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— Excellent travail de préparation, applaudit le Vieux. Comme je le répète à mes bougres : « une barbe bien savonnée est plus qu’à moitié rasée ! »

Cette citation est de moi, mais ma générosité naturelle m’incite à laisser le paon se parer des plumes du coq !

— Et à propos de l’enquête en France, quoi de nouveau ?

— Jérémie Blanc est sur une piste à propos de Michel Cramouillet.

— Il va vite en besogne pour un nègre.

— Il est plus policier que noir, déconné-je, certain que la formule agréera au Vénérable.

De fait, le croûton opine.

— Dites-moi, Antoine, savez-vous si l’on trouve à Singapour des instituts de massages spéciaux ?

— C’est très probable. Sinon vous pourrez faire une extension jusqu’à Bangkok pendant que j’enquêterai.

Ça lui échauffe les lobes.

— Pendant que VOUS enquêterez, Sant-Antonio ! Ah ! ça, vous vous imaginez que je vais à Singapour me tourner les pouces ? Prendre du feu en vous regardant fonctionner, moi qui vous ai inventé de fond en comble, formé de toutes pièces ?

— Je voulais dire, patron, qu’il vous serait loisible d’effectuer un aller-retour à Bangkok pendant que j’exécuterai vos directives, pourléché-je précipitamment.

— Ah ! bon, pardonnez mon humeur, je n’avais pas compris.

— Cela dit, enchaîné-je, il est probable que vous trouverez des masseuses spécialisées sur place. Je m’informerai auprès du concierge sitôt arrivé.

Je ris et change de propos :

— Savez-vous que j’ai essuyé une scène de Bérurier, lequel tenait à être du voyage afin de connaître, lui aussi, ces fameux instituts ?

— Ce grotesque ! Vous imaginez son sexe de baudet dans les mains de ces graciles créatures de rêve ?

— Entre les mains, la chose est concevable à la rigueur, c’est entre les fesses que le doute me prend, commencé-je. Ces personnes d’Asie sont habituées à des pénis peu conséquents. Cette chose est si vraie que les fabriquants de préservatifs produisent des séries dites « garçonnet » pour les besoins orientaux ! Je n’ose imaginer les dégâts que pourrait causer le membre forcené de Béru, monsieur le directeur. Il a déjà disloqué nombre de chattes françaises. Celles des dames asiates ressemblent aux étuis des épées académiques, et vouloir y engager une chopine d’un tel calibre ferait de ces malheureuses des kamikasées du sexe. L’héroïsme du cul ne va pas jusque-là !

Ayant dit, je me sens saisi de presque épouvante. Suis-je la proie d’un mirage ? Halluciné-je ? Toujours est-il qu’un type énorme vient de dépasser nos sièges et remonte vers l’avant de l’appareil en égrenant un chapelet de louises.

— Béru ! sourdiné-je !

L’individu pète mais entend.

Se retourne.

Et c’est Béru !

— Monsieur le directeur, balbutié-je, voyez-vous ce que je vois ?

— J’allais vous poser la question, marmonne Achille.

La tête d’hilare se rapproche.

— Salut, vous deux, fait-elle avec une familiarité qui, pour s’exprimer à onze mille deux cents mètres d’altitude, n’en est pas moins déplacée. Ça boume ? Comment avez-vous-t-il trouvé l’saumon ? Il m’a semblé qu’il avait un goût d’cramouille négligée ; j’ai dû claper la part à Pinaud qu’est si délicat question fraîcheur.

— Pinaud ! Toi ! Dans ce zinc ! Mais comment ? Mais pourquoi ? débité-je en ordre dispersé.

— Nous attendons vos explications ! ajoute sévèrement le chevelu-à-l’envers.

— Vacances ! laconise l’Enorme ; j’ai droit à dix jours et Pinuche est en congé d’longue maladie rapport à son emphysème pneumonaire qui l’chicane toujours à l’automne. Y m’a offri un voiliage à Singeapoux, comme quoi ça n’y disait rien d’y aller seulâbre.

Sa Majesté balance un pet d’urgence, un pet de dernière semonce qui manque déstabiliser l’avion.

— Faut qu’j’allasse, escuse ! dit-elle, qu’sinon on court à la cata, biscotte comme on n’part qu’pour quéqu’jours, j’ai pas pris d’slip d’rechange. J’sus certain qu’c’saumon déconnait ; j’aurais bouffé un’chaglatte d’vieille bohémienne qu’elle eusse eu meilleur goût.

Et il fonce vers les chiches en dégoupillant préalablement son pantalon.

— San-Antonio, déclare Achille, glacial, arrangez-vous comme vous voudrez, mais je ne veux pas avoir ces deux tarés dans les jambes !

— Je ferai le nécessaire, monsieur le directeur.

— Qu’aviez-vous besoin de dire à ce poussah que nous partions pour Singapour !

— Ce n’était pas un secret, monsieur le directeur.

— Depuis que Pinaud a fait fortune, nous pouvons tout craindre, ronchonne-t-il. Entre les mains des médiocres, l’argent devient une arme redoutable alors qu’il est un outil dans celles des riches.

Une divine hôtesse, galbée à souhait, tortilleuse comme j’aime, fardée délicatement et parfumée dans les tons sobres nous drive (V.I.P. que nous sommes) jusqu’au tourniquet des bagages. Pendant que nous attendons nos valdingues, le couple fameux et fumeux Béru-Pinuche passe, se dirigeant vers la sortie. Pinaud porte un command-case tout cuir, boucles et ferrures haute sellerie (rave) ; Bérurier, un sac de supermarché en plastique véritable. Les deux s’arrêtent à notre hauteur.

Pinaud salue le boss d’un : « Mes respects, monsieur le directeur » très vieille France badernique. Malgré cela, Chilou n’y répond pas.

— Faut qu’on va vous aider ? s’informe Béru.

Là, Achille décharge sa bile.

— La seule aide que vous pouvez nous accorder consiste à disparaître ! aboie-t-il.

Le tandem rembrunit et s’éloigne. J’ai le cœur serré.

Taxi, drivé par un petit juif de je ne sais où. Il nous raconte la ville sans qu’on lui demande rien. Nous explique que l’immense et large avenue qu’il suit peut être aménagée en piste d’aéroport en cas de besoin. Il suffit de déblayer les bacs de ciment fleuris qui la divisent en son milieu pour séparer les voies montantes des voies descendantes, et alors tu obtiens une piste où même les gros porteurs peuvent atterrir et décoller.

C’est le matin. Une espèce de New York neuf se dresse devant nous, dans une vapeur rose.

À l’hôtel Dragon, on nous a réservé deux chambres communicantes ; chacune est vaste comme le salon d’apparat de l’Élysée et beaucoup mieux meublée.

— Quel plan d’attaque proposez-vous, patron ? sollicité-je.

Il est catégorique :

— Pour commencer, nous devons prendre un bain, puis faire un somme réparateur afin de compenser le décalage horaire.

Ainsi parla le général Weygand lorsqu’on le rappela du Moyen-Orient en 40 pour venir au chevet de la France mourante. Les hommes de guerre français dorment avant d’agir, or comme l’ennemi agit avant de dormir…

Achille justifie sa décision :

— On ne fait rien de bon lorsqu’on est fatigué, mon cher, n’oubliez jamais ce précepte. Je vous ferai signe quand je me réveillerai.

Et il passe dans ses appartements.

Tu sais quoi, ton Sana ? Un coup d’eau de toilette sur le museau, une bonne repeignade. Qu’ensuite je change de limouille.

Et en route, matelot, pour de nouvelles aventures !