Après avoir savamment tiré Sonia Wesmüller, et comprenant que je ne satisferais pas son appétit inextinguible parce que, justement, il était inextinguible, je l’avais laissée à Béru dont la garce avait mis à sac le formidable appareil. Ensuite, son avidité, sa béanterie, l’avaient conduite entre les cuisses admirables de la belle Utérus de Cabinces et elle démenait plus fort que tout le monde en criant des ordureries comme on essaie des échos en des vallons tyroliens.
Content de son pouvoir, mon mage regardait déferler, une boutanche de champ’ en main. La buvait au goulot, ce qui le faisait feuler haut et fort. Terrassé par une émission séminale qui n’était plus de son âge, Pinaud dormait sur le tapis chinois. Les tapis chinois sont moins beaux que les tapis d’Iran, mais beaucoup plus épais, donc mieux aptes à recevoir le sommeil d’un homme de bien terrassé par la fatigue.
Ce remue-ménage indicible, cette fantastique copulation mondaine aurait certainement duré jusqu’à l’aube, voire au-delà, si un événement important n’était survenu, au plus fort de la mêlée.
Brusquement, un fracas de bois et de verre brisés avait dominé les râles de jouissance, les appels au paf, les implorations, les exhortations frénétiques. Cela s’était produit alors que la vieille conjurait le comte de la prendre en levrette, lui criant des graveleuseries dont la seule à peu près répétable, je trouve, était « Mais bourre-le donc à fond, mon vieux pot, salaud ! » Requête que le noble Allemand prenait en considération avec une grande bienveillance ; parce qu’on a beau dire, mais ces hobereaux teutons conservent encore une certaine classe, merde !
Donc, comme si l’enjoignement de la vieille peau était un signal, les deux fenêtres du salon avaient volé en éclats sous l’effet d’un double coup de boutoir. Une demi-douzaine d’hommes vêtus de trainings noirs et coiffés de cagoules, noires aussi, avaient fait irruption (et interruption) avec une agilité de singes, brandissant des armes sophistiquées, style pistolets-mitrailleurs, et couvrant instantanément tout le salon.
S’en était suivi un choc général. Un égarement comateux. Les bites s’étaient mises à pendre, les moniches à se refermer sur leur cloaque insane ; la pudeur à reprendre ses droits. Les dames croisaient les jambes et mettaient leurs mains salopes en conque sur leurs nichebards, les mecs attrapaient des coussins pour se cacher coquette. Les prunelles s’exorbitaient, les bouches s’ouvraient sur de muettes interrogations. La peur s’emparait. Montait. Moi-même, passablement dérouté, je me demandais d’où sortaient ces petits hommes noirs, si apparemment belliqueux.
Deux d’entre eux ont retiré le canapé de devant la porte du salon. Ils l’ont ouvert et trois autres mecs, pareillement accoutrés, surgirent du hall.
Le plus gros se mit à défrimer l’assistance. Je dis le plus gros, mais en fait, lui seul l’était, gorille parmi ces oustitis. Il me désigna en premier, puis Béru. Les péones nous emparèrent et lièrent nos mains dans notre dos. L’autre mec continuait de faire son choix. Il montra Martin Maldone. Bien que ce dernier fût à poil, on l’entrava tout comme nous, et on le poussa en direction de la porte. Enfin, ce fut le tour de Sonia. Elle aussi était à loilpé avec plein de chandelles romaines dans la région antarctique. Elle eut également les poignets liés dans le dos.
La scène était impressionnante par son silence. Ces petits hommes noirs affairés ne faisaient aucun bruit, ne proféraient aucun mot. Ils se mouvaient avec une folle agilité de Martiens.
Celui qui dirigeait le commando acheva son inspection mais ne choisit plus personne. Quand il eut terminé, il sortit un objet de la poche ventrale de son training noir, le tint entre le pouce et l’index pour le montrer à l’assistance.
C’était une petite statuette d’ivoire représentant un singe blanc.
SIRÈNES
Tu le sais, je ne suis jamais bêcheur avec moi-même. Aussi me dis-je, non sans familiarité : « Cette fois, mon bébé rose, tu l’as dans baigneur si profondément que ça te chatouille déjà la luette (je te plumerai !). L’opération « Singe Blanc », prévue par ce bon Larwhist, est en cours. Il m’avait prévenu que je jouais avec un bâton de dynamite allumé (ou d’Ovomaltine, voir la pube télé), et cette noble découverte de M. Nobel, qui devait faire tant de bruit, t’explose pleine poire.
« Tout à l’heure, mon chérubin, tes jolis testicules se balanceront dans les branches d’un arbre, kif les boules de Noël d’un sapin. Un tel déploiement de forces indique clairement le prix que cette organisation attache à notre capture. En apprenant la mutilation de sa grande fille, Kong Kôm Lamoon a lâché les chiens. « Le Singe Blanc » n’aura mis que quelques heures à nous retrouver, ce qui, à vrai dire, ne présentait pas de difficultés majeures dans une ville qu’il contrôle rigoureusement. »
Nous traversons le jardin. Un vaste fourgon noir, comme en utilisent les convoyeurs de fonds, est stationné devant la propriété. Les martiens ouvrent la porte arrière et nous y font monter. Il s’agit bel et bien d’un véhicule blindé. Éclairé par des meurtrières, le jour, et par des plafonniers, la nuit. Ses parois sont bordées de banquettes rembourrées. Un appareil à air conditionné entretient dans la caisse une température clémente. Nous prenons place sur les banquettes de gauche. Les lutins nous font face. L’un d’eux s’assied sur un strapontin fixé à la porte, laquelle a été verrouillée de l’extérieur. Entravés et gardés par une escorte aussi nombreuse et bien équipée, tout espoir d’évasion est à bannir.
Je me trouve assis entre Maldone et sa belle-fille. Ils sont « dégrisés » et leur nudité les épouvante presque autant que cette équipe d’hommes noirs.
— Charmante soirée ! fais-je à l’homme d’affaires.
Il est livide, avec même du gris sous les paupières. Il lui vient des tics, à moins que ce ne soient des frissons dus à la fraîcheur du fourgon ou à la trouille.
— Vous réalisez ce qui se passe ? lui demandé-je.
Mais il ne répond pas.
— Le Singe Blanc, non ? poursuis-je. Sans indiscrétion, vous traficotez avec cette organisation, Maldone ?
Il reste prostré. Y a rien à en tirer. Je me tourne donc vers la belle Sonia. N’avons-nous pas connu, très récemment, une certaine intimité et des épanchements ardents ?
— Vous avez déjà eu affaire avec « Le Singe Blanc », Sonia ?
Tu sais quoi ? Ah ! les gonzesses !
— Et vous ? qu’elle me répond avec aigrance.
Dis, toute nue et enfoutraillée dans ce fourgon, parmi ces niacouais en cagoule, faut du culot, non ?
— C’est la première fois, contre-mauvaise-fortune-bon-cœuré-je. Et je crains que ce ne soit également la dernière.
— Moi de même, lâche la belle.
— Mais vous savez de quoi il retourne, non ?
— Je pense.
— D’ailleurs, poursuis-je, il y a des tas de choses que vous savez.
— Qui êtes-vous ?
— Commissaire San-Antonio des Services Spéciaux.
Elle reste de marbre rose, comme toujours dans les cas rares (marbre de Carrare ! Bravo Santantonio, ça c’est du calembour qui vole haut !).