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Chose curieuse, je perçois de la lumière, des rires, des bruits, notamment celui d’un rot phénoménal. Pour ne pas être en reste, l’un des occupants se met à craquer une louise, mais après tout, peut-être s’agit-il du même qui serait biloque.

J’enfonce le bouton blanc, très rudimentaire, d’une sonnette grosse comme un téton de rosière.

Des voix disent :

— Tiens, v’là du trèpe !

— C’est peut-être Dany qui rentre ?

— Penses-tu, il a la clé !

On ouvre. En face de moi une fille débraillée ; elle porte un short noir fendu sur les côtés, une liquette haillonneuse.

Avec la graisse de sa chevelure, tu peux assurer les beignets de tous les restaurants du cœur. Elle m’a l’air camée jusqu’à la moelle. Son regard fait une double spirale, elle tète un mégot malodorant, marche nu-pieds et se gratte la raie des miches. La classe !

Elle attend puis, comme je la flashe sans piper, questionne laconiquement :

— Ouais ?

— Ouais ! réponds-je en entrant.

Elle a beau être très jeune, sa beauté est obsolète, comme dirait ta concierge, celle qui se rase au désherbant.

Tu parles d’une tabagie ! Irrespirable. Un bordel inouï. Deux garçons torse nu, l’un est en slip cradoche, l’autre en jean troué ; plus une autre fille du même style que la première. Remake des Basfonds version 90. Bouteilles vides, petits récipients d’étain contenant des reliefs de nourriture, couvercles de boîtes emplis de cendres et de mégots, seringues éparses, photos obscènes from the walls, comme disent les Japonais en voyage. Si tu veux avoir un aperçu de la lie humaine, rejoins-nous, je t’invite. Quatre épaves. Quatre jeunes déjà irrécupérables dont les parents n’ont plus d’espoir qu’en une overdose carabinée, pour solde de tout compte. Alors eux, le bouton blanc, ils le portent même pas à la culotte. C’est carrément l’antichambre de la Maison Borniol !

Ils me défriment de leurs vasistas évasifs.

La môme qui nous a ouvert s’enhardit chouïette :

— Qu’est-ce que vous nous voulez ?

— Police !

L’un des gars, le slipé, qui ramène sa fraise. Faut pas craindre les mandales.

— Les flics, je les ai au cul ! il déclare.

— Exact, fais-je en lui shootant un formid’ péno dans la brouette tzigane ; la preuve !

Au craquement qui en consécute, je me dis que son coccyx vient de faire de la monnaie. Et ça se plâtre pas, ces mignons endroits ! Le gonzier en est comme pétrifié de douleur. Il se tient au garde-à-vous. Même de battre des cils ça lui répercute dans le trognon.

— Bon, fais-je, vous stoppez dix secondes la schnouffe et on bavarde. Sinon, tout le monde au ballon où vous n’aurez plus que l’odeur de vos dessous de bras pour vous camer !

SÉVICES

Dans le fond, tu vois, ils seraient plutôt gentils, ces gueux, une fois que t’as réglé leur pendule sur le méridien de Greenwich. Passifs en plein. Faut dire qu’ils font le complexe du boa : une fois chargés, ils pensent plus qu’à roupiller. Le monde leur devient improbable.

Je pointe mon index irréprochable sur l’épaule de la fille en liquette.

— Qui est-tu, toi ?

— Rirette, fait-elle comme si c’était une évidence.

— Qu’est-ce que tu fous chez Fluvio ?

— Je suis une amie. Il m’héberge.

— Et ces punks au rabais ?

— Des potes à moi.

— Ben dis donc, il ne fait pas bon te confier son appartement ! Question du ménage, tu traites ça à la grenade à manche et au bulldozer !

Elle hausse les épaules.

— Vous n’avez pas l’air au courant, tous, fais-je en les toisant.

— Au courant de quoi ?

— Vous ne regardez jamais la télé ?

— Si : quand y a un film dégueu sur Canal plus.

— Donc, les infos, connaît pas ?

— Pourquoi ?

— Daniel Fluvio est mort. On l’a flingué à quinze heures, place de l’Opéra.

Les chevaliers de la piquouze réagissent à travers leur coma endémique.

— Dany ! Mort ! bafouillent-ils.

— La tronche éclatée par un fort calibre. Qui dit assassinat dit poulets ; alors nous voilà. On s’inscrit dans la logique de mes choses, vous comprenez ?

Je vais ouvrir une porte, laquelle donne sur la chambre à coucher. Cette dernière fait un peu moins litière à grand spectacle que le living ; n’empêche qu’elle fouette la nuit du renard.

Je pousse la gosse vers le plumard.

— Dépose-toi, môme, et inutile d’ôter ta culotte, c’est pas pour une passe.

Elle obtempère mornement, ne paraît pas spécialement éprouvée par l’annonce du décès.

— Quel effet ça te fait d’être veuve ? cyniqué-je.

Elle a un regard de brebis galeuse à qui on projette un film de Marguerite Duras. Un regard plein de rien du tout, mais à ras bord.

— Il y a longtemps que tu vis avec lui ? j’insiste-t-il.

— Je vis pas avec lui : il m’héberge seulement.

— Pas de pointe, entre vous ?

— Pas plus qu’avec les autres !

Je vois. C’est une simple participante. Elle appartient au corps de ballet pour les partouzes ; sinon elle n’a droit à aucun régime de faveur particulier.

— Il t’a dit ce qu’il allait faire aujourd’hui ?

— Il m’a dit qu’il allait s’occuper d’une bourgeoise et il a pris le fouet.

— N’a pas précisé de qui il s’agissait ?

— Non.

— Tu le connaissais déjà au moment de son voyage en Asie ?

— Non. Ça fait un mois seulement qu’on s’est rencontrés.

— Il t’a parlé de ses projets de boulot ?

— Il m’a juste dit qu’il était sur une affaire importante qui risquait d’être juteuse à l’arrivée.

— Seulement, il n’y a pas eu d’arrivée, soupiré-je. Dis-moi, il avait un bon copain avec qui, je crois, il faisait équipe ?

— Marien ?

— Possible. Marien quoi ?

— Je ne sais pas : Marien tout court.

— Il habite où, ce mec ?

— Je ne sais pas.

— Daniel le contactait comment.

— Il lui téléphonait.

— Alors où est son numéro de téléphone ?

— Peut-être sur le carnet près de l’appareil.

— Va me le chercher !

Elle.

Durant son absence, j’explore le placard mural servant d’armoire. Des costards, des blousons, des pompes. Deux tiroirs emplis de chemises et de tee-shirts. Au fond de l’un d’eux il y a un minuscule album de photos dont les pages sont en plastique transparent. Chacune d’elles recèle un cliché et tous ces clichés sont consacrés à la même personne : une ravissante Asiatique prise dans des lieux différents mais cossus : hall de palace, salon d’apparat, piscine, tennis, etc. Il y en a même une qui montre la personne en question assise dans un fauteuil majestueux, installé sur une estrade et qui fait songer à un trône. D’ailleurs elle est en robe de gala, façon tunique, boutonnée haut et porte des bijoux écrasants dont chacun représente probablement le budget militaire de l’U.R.S.S. Sûr certain qu’il s’agit d’une huile de la jet internationale. J’enfouille l’album recta. Là-dessus, la pensionnaire de feu Fluvio revient avec un carnet de forme allongée, loqueteux malgré sa couverture cartonnée sur laquelle est dessiné un combiné tubophonique.

— Merci, môme.

Je délimite la lettre « M » et mate la brève liste de blazes qui se trouvent consignés sur cette page.

Médecin : Dr Delurêtre, urologue. Dr Blanchemoud, généraliste. Dr Lambroque, kinési.