Elle désuife de partout, la cavalière. Dans cette posture, ça débâcle nécessairement ! L’amazone pique des deux afin de lui enlever le copeau brillamment. Ses potesses lui lancent des encouragements.
À cet instant, il y a brouhaha en coulisse. La porte s’ouvre après qu’on y eût brièvement toqué. Un malabar malais s’inscrit dans l’encadrement. Baraqué champion : haut de deux mètres zéro cinq, une moustache noire d’encre pareille à une chaglatte d’épicière turque, coiffé d’un turban. Il déclare quelque chose à la matrone. Celle-ci répond brièvement. Le gars se retire, mais il va reviendre bientôt puisqu’il laisse la porte ouverte.
C’est le moment où la chevaucheuse d’élite saute à bas de sa monture et s’enfuit vers des bidets de grand pardon en trottinant menu, cuisses serrées : soldats, droit au cul, mais épargnez la moquette ! L’Hindou demeure inerte, avec ses aiguilles disséminées dans la viande. Son mât de misaine se fait soudain roseau penchant.
Et bon, je reviens à la porte qu’on ouvre grand. Ils sont quatre : le garde moustachu plus deux autres garçonnets de son calibre qui maîtrisent un énorme Chinois qui n’est autre que Bérurier. Te dire l’effarement du valeureux commissaire ! Béru ! Mais qu’est-il venu foutre ici ? Et comment diantre a-t-il retrouvé ma trace, et si rapidos ?
Chiang Li réclame des explications aux gardiens. Je ne pige pas la réponse car on n’étudie pas le cantonais non plus que le mandarin, le sanscrit ou le malais à l’école communale de Saint-Chef, et c’est très évidemment l’un de ces quatre patois qui est présentement utilisé.
À la fin, elle me demande :
— Vous connaissez cet homme ?
— Pas le moins du monde ! menté-je.
Œuf corse, elle ne me croit pas, mais se réserve de pousser ultérieurement l’entretien, car l’un des trois mercenaires vient lui chuchoter quelque chose dans l’esgourde.
Elle demande :
— Qu’avez-vous fait du cadavre de mon garde du corps ?
— Je l’ai laissé à l’hôtel.
— C’est faux : il n’y est plus !
— Alors c’est que son âme est montée au paradis avec son enveloppe charnelle, plaisanté-je cyniquement.
Je viens de piger pourquoi le Gravos est là. Chiang Li a dépêché des messagers au Dragon Palace pour y récupérer la carcasse de son zébu. Ils ne l’ont pas trouvée dans ma piaule parce que, suivant mes directives, Béru et Pinuche avaient déjà « fait le ménage ». Leur venue n’est pas passée inaperçue de mon tandem d’or et le Mastar les a suivis. Seulement, ce sont des gonziers un peu marles et ils ont vite retapissé Bébé-lune. Du coup, le guetteur est devenu proie.
Je suis satisfait car j’aime bien comprendre.
Le Mammouth a dû regimber et se faire bastonner dûrement car il est couvert de ce qu’il appelle des « esquimoses ». Les deux lampions dans les teintes violaces, du raisin qui dégouline de son pif sur ses fringues, une manche arrachée, à demi essorillée (Van Gogh qui aurait fait philippine), une bosse en cours de gonflage sur le front ; drôlement touché, le pauvre Gros.
Il a dû entendre que je niais le connaître car il ne m’adresse pas le moindre signe d’intelligence (d’ailleurs, le pourrait-il ?). Il visionne les lieux, aperçoit l’Hindou avec sa bitoune en dodelinance et défoutraison, et grommelle :
— C’est l’orgie romaine, on dirait ! La grande partouze av’c toute la troupe au final !
La dame bordelière lance un ordre à nouveau. C’est décidément elle, la grande prêtresse des réjouisseries. Le petit acupuncteur vient récupérer ses aiguilles et les remet dans sa boîte de laque noire après les avoir stérilisées en les essuyant sur sa manche. Ensuite, deux valets délient le récent découillé, non pas de son serment, mais de ses sangles.
La taulière se rend alors dans un angle de la pièce et soulève une trappe astucieusement camouflée : elle est recouverte d’un tapis à ses dimensions, que l’on a encollé dessus.
— Venez voir ce qui vous attend ! me dit Chiang Li.
Je me redresse, embarde un brin, biscotte mes fumerons sont encore branlants, et la suis jusqu’à la trappe.
La grognasse à gueule de lampion s’agenouille et bricole je ne sais quoi à l’intérieur du trou. Aussitôt un bruit de moteur se fait entendre.
— Penchez-vous ! m’enjoint Chiang Li.
À un mètre au-dessous de moi, j’aperçois des pales groupées sur un large essieu, et aussi des rouages, le tout fonctionnant dans un bac de métal en forme d’entonnoir.
La bordelière adresse un signe. Quelqu’un branche une musique indonésienne à base de cloches et autres instruments à percussion d’une énorme résonance. Le vacarme devient insoutenable car ils ont monté le niveau au max.
Nouvelles directives : les valets s’emparent de l’Hindou, lui lient pieds et jambes pour en faire un sauciflard humain et appliquent sur son museau un large bâillon adhésif.
J’ai déjà pigé. Mes poils se hérissent comme ceux de ta brosse à dents.
Effectivement, ils tiennent le malheureux à la verticale et l’enquillent par la trappe. Malgré la musique cacophonique et tympanicide, on perçoit les hurlements fous du supplicié. Ses pattounes sont happées, broyées. Les aides-bourreaux continuent de le maintenir malgré ses contorsions désespérées. Le corps du pauvre gars continue de s’enfoncer progressivement. Instant démentiel !
Cette Chiang Li est folle à lier ! Et sa cour autant qu’elle ! Comment une aussi belle fille peut-elle atteindre pareil degré de dépravation ?
Ces demoiselles, gourmandes, font cercle et regardent broyer l’éjaculeur. Pour ma part, je défaille, vision insoutenable. L’homme est réduit de moitié, la broyeuse lui attaque maintenant le bassin. Il est déjà mort. Je recule et m’effondre sur un canapé.
Une main charitable stoppe la musique devenue superflue puisque l’Hindou ne peut plus crier. On perçoit juste le ronron inexorable du moteur et le bruit hideux du broyeur malaxant, disloquant les chairs.
— Béru, balbutié-je, nous sommes en enfer !
ACTION
Même quand il est en enfer, Bérurier garde bonne figure (de con). Rien ne le terrasse (de bistrot). Il conserve toujours un espoir insensé, une confiance inexorable. Parfois, je l’étudie et j’éprouve un certain réconfort en songeant que la mort doit être ainsi : soutenue par l’espérance. Qu’il existe, coûte que coûte, un no man’s land où la cruauté, la souffrance et l’horreur font relâche, et où l’homme, même en criant de douleur, se sent pénétré par une prodigieuse acceptation qui lui permet de tout subir. Je sens qu’à l’instant, le pauvre Hindou, au plus fort de l’abomination, sentant son corps déchiqueté menu, avait le sentiment de bientôt échapper à son sort atroce, la certitude qu’il allait sortir intact de l’indicible souffrance qu’on lui infligeait. Je sais qu’il est mort confiant. Trop de douleur doit engendrer l’anesthésie. Il faut franchir la barbare frontière du paroxysme pour s’affranchir enfin des misères humaines. L’intensité débouche sur le salut, c’est la suprême clémence.
Chiang Li me parle. Que dit-elle ? Je dois produire un effort de concentration pour l’entendre. Elle me donne cyniquement des explications techniques. Elle déclare :