— Ne me dites pas que vous en êtes choqué ! pouffe-t-elle. Je suis une sensuelle qui assume ses fantasmes. C’est un grave péché ?
— Pour cela, adressez-vous au curé de votre paroisse, je ne connais pas le barème.
Ça la fait marrer en grand.
— Sympa ! Vous êtes un flic sympa. Et séduisant. Vous savez que je me laisserais bien faire l’amour par vous au côté de mon Ramo endormi. Ce serait excitant, non ?
— Très. Malheureusement, j’ai déjà donné. À cinq reprises entre minuit et six heures ; j’ai besoin de me refaire une santé.
Et tu sais que je la chambre pas, la vedette. Mado, je l’ai bel et bien tirée à cinq reprises cette noye. Une fois à l’hôtel miteux, une seconde fois dans la bagnole qui, pourtant, ne présentait pas le confort de ma Quattroporte ; et puis trois fois encore à son domicile où elle m’a convié pour la nuit. La grande aubaine, cette scripte !
— Dommage, soupire-t-elle. Bon, Fluvio a été abattu. Paix son âme qui, à vrai dire, ne doit pas être très blanche. Alors ?
— Comme il vous a beaucoup divertie pendant le tournage, vous avez donc eu l’occasion de connaître ses activités, ses relations.
Elle éclate de rire.
— Il me vient une idée farce, annonçe la bougresse.
Elle saisit le mandrin de Ramo, le flatte, le malaxe à doigts de louve.
— Continuez de poser vos questions, commissaire. Vous ne trouvez pas outrageant que je caresse mon love-boy pendant ce temps, j’espère ?
— Vous êtes chez vous, dis-je ; c’est votre chambre, votre lit et votre chibre. Pendant la période Singapour, avez-vous entendu parler d’une organisation nommée « Le Singe Blanc » ?
— Comme c’est étrange.
La chopine du dormeur commence à renaître de ses cendres. Elle se dilate et un imperceptible frémissement, très encourageant pour Elianor, moi je trouve, la parcourt.
— Qu’est-ce qui est étrange ? osé-je insister malgré le suspense en cours.
— Un soir que nous batifolions à son hôtel, il a reçu un appel téléphonique. Il a dit à peu près ceci à son correspondant : « Ah ! bon, tu as eu le renseignement ? Comment dis-tu ? White Monkey ? Le Singe Blanc, quoi ? Drôle de raison sociale. » Puis il a ri et a ajouté : « Je vais le faire descendre de son cocotier, moi, ton singe blanc ! Attends, je prends de quoi écrire. »
« Là, enchaîne Elianor, il a noté un numéro de téléphone. Après quoi il a remercié et a raccroché. Il paraissait joyeux, comme s’il venait de réaliser une bonne affaire. »
— Merci, empressé-je, votre renseignement m’est précieux. Il n’a pas assorti ce coup de fil de commentaires ?
— Non.
J’extrais de ma vague le petit album de photos et le place sur les jambes de la vedette. Mais elle est en train de construire un édifice de bidoche avec le zob (je dirais bien le paf, mais tu pourrais confondre avec le paysage audiovisuel français) de son niqueur professionnel. C’est vrai qu’il est membré aux limites du raisonnable, le frisotté. Pour s’enquiller sa batte de baise-bol, faut drôlement écarquiller la moniche, espère. Ses partenaires doivent se ruiner en oléagineux !
— Vous avez déjà vu ça, commissaire ? demande-t-elle.
— J’ai même vu mieux, assuré-je, évoquant mon cher Bérurier ; cela dit, votre petit glandeur ferait un médaillé d’argent très honorable.
À présent, le mât d’artimon a atteint son volume de croisière et la goulue femelle se l’embouche au grand dam de sa mâchoire écartelée (toujours si je puis ainsi m’exprimer).
Elle parvient, sans effort apparent, à se l’engloutir aux deux tiers. Non, attends que je mesure : aux quatre cinquièmes. Tout en exécutant cette passe de tourtour (ou ce tour de passe-passe), elle me regarde avec un air triompho-jubilatoire. Cette môme, faut reconnaître son manque de bégueulosité. Pour elle, les jeux de l’amour ont priorité absolue et elle les accomplit sans les gâcher par la moindre gêne. Reine du cul, elle règne avec une totale simplicité.
— Vous aurez beau souffler dedans, elle ne deviendra pas plus grosse, je lui fais.
Là, elle faille s’étrangler à l’oral ! Pouffe autour de la grosse bébête dont elle se libère la glotte précipitamment.
— Vous allez me faire étouffer ! reproche-t-elle.
— Pardon. Si vous voulez bien jeter un œil aux photos rassemblées dans ce mini-album pour m’indiquer si vous connaissez l’intéressée, je vous laisserai ensuite réveiller complètement ce fringant étalon, promets-je.
Mais elle, c’est pas ça qu’elle souhaite. Partouzarde à ce point, elle ne demande qu’à renforcer les effectifs. Un qui voudrait se régaler à l’apéritif, il lui suffirait de se déplomber la braguette pour entrer dans la ronde salace, y aller aux reluisances en compagnie de toute la troupe, avec lâcher de ballons rouges et pluie de foutre en paillettes.
Elle sent que non, franchement, le commissaire tolère mais ne participe pas. Alors elle ouvre le petit album et jette une œillée aux photos. Je comprends, d’emblée, que ces photos lui « disent quelque chose ».
— Vous reconnaissez ?
Elle opine du chef, tandis qu’elle branle le marmiton pour lui conserver sa plénitude.
— C’est un personnage très connu là-bas : la fille du roi du bazar, l’homme le plus riche et le plus puissant de Singapour. Il a des fabriques et des maisons d’importation multiples. Les faux jades, les sacs et ceintures de croco, les statues d’Indonésie, les soies de Thaïlande, les masques chinois, les plateaux de cuivre, les céramiques, que sais-je, sont le monopole de Kong Kôm Lamoon. Il possède des journaux, des chaînes de magasins, des compagnies de navigation, des hôtels. Un Crésus chinois ! Ces clichés représentent sa fille unique Chiang Li, pour laquelle il a une dévotion. Cette jeune personne, qu’on appelle là-bas « la Princesse », mène une vie très occidentale et ses caprices défraient la chronique.
Salope, mais précieuse Elianor Dakiten ! L’est en train de me faire un « sans faute » de concours international d’équitation, la mère ! Deux questions délicates, deux réponses positives. J’ai rudement bien fait de venir !
— Je ne regrette pas de vous avoir réveillée, déclaré-je.
J’ajoute, montrant son « chérubin » presque conscient dont la bistoune effrène comme la baguette magique de feu Karajan.
— Et vous non plus, je gage, si j’en juge ce qui se prépare.
— Vous êtes content de moi, rayonne-t-elle.
— À vous en tresser des lauriers, ma chère.
— Alors je vous demande un instant, juste un petit moment, commissaire, supplie cette ardente.
Elle se dégage de ses draps, enjambe des genoux (dirait Alexandre-Benoît) son compagnon de pucier, dos à lui et dans un geste rafleur, un geste expert, sûr et dominateur, elle embouche du joufflu sa trompette de Jéricho. Opération moins preste que je ne l’écris. Bien qu’elle lui eût salivé le pollux, l’engagement rétice quelque peu.
— C’est beau, n’est-ce pas ? s’exalte l’insatiable pétasse.
— Sublime, accentué-je ; impressionnant comme une plongée du commandant Cousteau. Hercule disait : « Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ! ». Il semble que votre hyper-chibré soit en mesure de réaliser le rêve de ce demi-dieu. Bonne continuation. En cas de surchauffe, suivez les conseils de Mme Rika Zaraï qui connaît bien la question : des bains de siège, des bains de siège et encore de bains de siège ! Mes hommages !
Et je prends part à mon départ, comme le dit avec brio Bérurier.
DEUILS
Sa majesté se collette avec un immense cahier. Nanti du valeureux Petit Larousse, dont on ne célébrera jamais suffisamment les mérites, il tord une pointe Bic de ses doigts inexoraux en tirant une superbe langue qui n’attend que sa vinaigrette pour assurer l’entrée d’un banquet.