La môme amorce déjà sa décarrade de printemps. La travailler est un bonheur. Je me sens devenir concertiste, solo de tous les instruments, alternativement : clarinette, piano, batterie, violon, hélicon, basse… Ah ! elle ne regrette pas son audace qui l’a poussée à s’introduire dans ma chambre, la belle Chiang Li.
Mais bon, si je te détaillais par le menu la totalité de ce que je lui pratique, ce bouquin n’y suffirait pas ; faudrait me lancer dans le roman-fleuve et pas seulement Fleuve Noir. Pondre l’équivalent de la Comédie Humaine, des Rougon-Marcquart, des Hommes de bonne volonté ! Ça prendrait des jours, te ferait goder et éternuer dans ton Kangourou dix fois l’heure ! Je suis obligé de gazer, surtout avec tout ce qui me reste à te narrer ! T’as remarqué que je deviens de plus en plus abondant ? Et pour le même prix ! Mes éditeurs s’arrachent les tifs, comme quoi leur marge bénéficiaire est nazebroque. Ils me supplient de prendre exemple sur Marguerite Duras dont les books sont mignards, d’à peine cent quarante pages ! Elle a trouvé une astuce formide, cette écrivaine : elle les fait très chiants pour donner l’impression qu’ils sont longs. Moi, ma directrice littéreuse me répète sempiternellement : « Mais fais-les courts et chiants, toi aussi, bordel ! Tu vas nous ruiner en composition ! » Je réponds chaque fois que je vais voir. Mais quand je suis à l’établi, bernique ! La conscience professionnelle m’empare et je ponds du palpitant, du bien bandant, un tantisoit drôlatique. Je pars du principe que le client est roi. Un lecteur, tu le biteras une fois, deux fois, jamais trois ! Note qu’elle sent bien que je suis dans le vrai, la Founi (c’est le surblaze de la dirluche que je te cause), mais à propos de composition, faut qu’elle compose elle-même avec les tronches pensantes du Groupe. Tout le monde rend des comptes à plus haut perché que lui. C’est l’escalade sans fin. Ça grimpe, ça grimpe ainsi de suite jusqu’au bon Dieu, lequel, parfois, salement embêté, renvoie la balle dans le camp des hommes, et tout est à recommencer. On pure-perte en couronne !
Cette déconnade pour te dire que Chiang Li, c’est un coït de super-gala que je lui sers. Je laisse la bride sur le cou de mon imagination. La bricole dans le très somptueux. On pourrait imprimer tout ce bingntz sur papier couché, papier mâché, ou d’Arménie, comme les chansons d’Aznavour.
Elle, c’est pas une bruyante. Elle laisse les clameurs aux charcutières de banlieue qui vont se faire tirer à Pantruche leur jour de fermeture. Qu’à peine un léger gémissement lui échappe, temps à autre, sous mes assauts. À propos, mes redoutances étaient infondées. Ninette, elle a dû déjà se respirer tant tellement de braques que ce qui, originellement, avait l’apparence d’un œillet de boutonnière est devenu une porte de hangar. À se demander si elle serait pas zoophile, mine de rien, au plus fort de ses transports. Si elle copulerait pas avec un bourrin, et même un éléphant, les jours de liesse ? T’as le nœud qui lui déambule dans la craquette comme toi au Louvre ou au Grand Palais.
Lorsqu’elle atteint l’apogée et qu’elle va larguer les amarres, simplement, elle chuchote :
— Je crois !
Et ça m’émeut, tu peux pas savoir l’ô combien ! Jamais on ne m’avait balancé ces deux minuscules mots : « je crois » ! Ça m’emplit de bonheur. J’en ai les testicules flattés. Dès lors je l’accomplis en grandes pompes en sortant mon coup de reins d’exception qui m’a valu une médaille d’or à Séoul.
Là, tout de même, elle exhale une plainte légèrement plus sonore. Son fabuleux regard de chat siamois (si à moi) reste fixe. Sa poitrine sublime se soulève. Elle laisse filer une minute avant de chuchoter « Merci ». Ça aussi, c’est gentil, je trouve. Une bête de race, j’ai affaire. Tu sais que pour une fille à papa, une princesse ajouterais-je, au tempérament de feu dans un corps de déesse, elle est pas mal du tout. Elle a reçu une bonne éducation, Chiang Li. L’aurait été élevée chez les religieuses que ça ne me surprendrait pas : baiser avec autant de tact.
Je m’allonge à côté d’elle. Je veux la prendre dans mon bras pour la câliner, bien lui démontrer que je sais vivre et ne suis pas de ces butors qui, leur cargaison larguée, se cassent en allumant une cigarette, sans toujours dire au revoir ; mais elle refuse la caresse. Pour elle c’est terminé. J’ai rempli mon office, elle m’a dit merci et à présent il est l’heure d’aller voir autre part si elle y est.
Dépité, je chuchote :
— Attendez, princesse, ce n’est qu’une pause. Nous allons poursuivre cette félicité.
Sans piper (c’est vrai, elle pipe pas, mais je m’en suis bien passé), elle renfile sa robe-fourreau, puis ses fines chaussures. Elle va à la porte, toujours sans se retourner, et l’ouvre en grand. Elle sort dans le couloir sans la refermer. J’ai l’air malin, moi, avec mon panais encore dodelineur sur les cuisses. Quelqu’un passerait à ce moment-là…
Et, justement, quelqu’un passe.
Et même fait mieux que passer : entre délibérément. C’est son garde du corps que je t’ai raconté plus avant, le robot de dessins animés japonais. Je rabats vitos le couvre-lit sur ma camarade coquette en désordre.
— Vous pourriez fermer la porte ! bougonné-je.
Au lieu de tenir compte, messire dégaine un moukala gros comme ça, au canon interminable biscotte le silencieux vissé au bout.
Il l’élève et m’ajuste. Dans un affolement de gamberge, j’essaie de piger. La gueuse efface derrière elle les témoins de ses dépravations. C’est la mante religieuse qui tue le mâle après l’accouplement.
L’œil gauche du Jaune se ferme. Je vis cela au ralenti. Dans un sursaut, je me jette hors du lit. Tentative vaine, folle, inutile. L’homme se tient à deux mètres de moi alors tu penses : que je sois sur le pageot ou la courtepointe, ça change quoi ? Je vais échapper à la première balle. « Pan ! » voilà qui est fait. Peut-être encore à la seconde en roulant sur le côté. « Pan ! » c’est fait aussi. Mais maintenant je suis bloqué contre la commode et la troisième bastos sera la bonne.
Seulement, il n’y a pas de troisième balle. Et je vais t’expliquer pourquoi, Benoît.
Tout culment parce qu’un énorme Asiatique ventru vient de se jeter dans ma chambre en brandissant une statue représentant un éléphant, et qu’il l’abat sur la tronche du tireur. L’éléphant est en bronze. Pas la boîte crânienne du garde du corps. Il tombe raide, comme un arbre scié à sa base, la face sur la moquette, sans le moindre soubresaut. La carrosserie de son cervelet est complètement défoncée et lui, mort comme il ne l’a encore jamais été, a lâché son rigoustin, lequel a glissé jusqu’à moi.
L’Asiatique déclare :
— Si j’s’rais pas là, t’y seras plus beaucoup non plus, mon pauv’ Sana !
Béru !
Sobre dans un costar encore blanc, un chapeau de paille sur la tronche. Il a rasé sa moustache et s’est passé entièrement le corps au brou de noix. Avec un crayon à cil, il a fendu son beau regard de chamois éploré.
Un second personnage survient : Pinuche, lui aussi transformé en Mandchou. Par contre, lui, il a conservé des baffies, mais les a teintes en noir et rendues davantage tombantes. Déjà, initialement, sa morpho pouvait prêter à confusion, avec son teint jaune et ses traits émaciés. Aussi, sa modification est-elle pleinement réussie.
— Vouairise la gonzesse ? demande Béru en anglais.
— Elle est partie avant que tu n’interviennes, répond le milliardaire ; elle était pressée de s’éclipser.
Je me saboule en un temps record. Ça continue de confusionner sous ma coiffe, pourtant, déjà un plan d’action s’organise.