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— Je transmettrai à lord Prestimion, dès son retour, tout ce que vous avez dit, déclara Septach Melayn en reconduisant le légat pontifical.

— Sa Majesté vous en saura gré.

— Et vous aurez toute ma gratitude si vous acceptez de me fournir un renseignement.

Le visage de Vologaz Sar exprima l’indécision et une pointe d’inquiétude.

— À savoir… ?

Septach Melayn le regarda en souriant. On ne pouvait concentrer indéfiniment son attention sur les questions de haute politique ; il était décidé à évacuer aussi vite que possible les tensions de cet entretien.

— Le nom du marchand, répondit-il, qui vous a vendu le tissu de cette robe ravissante.

Il restait deux autres rendez-vous sur son programme de l’après-midi, après quoi, il serait libre.

Le premier était avec Akbalik que Prestimion, juste avant son départ pour les territoires du levant, avait nommé émissaire extraordinaire à Zimroel, avec l’idée d’avoir en poste à Ni-moya un homme de confiance à l’affût de signes d’agitation chez les partisans de Dantirya Sambail. Akbalik était prêt à entreprendre le voyage. Il se présentait dans le bureau du Coronal pour faire signer au régent Septach Melayn ses lettres de créance.

Septach Melayn s’étonna de voir Akbalik accompagné du nouveau chevalier-novice Dekkeret, le jeune et solide gaillard que Prestimion avait trouvé à Normork et dont il avait fait son protégé. C’était à l’évidence la première visite de Dekkeret dans ce sanctuaire du pouvoir ; il regardait autour de lui en ouvrant des yeux émerveillés devant la magnificence de la salle, le grand bureau de palissandre, la haute fenêtre ouvrant sur l’infini du ciel, les merveilleuses incrustations de bois précieux formant sur le sol une énorme constellation.

Septach Melayn lança à Akbalik un regard interrogateur. Personne ne lui avait dit qu’Akbalik devait amener Dekkeret dans ce bureau.

— J’aimerais l’emmener avec moi à Zimroel, expliqua Akbalik en montrant le jeune homme. Croyez-vous que le Coronal y trouverait à redire ?

— Ah ! fit malicieusement Septach Melayn, vous voilà donc devenus si bons amis en bien peu de temps.

— Il ne s’agit pas de cela, Septach Melayn, répliqua Akbalik que la boutade ne semblait pas amuser. Vous le savez bien.

— Alors, de quoi s’agit-il ? Ce jeune homme aurait-il déjà besoin de vacances ? Il vient à peine de commencer sa formation.

— Cela en ferait partie, répondit Akbalik. Il a demandé à m’accompagner et je pense que cela pourrait lui être profitable. Il est salutaire à un jeune novice de se faire une idée de ce qu’est la vie au-delà du Mont du Château. D’effectuer la traversée d’un océan, de découvrir l’immensité de la planète. De connaître une cité aussi spectaculaire que Ni-moya. Et d’observer le fonctionnement des rouages de la machine gouvernementale sur les distances colossales avec lesquelles il nous faut compter.

— Des distances colossales, en effet, fit Septach Melayn en se tournant vers Dekkeret. Savez-vous, jeune homme, que vous serez parti neuf mois, un an peut-être. Croyez-vous pouvoir interrompre vos études si longtemps ?

— Lord Prestimion a dit à Normork que je devais recevoir une formation accélérée. Un voyage comme celui-ci devrait contribuer à l’accélérer.

— Oui, j’imagine, fit Septach Melayn avec un petit haussement d’épaules.

Il se demanda comment Prestimion allait réagir si le jeune homme devait disparaître à Zimroel pendant un an. Comment pouvait-il le savoir ? Pour la millième fois, il maudit Prestimion de lui avoir laissé le soin de prendre toutes ces décisions. Après tout, Prestimion avait voulu qu’il soit régent ; il agirait comme il jugeait bon de le faire. Pourquoi ne pas laisser partir Dekkeret ? Il serait sous la responsabilité d’Akbalik, pas la sienne. Et Akbalik avait raison : il ne peut qu’être profitable à un jeune homme de voir le monde tel qu’il est réellement.

Dekkeret le regardait avec gravité, d’un air suppliant. Septach Melayn trouva une innocence charmante et touchante dans ce regard avide et implorant. Il se souvenait de l’époque où il était avide et grave, lui aussi, avant de choisir de se cacher derrière cette frivolité indolente et débonnaire qui aujourd’hui n’était plus un masque, mais l’essence même de son caractère. Il était facile de percevoir en observant le jeune homme les qualités de sérieux et de force qui avaient retenu l’attention de Prestimion.

Soit, se dit Septach Melayn. Qu’il aille à Zimroel.

— Très bien, fit-il. Vos papiers sont prêts, Akbalik. J’ajoute le nom du chevalier-novice Dekkeret – voilà – et j’appose mon paraphe.

Il se prenait déjà à envier le jeune homme. Partir loin du Château, parcourir les régions écartées du royaume, échapper aux contraintes de la vie politique et emplir ses poumons de l’air pur qu’on respirait ailleurs !…

— Permettez-moi, si vous le voulez bien, de vous faire une petite suggestion, reprit-il en s’adressant à Dekkeret. Si vos occupations ne vous retiennent pas tout le temps à Ni-moya, vous devriez vous offrir avec Akbalik une petite excursion au nord, dans les Marches de Khyntor, pour chasser le steetmoy… Vous avez entendu parler des steetmoy, n’est-ce pas ?

— J’ai vu des vêtements faits de leur fourrure.

— Porter une étole de fourrure de steetmoy n’est pas tout à fait la même chose que regarder dans les yeux un steetmoy vivant. C’est, à ma connaissance, l’animal sauvage le plus dangereux au monde. Une merveille, avec son épaisse fourrure et ses yeux flamboyants. Je l’ai chassé une fois, quand je suis allé avec Prestimion à Zimroel. On engage un chasseur professionnel à Ni-moya et on file vers le nord, loin à l’intérieur des Marches, un pays froid, enneigé, qui ne ressemble à rien de ce que vous avez vu, avec des forêts noyées dans la brume, des lacs sauvages et un ciel comme une plaque de métal. On piste une bande de steetmoy – pas facile de distinguer des animaux blancs sur le fond blanc de la neige – et on s’avance tout près d’eux, un poignard dans une main, une machette dans l’autre…

Les yeux du jeune homme brillaient d’excitation. Mais Akbalik ne semblait pas partager son enthousiasme.

— J’ai cru comprendre que vous vous inquiétiez de le voir négliger sa formation en m’accompagnant à Zimroel. Et maintenant, vous l’envoyez dans les Marches de Khyntor pour lui faire poursuivre des steetmoy dans la neige. Mon cher ami, vous n’arrivez donc jamais à être sérieux bien longtemps.

Septach Melayn sentit le rouge lui monter au front ; il s’était laissé entraîner par son récit.

— Cela fera aussi partie de sa formation, déclara-t-il, l’air froissé en apposant le sceau royal sur les papiers d’Akbalik. Tenez. Bon voyage à vous deux. Et laissez-le partir une semaine à Khyntor, Akbalik, ajouta-t-il au moment où ils se retiraient. Quel mal cela pourrait-il faire ?

Il ne lui restait plus à voir que le prince Serithorn de Samivole avant de pouvoir se rendre au gymnase, dans l’aile orientale du Château, pour son assaut d’escrime quotidien avec un des officiers de la garde. Septach Melayn s’entraînait chaque jour avec une arme différente – la rapière, l’épée à deux mains, le sabre à garde en panier, l’épée courte de Narabal, le bâton, la pique de Ketheron – et chaque fois avec un partenaire différent, car il apprenait si rapidement à anticiper les coups de son adversaire qu’il ne trouvait aucun intérêt à affronter quelqu’un plus de deux ou trois fois. Son adversaire du jour était un jeune garde de Tumbrax, du nom de Mardileek, dont on disait qu’il était habile au sabre et qui avait été recommandé par le duc Spalirises en personne. Mais il convenait d’abord de s’occuper de Serithorn.