à y faire, se dit Septach Melayn. Tous les actes ont des conséquences auxquelles on ne peut échapper indéfiniment ; Prestimion devait vivre avec ce qu’il avait provoqué. Il lui était impossible de rester éternellement loin du Labyrinthe. Il était grand temps que le rituel des relations entre Confalume le Pontife et Prestimion le Coronal soit observé.