Il lui flatte les meules, longuement.
— C’est pommé à souhait, il dit. La période d’deuil passée, ça va ronfler, c’ p’tit engin, j’vous promets !
Il quitte sa « cliente » après une ultime tape affectueuse au menton.
Recule de deux pas.
— Maintenant, laidies et gentelmants, faut qu’j’vais m’livrerer à un’ espérience des plus intéressantes. J’pourrais vous inotiser en vous endormant, mais pour ça m’faudrerait une tenture. Y en a pas et en installer une serait, j’voye bien, tout un bordel à cul. Alors, méâmes, messieurs, au lieu d’vous endormir, j’vas vous contracter l’désir. Détendez-vous plus encore, fermez les yeux, respirez douc’ment. Faut qu’ait l’vid’ dans vos tronches, l’schwartz complet. Disez-vous qu’tout baigne. V’s’êtes dans l’moelleux, les mecs. Y a plus qu’vos sesques qui comptassent. Mettez-vous la main droite dessus, sauf si vous sereriez gauchers.
« Allez ! Obéissance au mage ! Couic ! pléase ! Les dames se cloquent la menotte su’ l’frifri, les julots su’ l’service trois pièces. Voilà ! Y m’manque encor’ la vioque aux ch’veux blancs, là, su’ ma gauche ! Maâme Bourrafon, j’croive ? Faites bien qu’est-ce que j’ordonne, ma p’tite mère. Même si v’s’avez la moulasse poussiéreuse, v’devez vous plier à la règu’ générale. Voiliez l’peint’, à côté d’vous. Son bénouze gonfle déjà alors qu’on n’a même pas décarré. J’veuille pas d’mauvaises tronches dans l’assemblée, sinon mon espérience rique de foirer colique ! Ah ! la bonne heure. Mercille d’ vous conformancer. »
Là, la voix du mage devient ténébreuse. Il chuchote pratiquement :
— On est bien, mes drôlets, v’sentez comme ? On s’royaume, tous ! Moi, rien qu’ l’ambiance, ça m’fait goder aussi ! V’vlez la preuve ? Jockey. Les dames a droit d’ouvrir un œil ; pas les matous, y s’raient jalminces. Mes chéries, je vous prille d’ considérer l’braque ci-joint ! Pas du toc, hein ? Non, c’est pas une prothèse ! Voui, y r’mue tout seul ! Visez ! Une personne veut-elle toucher d’visu pour constater qu’la grosse bébête est pas bidon, mais bien vivante ? Vous, maâme l’ambassadrice ? V’là l’objet. C’est chaud, hein ? Nerveux ! Allons, allons, on s’calme ! J’sais bien qu’en Hollande y en a jamais z’eu d’pareille, mais c’est pas un’ raison pour m’accaparer l’braque d’entrée d’jeu.
Le Mammouth reprend sa place de directeur des débats, voire de chef d’orchestre.
— On barbote dans un bain de sequesualité, poursuit-il, pas vrai, mes canards ? Youyou, j’sens qu’ça mouillotte dans l’secteur ! Les slips à ces dames sont déjà à tordre. Et les mâles, où qui s’en sont, les mâles ? Ça tambourine d’l’intérieur, hein ? Oh ! le peint’ qui dégaine déjà ! C’t’une nature, c’mec : y m’ plaise !
« R’tenez bien c’que je vous cause, tous. M’aginez, dans c’te pièce, une créature impec, telle qu’v’s’en rêvez ! Longue, fine, bien moulée, de longs ch’veux qui y dégoulinent plus bas qu’les noix, des nich’mards d’légendes. V’la voiliez ? Répondez, bordel : v’la voiliez ou pas ? »
— On la voit ! répond l’assistance, les dents crochetées.
— V’la voiliez parce qu’elle est là ! Dans vos cigares ! Maint’nant é va passer vers chacun d’vous. E s’ glisse trois doigts dans la moniche et pis é vous les tend pour un bisou. C’est bon, hmm ? Dites-le qu’c’est bon, bande d’emplâtrés !
— C’est bon ! râle l’auditoire.
Le mage est survolté par le succès.
— C’te déesse d’l’amour, elle’ va vous faire à tous une bonne manière s’lon vos vœux. E va débuter par le comte, à tout seigneur, tout donneur. Qu’est-ce y vous f’rait plaisir, m’sieur l’comte ? Hein, quoice ? Causez plus fort ? Une p’tite feuille d’rose ? Tombez vot’ bénoche et vous s’rez servi.
Le comte Hambank se déculotte. Il propose son postère à une partenaire imaginaire qui ne lui en prodigue pas moins la spécialité demandée. Il pâme ! « Encore ! » implore l’Allemand dans l’abominable langue de Gœthe.
Mais le mage intervient :
— Hé, oh ! Mollo, Dudule. On va pas passer la nuit sur ton oignon. Place aux aut’ ! Elle aimerait un’ p’tite gâterie privée, la p’tite dame d’compagnie à la vieillasse ? Quoi donc, ma poule, gênez-vous pas, d’mandez. V’voudriererez y pratiquer un’ p’tite langue su’ l’clito à la déesse ? Souate ! Mais dites-moi, mon p’tit cœur, vous donneriez pas dans l’gigot, av’c vot’ douarière ? On parille qu’é s’fait lichouiller l’veuvage, la mère ?
Ainsi, ce formidable maître de l’hypnose induit-il chaque personne présente à user des charmes de cette créature produite par sa seule imagination.
Te dire si l’ambiance est créée !
— Maint’nant, il est temps d’vous met’ à l’aise, fait-il. Tout l’monde à loilpé ! Si la vieille glaglate, on baissera l’air conditionné.
Je lui savais pas des dons de cette magnitude, à l’Enfoiré. Non seulement comme hypnotiseur, mais aussi comme organisateur de partouze. Je le croyais forniqueur, comme l’est un goret, mais aussi subtil, à ce point « cérébral », j’en tombe des nues (et des nus).
— Bon, fait-il, la fille au comte va s’occuper du peint’. V’s’êt’ encore berlinguée, mam’selle ? V’savez pas ce qu’ je cause ? Aucune importation, c’grand pendard va s’occuper d’vous. V’risquez pas grand-chose vu qu’il est chibré chipolata, l’barbouilleur ! Pour peu qu’y se crache su’ l’gland, ça passerera comm’ une lett’ à la poste. L’docteur rital, bien qui fasse intello, j’sus certain qui va bicher un panard géant avé l’modèle au peint’. Bon, sa rombière d’vrait s’respirer M’sieur Maldone, not’ hotte. Vous, comte, v’sereriez d’accord pour dire deux mots à l’ambrassadrice ? Moui ? Elle est pas affolante mais ell’s’trimbale un popotin phénoménal, qu’ t’y logerais un’escouade ! Quant à l’ambrassadeur prop’ment dit, on va l’charger d’convertir la p’tite gouinasse à mémé à la r’ligion orthodosque. Mémé, j’croive qu’on va la confier au professeur César, mon assistant, n’est-ce pas, professeur ? Comment ? Vous disez qu’vous préféreriez la jolie épouse hindoue à M’sieur Maldone ? J’regrette, c’est moi qu’j’ m’en charge : je raffole les brunes, é me rappellent Berthe ; mais j’vous la passerai tout c’qua de volontiers après usage si l’cœur vous en dira encore. Rest’ à caser la jolie blonde qui nous a reçus. Cell’-ci’ pas b’soin de tergir l’verset, elle’ est pou’ l’ professeur Antonius qui meurt d’envie d’se la râper.
« À présent, mes chers amis, que la digue du cul commence. Un pour tous, tous pour une ! Faut qu’ça va fumer, les gars ! Les ceuss qui s’raient à court d’imaginance n’auront qu’à copier sur moi et mes assistants ! »
Ainsi parla le mage Yamonoto Kadémaré, alias Béru.
IVRESSE
Ce fut une folle nuit d’ivresse.
Enchanteresse.
Câline comme une nuit de Chine.
Dévergondée, ô combien !
Cette hypnose collectivo-érotique, créée par le faux mage (de tête) enchevêtra ces gens férus de sciences diffuses. On leur avait déjà fait le coup du sommeil, celui des contacts établis avec l’au-delà, l’autosuggestion tactile, gustative, sonore, mille autres classiques du genre. Mais jamais encore l’hallucination sexuelle. Ils forniquaient à qui mieux mieux, dans un délire des sens totalement débridés. Ce n’était qu’enfilades, sodomies, fellations.
Les couples composés par Sa Grâce se défaisaient pour en composer d’autres. Ainsi vit-on la vieille veuve Bourrafon chevaucher d’autorité le comte, sa dame de compagnie gougnoter la belle Hindoue, le peintre tailler une plume au professeur italoche, l’ambassadrice filer deux doigts de cour dans l’oigne de Martin Maldone et bien d’autres prodiges ! La meute de médiums en rut glapissait, couinait, hurlait, dans une folle effervescence (de térébenthine). C’était un entrelacs de corps dénudés, un terrible grouillement de moisissures humaines, une noire partouze quasi luciférienne, un cyclone de chair en folie. Les objets, les meubles précieux du salon étaient brisés par ce bestial déploiement.