Mon regard, encore plein des algues du sommeil, s’habituant à la pénombre, je ne tarde pas à capter la vérité. Les yeux, ils ne sont pas exigeants le moindre. Tu crois toujours qu’il te faut des ampoules de cent cinquante watts pour vivre la nuit, en réalité, grâce au phénomène d’accoutumance, tu parviens très bien à traquer tes morpions à la lueur d’un ver luisant.
Chiang Li !
Comme j’ai l’honneur de te le dire. Sublime à s’en mordre les châsses, dans une robe-fourreau noire en lamé.
Elle n’a pas lâché ma dextre, me contemple d’un regard infiniment voluptueux.
Putain, si je m’attendais ! Ce morninge, sa froideur, sa réserve extrême m’avaient surpris. Je me demandais pourquoi le roi du bazar mourronnait pour sa petite princesse, l’au point que je la voyais b.c. b.g. mutismeuse, docile, effacée pour ainsi dire. Mais là, je pige sur grand écran. Elle m’a jeté son dévolu, la môme. Sous ses mines hermétiques, elle appréciait le bonhomme. Se disait qu’elle devait être un crack du chibre à moustache, la belle affure venant de Paris ! Une grosse bite messagère, en somme ! Le goume forcené plein d’inventeries superbes. Le gusman intrépide du radada. Qu’avec un gars façon mézigue, les slips devaient ruisseler comme les toitures savoyardes à la fonte des neiges !
Cette certitude l’a totalement investie. Son tempérament de braise incandescente l’a conduite à me visiter. « Mister San-Antonio, please ? « Il est dans son appartement, Miss. Dois-je le sonner ? » « Inutile, je vous remercie. » Elle est montée. Son garde du corps parfaitement équipé lui a déponné ma lourde en un tour de con. « Entrez, vous êtes chez lui ! » Est-il au moins demeuré dans le couloir, cet enfoiré ? J’espère qu’il n’est pas assis en tailleur dans un coin de la chambre à attendre que ça se passe.
Parce que, laisse-moi t’informer d’une chose : ça va se passer ! T’arrêtes plus un rouleau compresseur sans frein dans une descente ! Moi, je crie pouce à l’enquête. Voire pousse-pousse ! Il a droit à quelques instants de repos, le guerrier, non ?
— Vous me jurez que je ne rêve pas ? démarré-je, assez conventionnellement, je sais, mais dis, on n’attaque pas Cyrano par la tirade des nez !
Sa deuxième main (que n’en a-t-elle autant que son bouddha, la chérie brûlante) m’effleure la région protubérante pour un bref bulletin d’information. Elle y puise l’assurance qu’elle vient de fracturer la bonne porte ; ça va être temps sec et chaud sur l’ensemble du pays !
Elle gazouille :
— Je n’aime l’amour qu’avec les Latins !
— Et comme vous avez raison, douce Chiang Li. Le reste n’est que du décaféiné ! Votre présence me comble ! Quelle sublime initiative avez-vous eue en venant me rejoindre !
Mais mon blabla ampoulé ne constitue pas sa tasse de thé (c’est le cas d’y dire). Elle, les phrases tarabiscotées, elle s’en respire à longueur d’existence, alors tu penses ! Elle est là pour faire relâche, pas pour se respirer des vers libres.
— Il paraît que les Chinoises n’aiment pas le baiser sur la bouche ? risqué-je.
En manière de réponse, elle s’allonge sur moi. Elle sent la roseraie au matin, la jeune fille fraîche éclose, un tout petit peu le patchouli aussi. Sa bouche ventouse la mienne, sa langue force (sans mal) mes lèvres. On se galoche à l’éperdu : valse des patineurs qui nous arabesque le centre des télécommunications.
Moi, puisqu’on se dit tout, une robe-fourreau, j’ai jamais pu lui résister. Faut que j’en dépiaute la dame qui la porte. Comme en général c’est pas les grosses vachasses qui peuvent se couler dedans, mon entreprise est chaque fois payante ; sauf la fois, à Hambourg, où j’ai découvert que j’avais affaire à un travelo hormoné femelle.
La robe-fourreau, t’as pas la possibilité de l’attaquer par le bas, à moins de chiquer les Attila et d’y aller à la saccagette ; ce qui n’est pas mon style de gentleman, bien que certaines aiment ça. Non, la robe-fourreau, faut l’entreprendre par le haut, c’est-à-dire par sa fermeture Éclair ; dégager les brandillons, puis rabattre façon peau de banane. La personne doit se prêter à cette opération. Ça signifie qu’on ne viole pas une gonzesse en robe-fourreau et c’est pourquoi elle est de moins en moins portée par les dames.
Chiang Li, j’en crois pas mes sens de l’avoir dans mon plume, si ardente. Elle me laisse dépêtrer sa pelure en me regardant fixement. Moi, je lui débite des dingueries en français. Des trucs qui partent des couilles, donc sincères. Comme quoi elle m’a fasciné ce morninge, et que depuis, j’ai un tricotin permanent dans le calbute. Ce sont ses photos, sur l’album qui m’ont décidé à venir. Que je vais la faire reluire comme un dingue. La biter de bas en haut, recto verso et dans le sens des aiguilles d’une montre ! Que je lui suppose une petite chatte de tirelire peu apte à mon braque occidental, mais qu’on y mettra le temps qu’il faudra pour lui faire respirer ce morceau choisi de la culture française.
Ça y est, encore deux semi-reptations de la greluse et la voici complètement à loilpé. Sous sa robe, elle ne portait ni soutien-gorge, ni culotte. Directo du producteur au consommateur. C’est étourdissant, une créature pareille à disposition (à dix positions). T’as du mal à te juguler la bandoche, à organiser tes perpétrances. Ça t’intimide, à force de trop. Tu voudrais être au four et au moulin en même temps.
Je prélude à l’après-midi d’un faune par un léger frottaillou du plat de la main sur ses cabochons. Le sursaut m’indique que je travaille pas sur le 110 mais carrément sur la haute tension. Achtung ! Ça va décoiffer !
Surtout ne brusque rien, Antoine ! Va l’amble, garçon ! Mollo ! N’oublie rien de ton abécédaire amoureux. Performe, mec ! On t’a cherché, on t’a trouvé, tu dois justifier la démarche. La princesse des bazars te veut, c’est toi qui dois l’avoir impeccable pour que ça soit parfaitement réussi. Car la femme qui te veut, veut en réalité que tu l’aies ; et pour que tu l’aies, elle doit l’avoir dans la moniche, mon fils. L’amour, en somme, n’est qu’une déclinaison du verbe avoir.
Cela dit, je pars du sommet et lui mordille alternativement les lobes, avec légère langue mouillée dans le pavillon à conneries, manière de la gouzigouziller.
N’ensuite, je passe au cou. Trop de cons le négligent. Le prennent pour un fossé et le sautent. J’ai vu quelques raffinés s’occuper des portugaises, jamais des qui se soient consacrés au cou. C’est sous les maxillaires qu’il convient d’intervenir. La belle râpeuse, ponctuée, là encore, de légers mordillages[8]. Je devrais pas te donner la recette, mais enfin on s’emplâtre pas les mêmes gerces, je risque rien. Un seul inconvénient à cette pratique, c’est que c’est l’endroit où la frangine que tu entreprends pose sa touche de № 5 de Chanel, et que ça te picote la menteuse. Mais dis-toi, Eloi, qu’on n’a rien sans tracasseries. Faut éplucher son orange, se brûler les doigts avec les asperges, et se les meurtrir avec les carcasses de langoustes avant de déguster ces produits de la ferme.
Qu’ensuite du cou, je descends toujours pour un bivouac aux robloches. De deux choses l’autre : ta partenaire est mamellidienne ou pas. Si elle l’est, tu le piges illico, en ce cas, ne crains pas de t’attarder à ce point d’eau, tu ne lui en feras jamais suffisamment. Si elle ne l’est pas, son absence de réaction te l’indiquera rapidos, et alors ne lui fait pas perdre son temps, c’est trop grave.
8
Contrairement à ce que tu vas croire, « mordillage » n’est pas sanantonien, mais français.