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— Je pense, répondit-il, qu’il vaudrait mieux poser la question directement à Prestimion.

— Je le ferais si Prestimion était là. Mais il semble avoir choisi de parcourir interminablement les territoires du levant. Et vous êtes ici à sa place… Soyez assuré, Septach Melayn, que je n’ai nullement l’intention de vous embarrasser. Au contraire, j’essaie de me rendre utile. Mais il me manque tellement d’éléments que je ne suis pas en mesure d’évaluer correctement la nature de la crise, si « crise » est le terme qui convient. Pendant la semaine du sacre, par exemple, le bruit courait avec insistance que Dantirya Sambail, pour des raisons que j’ignore, était prisonnier dans les tunnels de Sangamore.

— Je pourrais, j’imagine, fournir un démenti officiel.

— Vous pourriez, mais ne vous donnez pas cette peine. Je tiens directement mes renseignements de Navigorn qui affirme que Prestimion avait fait de lui le geôlier du Procurateur. Une mission sur laquelle, je peux vous le confier, Navigorn s’est beaucoup interrogé. Comme tout un chacun. Serions-nous en droit de penser que Prestimion avait réellement enfermé Dantirya Sambail dans les tunnels pendant les fêtes du couronnement et la période qui a suivi, pour des raisons qui lui appartiennent et que je ne cherche pas à connaître ?

— Nous pouvons en convenir, Serithorn.

— Bien. Vous remarquerez que j’ai utilisé le passé. « Avait enfermé. » Le Procurateur est libre maintenant, n’est-ce pas ?

— Je préférerais vraiment que vous posiez toutes ces questions à Prestimion, répondit Septach Melayn, l’air gêné.

— Oui, je n’en doute pas… Je vous en prie, Septach Melayn, cessez de chercher la parade à chacune de mes questions : ce n’est pas un duel. Le fait est que Dantirya Sambail s’est évadé. Et que Prestimion se trouve quelque part entre le Mont et la Grande Mer, oui, avec Gialaurys, Abrigant et toute une troupe, et qu’ils battent la campagne dans l’espoir de le reprendre. Oui, oui, Septach Melayn, c’est la vérité, je le sais. Inutile de le nier. Oublions maintenant que j’ai demandé des détails sur la querelle qui oppose Prestimion au Procurateur. Confirmez-moi seulement qu’elle existe bel et bien. Ils sont en réalité des ennemis acharnés, c’est bien cela ?

— Oui, répondit Septach Melayn avec une petite inclination de tête et un soupir de résignation. On peut le dire.

— Je vous remercie. Si Prestimion n’en a pas encore été informé, poursuivit-il en prenant dans sa robe un papier plié, je pense qu’il serait opportun de lui faire savoir qu’il cherche très probablement dans la mauvaise direction.

— Vraiment ? fit Septach Melayn, sans pouvoir s’empêcher d’écarquiller fugitivement les yeux.

— Je suis, vous ne l’ignorez pas, reprit Serithorn en souriant, propriétaire de vastes domaines. Je reçois régulièrement des rapports des régisseurs de mes propriétés, aux quatre coins du monde. Celui-ci vient d’un certain Haigin Harta, dans la cité de Bailemoona, province de Balimoleronda. Une bien étrange affaire, en vérité. Un groupe d’inconnus – Haigin Harta ne précise pas combien – a été surpris en train de chasser des gambilaks sur mes terres, aux environs de Bailemoona. Quand mon garde-chasse est intervenu, un des braconniers lui a dit que la viande était destinée à Dantirya Sambail, le Procurateur de Ni-moya, qui faisait un Grand Périple dans la région. Un autre des braconniers… Je vous ennuie, Septach Melayn ?

— Pas le moins du monde.

— Vous paraissiez inattentif.

— Pensif, plutôt.

— Ah ! Un autre braconnier, disais-je, a balancé son poing dans la figure du premier en affirmant à mon garde-chasse que ce que venait de dire l’autre était totalement faux, une pure invention qu’il fallait oublier immédiatement, et qu’ils prenaient la viande pour leur compte personnel. Il a proposé cinquante couronnes au garde-chasse qui les a acceptées, comprenant que, s’il refusait, il risquait sa vie. Les braconniers sont partis avec leur butin. Le même jour, Haigin Harta – le régisseur de mon domaine de Bailemoona, vous n’avez pas oublié ? – apprenait par un ami qu’un voyageur ayant les traits hautement caractéristiques de Dantirya Sambail avait été vu dans la matinée, accompagné d’un groupe d’hommes, dans les faubourgs de Bailemoona. L’ami du régisseur s’était demandé si Haigin Harta attendait la visite du Procurateur au domaine, une idée qui, vous l’imaginez, a mis Haigin Harta dans tous ses états. Dix minutes après cette conversation, le garde-chasse est venu faire son rapport sur les braconniers et les cinquante couronnes qu’on lui avait proposées. Que pensez-vous de mon histoire, Septach Melayn ?

— Cela semble assez clair, non ? Mais je m’interroge sur ce braconnier qui a frappé l’autre. S’il pouvait être grand et maigre, avec un visage évoquant une tête de mort, tout en angles et méplats, et des yeux noirs d’assassin.

— Le goûteur du Procurateur, c’est à lui que vous pensez ? Un individu peu recommandable, celui-là.

— Mandralisca, oui. Il doit accompagner Dantirya Sambail… Y a-t-il autre chose ?

— Rien d’autre. Haigin Harta termine son message en disant qu’il n’a jamais été informé d’une visite par le Procurateur et demande s’il doit en attendre une. Il n’en est rien, bien entendu. Pourquoi, je me le demande, le Procurateur de Ni-moya ferait-il un Grand Périple dans la province de Balimoleronda, ou n’importe où ailleurs à Alhanroel ?

— Il va sans dire que Grand Périple n’est pas le terme qui convient. Il s’agit simplement, j’imagine, d’un voyage privé dans cette province, sur le trajet entre le Château et Zimroel.

— Le Château où il était emprisonné ? demanda doucement Serithorn. Dois-je comprendre qu’il faut le considérer comme un fugitif ?

— Je préférerais que vous réserviez des mots comme « emprisonné » et « fugitif » pour votre conversation avec Prestimion. Mais je peux au moins vous dire que le Coronal s’efforce effectivement de retrouver la trace de Dantirya Sambail. Et comme Bailemoona, s’il m’en souvient bien, se trouve au sud du Mont du Château, Prestimion n’a à l’évidence aucune chance de le retrouver en cherchant à l’est. Je vous remercie de sa part. Le rapport de votre régisseur nous a été précieux.

— Je fais mon possible pour être utile.

— Vous l’avez été. Je vais prendre des dispositions pour que le Coronal soit informé de tout cela dans les meilleurs délais.

Septach Melayn se leva en dépliant sa longue carcasse ; il étira d’abord les bras, puis les jambes.

— Vous me pardonnerez, j’espère, d’avoir montré des signes d’impatience. La journée fut éprouvante. Avons-nous d’autres sujets à aborder ?

— Je ne crois pas.

— Dans ce cas, je pars au gymnase pour chasser les tensions de la journée en me défoulant avec mon sabre sur un malheureux garde de Tumbrax.

— Bonne idée. Je vais moi-même dans cette direction ; me permettez-vous de vous accompagner ?

Ils sortirent ensemble. Serithorn, qui était l’affabilité même, narra chemin faisant quelques anecdotes divertissantes. Ils s’enfoncèrent dans le dédale du Château Intérieur, longèrent d’antiques constructions telles que les Balcons de Vildivar, la Tour de guet de lord Arioc ou le Donjon de Stiamot, avant d’atteindre les Quatre-Vingt-Dix-Neuf Marches qui desservaient d’autres secteurs de l’agglomération informe que constituait le Château.

Ils passèrent au bout d’un moment près de l’imposant et inesthétique empilement de roches noires que Prankipin, au commencement de son règne, avait infligé au Château pour faire office de bureaux pour les ministres du Trésor. Septach Melayn aperçut, venant de la direction opposée et se dirigeant vers le bâtiment, un couple étrangement mal assorti. Une grande jeune femme brune, d’une beauté frappante, en compagnie d’un homme bien plus petit et trapu, habillé avec trop de recherche, comme une parodie de costume de cour, tout de paillettes et clinquants, de brocarts ridiculement chargés. Lui aussi avait une apparence saisissante, mais d’une manière bien différente : excessivement laid, il avait une montagne soigneusement coiffée de cheveux argentés fièrement dressés sur son large front.