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Je sonne et bientôt une silhouette floue se dessine derrière l’épais verre dépoli garnissant la porte. Un larbin est là, en uniforme dernier cri : pantalon bleu foncé, chemise-blouson jaune-caca-de-bébé boutonnée à la russe.

— Je souhaite parler à Mlle Dakiten, fais-je. Police !

Lui, c’est un anguleux blafard, avec un gros tarbouif façon Donald et des yeux expressifs comme deux perles de culture.

— Avez-vous rendez-vous ? s’inquiète-t-il sans paraître impressionné le moindre.

— Vous allez le prendre pour moi, cher ami. Un rendez-vous immédiat.

— Mademoiselle n’est pas visible, elle est au lit.

— Si les femmes alitées n’étaient pas visibles, la planète se dépeuplerait, plaisanté-je.

Mais il en faut beaucoup plus pour le dérider.

— Je regrette, il tranche (de cake).

— Pas tant que moi, fais-je en le poussant de ma dextre posée à plat sur sa livrée.

Il fait deux pas arrière, moi deux pas avant ; après quoi je referme la lourde.

— Écoutez, mon vieux, lâché-je avec mon air méchant qui guérit les hoquets tenaces et les constipations chroniques, je ne suis pas là pour une contravention mais pour un assassinat, si bien que je n’ai pas de temps à perdre en tergiversations grotesques. Allez dire à votre patronne d’enfiler une robe de chambre, mais je n’en fais pas une obligation, et de m’accueillir séance tenante.

On échange un bras de fer oculaire, si j’ose m’exprimer de la sorte, et je gagne cette première manche puisqu’il détourne ses perles de culture de ma personne et s’engage dans l’escalier, ce qui est mieux que de s’engager dans la Légion, de nos jours où elle n’a plus grand-chose à branler. Avant, on allait tuer des nègres et c’était marrant. Désormais on joue au ping-pong, ce qui est moins défoulant.

Le hall est circulaire, encombré de plantes rares qui veulent donner une impression de jardin exotique, et tout ce que ça fait, c’est resserre de fleuriste. Comme il y a des banquettes garnies de velours, je dépose mon contrepoids sur l’une d’elles. Très peu de temps dégouline avant que l’esclave réapparaisse au haut des marches.

— Vous pouvez monter ! me lance le serf sans se donner la peine de venir me quérir.

Lui, le protocole, c’est du passé. J’escalade donc quatre à quatre, qu’au diable les bonnes manières. Le corvéable me précède sans un mot à une double porte dont il ouvre l’un des panneaux.

— Entrez !

La grande larbinerie, décidément, n’est plus ce qu’elle était. Les « droits de l’homme » sont venus brouiller les usages.

Je pénètre dans une très vaste chambre en rotonde. Nonobstant une loupiote opaline dans les tons safran, la pièce mijote dans des pénombres jouissives. Un immense lit rond en occupe le centre. On ne distingue que lui, plus la dame qui y est couchée. Moi, Elianor Dakiten, c’est pas la vedette qui me fera oublier Mia Farrow, Catherine Deneuve ou Sabine Azema. C’est la blonde pulpeuse qui a toujours pris son cul pour du talent, ses nichons pour un mode d’expression et ses lèvres de pipeuse pour le point culminant de la volupté. Sûr que la pauvre Marilyn l’a empêchée de dormir pendant des années, mais, à force de se décolorer pâle et de se faire filmer les jambes écartées sur des souffleries, elle a fini par s’y croire vraiment, la chérie. Elle n’en peut plus d’elle-même et joue les vamps dans des superproductions où elle trémousse du fion comme pas deux. Les baisers en cent quarante de large, les collants à l’arrière desquels sont imprimées deux fortes mains d’homme, les soutien-loloches troués, les guêpières de westerns, les regards chavirés, elle pratique tout ça avec brio, la mère. Ça constitue sa panoplie fracassante de tapineuse sur écran large.

Je la trouve sobrement vêtue d’une espèce de boléro en gaze gansée de soie blanche. Sur sa peau dorée, c’est payant. Ses draps sont ramenés à hauteur de son nombril, lequel me fait de l’œil ouvertement.

— Bonjour, gémit-elle. Vous rendez visite aux gens à l’aube, dans la police ?

Elle parle comme une qu’un gus fait reluire et qui l’implore d’aller plus doucement.

— Il est dix heures du matin ! plaidé-je.

— Je me suis couchée à sept ! objecte-t-elle. Vous êtes sans pitié pour les artistes ! Enfin, maintenant que je suis réveillée… Eh bien ! approchez !

— Commissaire San-Antonio, me présenté-je.

Et j’avance jusqu’à sa couche circulaire, ce qui me permet de découvrir au côté de la dame, caché par un moutonnement des draps, un jeune éphèbe basané, à la crinière afro. Seule sa tronche émerge mais je le devine en costume d’Adam très strict. Il dort à point nommé et à poings fermés.

Elle a suivi mon regard et murmuré, attendrie :

— Ne dirait-on pas un chérubin ?

— Tout à fait, conviens-je, j’ai vu le même l’autre nuit dans un film porno où il jouait un conducteur de bus en train d’emplâtrer une passagère excitée.

Elle pouffe.

— Mais c’était lui, commissaire ! Le film s’appelle Bus Zob, n’est-ce pas ?

— Je l’ignore, étant tombé dessus par inadvertance et l’ayant quitté assez rapidement.

Elle dit :

— Puisque vous avez vu la séquence de la passagère, vous avez dû être frappé par les dimensions du sexe de Ramo, je suppose ?

— Il m’a paru considérable en effet, ne barguiné-je pas.

Elle glousse, rabat la literie, découvrant le ventre plat de son cosaque, sa toison aussi noire et crépue que sa tignasse et sa lance d’arrossage impressionnante. Bien qu’étant inanimée, la chopine du petit casanova laisse percer toutes les promesses qu’elle est capable de tenir.

— Bel outil, n’est-ce pas ? complaît la salope blonde.

— Ce n’est pas au B.H.V. qu’on peut trouver le pareil, admets-je-t-il.

Elle se penche et dépose un bisou sur le casque suisse du champion. Ce con vanné continue de pioncer. Lui, il n’a pas besoin de se farcir les portugaises aux boules Qui est-ce, tu peux projeter un film sur la chute de Berlin pendant qu’il pionce sans crainte de l’éveiller.

— Asseyez-vous ! propose la star du fignedé en tapotant son matelas comme l’on invite un clébard à coucouche-panier.

Je cède à sa propose. Son lit est parfumé avec une pompe à incendie et aussitôt je biche mal au bocal, moi si perturbable de l’olfactif.

Elle a son boléro ouvert à deux battants. J’ignore si elle s’est fait bricoler les frères Goncourt, mais je peux te dire qu’ils planturent vachement et qu’ils se tiennent parfaitement dans le monde.

— Vous connaissez la nouvelle, je pense, attaqué-je : Daniel Fluvio est mort. On l’a trucidé hier après-midi.

Elle lève les yeux au ciel comme si elle espérait y apercevoir l’assassiné.

— Place de l’Opéra, oui, j’ai su ça. C’est horrible. Un règlement de comptes, semblait dire le commentateur ?

— Vous l’avez connu en Asie, pendant le tournage du film dont vous êtes la vedette féminine ?

— Exactement.

— Et même bien connu, appuyé-je.

Elle sarcaste :

— Ne finassons pas, commissaire. J’ai baisé avec lui, si c’est ce que vous sous-entendez. C’était un beau gosse, et moi j’aime les beaux gosses.

Je trouve étrange qu’étant danoise elle n’ait pas un pouce d’accent. Elle serait pas native de Copenhague-les-Oies, d’aventure, l’Elianor ?

— Il paraîtrait que vous avez même fait l’amour à plusieurs ?