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Je lui révèle que je suis l’amigo de Prince Larwhist, lequel l’a chargé d’un travail pour moi. Le gars, j’oubliais, est en train de claper une nourriture gangrenée dans un bol. C’est noirâtre et ça pue.

Mister Mâ Jong a un léger acquiescement. Il achève de s’expédier dans la margoule un tacon de bouffe céréalière (il y a également des morceaux de poisson et de la sauce hallucinogène dedans). Puis il se lève.

— Si vous voulez bien me suivre, propose le détective en gagnant une porte basse.

Va-t-il pouvoir passer par l’ouverture, malgré son embonpoint ? Oui ! Et sans chausse-pied, il pénètre dans une espèce de réduit garni d’étagères sans importance collective. Et après ?

Ben, après, il y a une seconde porte au fond de cette souillarde, mais qui n’est apparente que lorsque tu la pousses. Elle donne sur une pièce vaste et luxueuse, décorée de tentures de soie, de meubles laqués, de tapis épais, de lustres pimpants, de canapés tendus de satin aux couleurs vives. M’est avis que Mâ Jong mène une double existence. Il vit officiellement dans la pouillerie, mais il a à disposition un local de qualité dans lequel ses pinceaux cradoches détonnent.

Il me désigne un fauteuil.

— Je vous prie !

Je me dépose.

Ce mec, malgré son accoutrement, ses pieds sales et sa bouille de coolie en chômage, paraît aussi à l’aise dans ce salon qu’un gonocoque dans une blennorragie.

— Puis-je vous offrir un whisky ?

— Volontiers.

Il ouvre un buffet bas aux incrustations de cuivre et d’ivoire, en sort un plateau lesté de godets et de boutanches. Il y a même un petit bac à glaçons thermique. Son J and B est de first quality. Il sert deux rations importantes, me présente l’un des verres.

— Avec ou sans glace ?

— Avec.

Gling ! Gling ! Deux jolies banquises se mettent à attendre le père Cousteau en tintant contre les parois de cristal.

— Votre logement est inattendu, Mister Mâ Jong, lui dis-je.

— Pour vivre en paix, il convient de ne pas susciter l’envie, répond ce philosophe.

Tchin ! Ou plutôt « Chine ». Je bois à sa sagesse.

— Vous avez des nouvelles à me donner de la dame qui m’intéresse ?

— Certes.

— En ce cas, je vous écoute.

— Cette personne a quitté vers seize heures la résidence de Martin Maldone dans une Volvo décapotable. Un chauffeur malais conduisait la voiture. Ils se sont rendus 609, Mayer Road.

Pourquoi, illico, cette adresse se met-elle à frétiller dans mon souvenir ? Je sais que j’en ai eu connaissance au cours de mon enquête. Pine et mémoire d’éléphant, l’Antonio ! Avec lui, rien ne se perd, rien ne se crève, tout s’emmagasine. L’humus de ma mémoire s’enrichit de mille et une notations. Même le flou se fixe dans quelque recoin de mon caberluche où il s’opacifie pour fournir du concret.

Je répète :

— 609, Mayer Road…

Et puis le reste suit :

— Chez un certain N’Guyen, n’est-ce pas ?

L’autre a un léger sourcillement.

— Exact.

— Lequel est mort en France le 28 janvier de cette année dans des circonstances dramatiques : en nettoyant son fusil, il s’est fait éclater la tête.

— Je pensais vous l’apprendre, murmure à regret Mâ Jong.

— Car vous avez pris des renseignements sur les gens que visitait Mme Wesmüler ?

— Je considère que cela fait partie de mon travail, monsieur. Si je suis très demandé, c’est parce que je fais bien les choses.

— Je vois. Bravo !

Il ramasse un coffret de laque brune sur une table et l’ouvre.

— Cigare ?

— Je ne fume que des Davidoff number one, le snobé-je.

— Ce sont des Davidoff number one, annonce le détective en me présentant l’humidor.

Il est sciant, ce mec. Et dire qu’à deux mètres de là, sa bonne femme enceinte se traîne entre des brocs de faience fêlés, des linges innommables et des ranceries gerbantes !

Il me choisit un havane à peau souple, le sectionne et me le fait allumer à la flamme d’une soufrante de trente centimètres.

— Vous auriez donc un rapport à me communiquer sur les habitants actuels du 609, Mayer Road ! n’osé-je espérer.

Acquiescement discret du gros lard verdâtre. Il se dirige vers un coin du salon et cueille sur une console de bois tourné quelques photos prises au polaroïd. M’en tends une.

Je reconnais Sonia Wesmüler en robe légère, sac Louis Vuitton, pénétrant dans une maison moderne, de forme géométrique, précédée d’une grille noire et d’une pelouse où croissent des palmiers nains.

— Elle arrive ! annonce-t-il.

La seconde image qu’il me propose montre Sonia escortée d’un homme brun, vêtu de blanc, type asiate.

— Elle repart, fait Mâ Jong.

— Qui est l’homme qui la reconduit ?

— Tû Tan Fou, l’un des principaux collaborateurs de Kong Kôm Lamoon.

Là, vois-tu, Lulu, San-Antonio l’unique bondit à l’intérieur de son slip.

— Qu’est-ce que Lamoon a à voir avec le 609, Mayer Road ?

— Cette maison lui appartient, ainsi qu’une centaine d’autres dans la ville. Il y loge certains de ses gens parmi les plus importants.

— Dois-je comprendre que le dénommé N’Guyen comptait parmi ceux-ci ?

— Il était probablement le bras droit de Kong Kôm Lamoon.

Ça, c’est du neuf ! Attends dix secondes que je puisse bien tout assimiler sans bavures. Ainsi donc, l’Asiatique « accidenté » à l’Auberge des Chasseurs était une créature de Lamoon ? Cet Indochinois, j’en ai la profonde conviction, a eu la vitrine pétée par les Wesmüler (par monsieur ou par madame), ce qui n’empêche pas la Sonia de rendre visite quelques mois plus tard à cette pension Mimosa de grand luxe réservée aux lieutenants de Lamoon ! Tu piges quéqu’chose dans ce tonneau de goudron chaud, toi ?

— Sa visite au 609, Mayer Road a duré longtemps ?

Il tient encore deux photos dans sa main, comme deux cartes à jouer qu’il ne se décide pas à abattre.

— Trente-huit minutes !

— Merci de la précision. Et ensuite, où s’est-elle rendue ?

J’ai droit enfin à la troisième image. Nouvelle habitation de grand prestige dont la porte est sommée du drapeau tricolore. Calme-toi : il s’agit seulement du drapeau néerlandais, à savoir que nos trois chères couleurs ne sont pas glorieusement disposées à la verticale mais connement à l’horizontale. De ce fait, ce sont des couleurs merdiques pour représenter une nation merdique. Je n’ai rien contre les Hollandais, va pas déduire ; simplement, je pige mal à quoi ils servent. C’est pas des vrais Allemands, pas des vrais Flamands, pas des vrais Scandinaves, rien que des blondasses à la con qui ont inventé la housse capitonnée à œufs coques. Y aurait pas eu Van Gogh, on ne saurait même pas que ça existe.

— L’ambassade des Pays-Bas ? je demande.

— Exact. Elle y a passé une heure dix-sept minutes.

Quatrième photo. On voit une dame du genre dondon dodue embrassant Sonia sur le perron.

— Qui est cette personne ?

— L’épouse de l’ambassadeur.

— Elles paraissent très liées.

Mâ Jong approuve. Il me verse une recharge de J and B et me file un glaçon capable de faire rebelote avec le Titanic.

— Après cette seconde visite, elle est rentrée chez Martin Maldone, déclare ce privé aux pieds sales.