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Qu’en entendant cela mon raisin ne fait qu’un tour.

— Tu te rends compte, bougonne Ducharme, Mathias affirme que les menottes sortent de chez nous !

— Et je le prouverai sitôt qu’on aura achevé de relever les empreintes, déclare le Rouquemoute.

Tu imagines, frangine, la remontée d’adrénaline qu’une telle déclaration m’occasionne !

— Il s’appelle comment, ton petit malfrat ?

— Marien Simon. Il a un curriculum qui ferait gerber un rat malade. Il créchait à l’hôtel Blatte et Confort, un nid à vermines qui te flanque la gratte. Tu connais ?

Je hausse les épaules :

— Et tu dis qu’il s’est fait planter ?

— Un eustache exotique, genre rallonge orientale, manche d’ivoire incrustré, lame damasquinée : l’œuvre d’art pour souks de luxe !

— Curieux que le planteur ait laissé sa rapière dans le dossard du mec.

— Il n’a pas pu l’en retirer. Il a frappé fort à deux reprises. Le premier coup a perforé le cœur, au second, la lame s’est plantée dans la colonne vertébrale et ça été la croix et la bannière pour l’en arracher ; le meurtrier a dû renoncer.

Là-dessus, mon confrère continue son ascension.

— Règlement de compte, c’est signé, fait-il.

Mathias me dit :

— Vous pouvez me rendre le Nagra de votre mort à vous, mon cher, j’ai trouvé un orientaliste, professeur au Collège de France, qui va être à même de décrypter la cassette.

Moi, marri, tu penses ! J’ose pas lui révéler que je me suis laissé engourdir le magnéto, comme un plouc son poste de radio ! C’est pas ma joie de vivre, soudain. Va falloir que je sollicite l’assistance de l’Incendié et ça me fait pleurer les fesses d’implorer ce dindon prolifique.

J’y vais carrément :

— Pour ce qui est des menottes dont parlait Ducharme, mon cher directeur, te casse pas le cul : elles m’appartiennent. Alors mets la pédale douce : pas d’empreintes dessus et tu n’es pas certain qu’il s’agisse de matériel maison, vu ?

Il bée des vasistas.

— Vous avez poignardé ce type ?

— Hé ! blondinet, ça va pas la tronche ? Tu me prends pour qui ?

Je lui explique que j’avais simplement neutralisé le petit brigand et que je comptais le faire ramasser (en fait je l’ai oublié, mais n’en parle à personne). Il a dû recevoir une visite intempestive après mon départ ; celle de quelqu’un qui ne lui voulait pas que du bien et qui a profité de la superbe occasion pour se le payer !

— Pour l’instant, conclus-je, pas un mot à Ducharme. Je ne tiens pas à ce que l’affaire dont je m’occupe et la sienne interfèrent. Je peux compter sur toi ?

Il murmure sentencieusement :

— Je ne me ferai jamais tout à fait à vos méthodes, mon cher. Elles sont tellement anarchiques…

Pauvre con ! Et le bourre-pif que je me retiens de lui mettre, il serait anarchique, tu crois ?

— Anarchiques mais efficaces, me contiens-je. Ma fantaisie jointe à ta science constituent une force, Mathias. Quand je rédigerai mes souvenirs, tu y occuperas une place prépondérante, crois-moi.

Tout flatteur, etc.

Faut jamais craindre de leur mouiller la compresse, à tous ces connards vanneurs ! Ils en redemandent sans cesse. La lèche, c’est le lubrifiant des rapports humains. Notre société est régie par la pipe davantage que par les lois.

Une tape cordiale dans le dos.

— Un de ces dimanches, il faudra que vous veniez déjeuner à la maison, risqué-je. Maman vous fera une blanquette de veau. Tu sais qu’outre la crème, elle y met un jus de citron, des câpres et des petits cornichons coupés en fines rondelles ? Je te ferai goûter le beaujolais de mon ami Pivot.

Môssieur le directeur du labo a un léger sourire de con descendant.

— Nous verrons cela au printemps, dit-il, réservé.

Enfoiré, va ! Un gars que j’ai tenu sur les fonts baptismaux de la Poule !

Après que nous l’eussions quitté, Jérémie demande :

— Quand comptes-tu lui mettre une belle avoinée, Antoine ? Je sens que tu en meurs d’envie et ça me ferait tellement plaisir.

— J’attends Noël, réponds-je. Comme je ne sais pas quoi offrir, ce sera mon cadeau.

T’as ceux qui créent la Pyramide du Louvre, l’Arche de la Défense ou l’opéra de la Bastoche.

Et puis t’as les autres.

Ceux qui marnent dans le clapier « Sam’Sufy » ou le petit immeuble de « confort », en banlieue. C’est à la seconde catégorie qu’il appartient, Albéric Wesmüler. Son atelier d’architecte a été aménagé dans une aile de sa villa ; assez judicieusement d’ailleurs, de manière à ce que sa vie professionnelle et sa vie privée se côtoient sans se gêner.

Quand tu te présentes à la grille, un panneau indique que « l’Atelier d’Architecture » est à droite (suivre l’allée).

Nous l’empruntons.

« Sonnez et entrez ».

Je sonne et nous entrons.

Un petit hall d’accueil avec une secrétaire coiffée ébouriffée, dans les tons feuille-morte. Robe verte. Des lunettes retenues par une chaînette pendent entre ses agréables mamelles et une seconde paire chevauche son nez un peu trop bourbonien à mon goût.

Elle est en train de se livrer à l’occupation propre à toutes les secrétaires quand elles ne se font pas les ongles ou ne téléphonent pas à leur petit ami : elle tape à la machine. Et ça fume, je te prie !

Elle termine son paragraphe avant de relever la tête et de nous proposer un sourire un peu défraîchi pour avoir trop longtemps séjourné à l’étalage.

Je lui réclame M. Wesmüler. Elle me répond qu’il est « en chantier » (comme la vérole) mais qu’il ne saurait tarder, ayant un rendez-vous au téléphone des plus important dans un léger quart d’heure.

Gentillette, la vieille fillette carabosse nous propose d’attendre et nous chaussons nos culs de fauteuils en rotin équipés de coussins.

Elle se remet à faire chier le clavier de sa vieille I.B.M. à boule (ma préférée, j’en ai tué une bonne douzaine sous moi) en arrangeant fréquemment les mèches rousses de ses cheveux, en réalité grisonnants, biscotte la présence — et surtout le regard — de deux beaux hommes lui mettent des pincements au cœur et des mouillances dans le slip.

Une pendule électrique épinglée au mur craque ses secondes comme autant de petits pets à chaque saccade de l’aiguille rouge.

Moi, la tête renversée sur le dossier inconfortable, les mains croisées au bas de mon ventre, le regard mi-clos, le cervelet au bain-marie, je me concentre sur cette diablesse d’histoire. Ça se déroule rapido, comme un film d’action bien torché. Les Wesmüler au cinoche de Boulogne. Deux voyous : Fluvio et Marien s’en prennent à eux. Le second estourbit l’époux, le premier embrasse l’épouse et lui pose un ranque. La femme va au rambour, Fluvio se pointe, des motards le trucident, Mme Wesmüler se tire. Dans le coffre de la Golf je déniche un magnéto dont la cassette contient l’enregistrement d’une conversation téléphonique établie où il est question d’une organisation de Singapour nommée « Le Singe Blanc ». Visite chez Fluvio qui héberge une épave de fille camée. Dans ses affaires, je découvre un album contenant des photos consacrées à la fille d’un roi des affaires de Singapour. Je rends visite au gars Marien, le complice (et le fourreur) de Fluvio. Il ne m’apprend pas grand-chose. Ne pouvant l’emballer sur l’instant, je l’enchaîne et quelqu’un le surine dans sa chambre après mon départ. Nuit d’ivresse avec Madeleine. Au matin, je me rends chez Elianor Dakiten, la vedette partouzeuse qui a connu des nuits orientales pas dégueues avec Fluvio. C’est elle qui me rancarde au sujet de la fille de l’album. Content, je vais à la Maison Pébroque où j’apprends deux nouvelles considérables : Bérurier écrit ses souvenirs et « la femme blonde », Sonia Wesmüler, est partie pour Singapour ! Voilà, résumé en style presque téléphonique, le développement de l’aventure. Nota : Fluvio était armé et son pote également, ce qui donnerait à penser que les activités de ces deux loubards n’étaient pas aussi vénielles que Marien tentait de le faire croire ou alors qu’ils redoutaient un danger.