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— Aujourd’hui, j’ai donc ma chance ?

— Vous avez carrément gagné un dîner dans un délicat restaurant que je connais.

— Mon horoscope du jour annonce que je vais avoir une proposition avantageuse.

— Voilà qui est fait. Plus avantageuse que celle-là, tu meurs. On se retrouve à vingt heures au Fouquet’s ?

— Pourquoi pas ?

— Je préférerais que vous répondiez « Avec joie », cela marquerait une adhésion plus franche au projet.

— Avec une joie indicible ! Dites, vous tenez encore à rencontrer Jean Néralbe ?

— Toujours, bien que ma vie se soit profondément modifiée depuis que je vous ai demandé de me le désigner.

— Il arrive droit sur nous : le gros type à lunettes, avec des côtelettes sur les joues qui le font ressembler à un bourgmestre allemand dans un livre signé Erckmann-Chatrian.

Marrante, cette gonzesse. Je sens qu’on risque de ne pas s’ennuyer, ce soir, elle et moi.

Je file un dernier regard en forme de soupir à la culotte parme. Renflement prometteur. Si j’en crois la moustache qui dépasse, cette frangine est d’un joli châtain clair. J’aime assez les pelages clairs, ils laissent découvrir la moule bien mieux que les foisonnantes toisons méditerranéennes.

J’exécute un rétablissement et me présente devant Jean Néralbe. Lui, la cinquantaine cosmique tuméfiée par le whisky. Un peu de couperose, des crins gris, l’air revêche. C’est le gazier sous pression qui se déplace en gueulant pour se frayer un passage.

— Navré de vous déranger, j’aimerais vous parler un instant, je gazouille.

Tu sais quoi, ce con ?

— Si vous êtes vraiment navré de me déranger, ne me dérangez pas, il riposte, l’affreux.

Faut oser ! Balancer ça, tout de go à ses contemporains dénote une nature chiasseresse. C’est du mufle en tas, du butor à l’état brut.

La gentille scripte en est gênée pour moi. Elle lance au bourgmestre des tournées Lanlure :

— C’est le commissaire San-Antonio !

Néralbe, ça lui fait comme si tu lui montrais une photo du Maréchal Pétain enfant, quand il se tirlipotait déjà le bâton.

— Et moi, je suis le régisseur de plateau de ce plateau et on est à la bourre, bordel !

Poum ! Il fait un pas de côté pour m’éviter et s’éloigne en appelant un certain « Patte folle » dont ça va être la fête !

Je reste un tout petit peu benêt, les bras ballants. Pas joyce d’être ainsi traité devant une momaque qu’on vient de prier à dîner. Elle doit se dire que si je manque pareillement de réactions au plumard, l’affaire du siècle, c’était l’année dernière, à Marienbad. Mais quoi ? Tu veux que j’aille alpaguer ce gros porc et que je lui cloque un coup de boule dans la clape pour y faire déguster ses ratiches ? Il a le droit de m’envoyer aux bains turcs. Il marne. Je l’importune. La Rousse, il en a rien à breloquer ! Il est dans son droit. C’est un grincheux, un sac à merde, mais je ne peux rien contre lui.

De guerre lasse, je me redépose sur la malle d’osier et ma future maîtresse rouvre ses jolies jambes dont, pas plus tard que ce soir, je remonterai le courant en canoé kayak.

— Vous arrivez à bosser avec cet olibrius ? demandé-je calmement.

— C’est un excellent professionnel, répond la môme. De plus, quand on le connaît, on s’aperçoit qu’il est moins mauvais bougre qu’il n’y paraît.

— Vous ne m’avez pas dit votre prénom, fais-je tout à trac.

— Madeleine.

— Exquis. Proustien. Ça fait fleur séchée. Brel ! Tout ! J’aime.

Là, j’ai droit à une ouverture augmentée de quelques degrés de ses jambes. C’est bath. Ça porte. Je rêve. Chaque fois, c’est la même féerie, la même ineffabilité. Ça te sèche la glotte, te met des gouzis-gouzis sous les testicules. Les prémices, y a que ça qui importe. Un pré-début te laisse espérer l’infini. Tes extravagances cérébrales peuvent se donner libre cours.

— Je suis curieuse, me fait Madeleine, je me demande ce que l’illustre commissaire San-Antonio peut bien attendre de ce gros sac de Jean Néralbe ?

Elle espère une réponse.

Charitable, je la lui fournis, et bien va m’en prendre, tu vas voir.

— Des renseignements à propos d’un petit malin qui a côtoyé le cinéma et auquel Néralbe a eu affaire au début de l’année, lors d’un tournage en Asie.

— J’étais la scripte du film pour la séquence asiatique.

Dis : il a pas du bol, ton Sana, Anna ?

— Alors vous connaissez un certain Fluvio, doublure-lumière de la vedette masculine ?

— Naturellement.

— C’est la Providence qui m’a guidé jusqu’à vos admirables jambes que vous n’ouvrirez jamais suffisamment pour que je m’enrassasie, Madeleine !

Elle rougit, serre ses genoux ! Quel con ! Je viens de carboniser momentanément mon jeton.

— Oh ! non, imploré-je. Pourquoi ce brutal crépuscule, ma merveilleuse amie ? J’avais l’impression d’être en vacances aux Canaries. Vous amputez notre tête-à-tête !

Zob ! Miss Mado a fermé la parenthèse jusqu’à nouvel ordre. Mais, comprenant qu’il serait inhabile et malséant d’insister, je fais mine de passer outre. Tout naturellement, ses cannes s’écarteront derechef, au fil de la converse.

— Soyez coopérative et dites-moi bien tout ce que vous savez du comportement de ce garçon pendant votre séjour dans les pays lointains.

— Il a commis un délit ?

— On lui a commis un délit, rectifié-je. Il a été trucidé tantôt, place de l’Opéra, au volant de sa décapotable.

Elle marque sa stupeur.

— Pas possible ! Fluvio !

— Du gros calibre, la tête éclatée ; pas joli joli !

— Quelle horreur !

— Mon enquête m’induit à penser qu’il a eu une activité extra-cinématographique en Extrême-Orient. Dans quels pays avez-vous travaillé ?

— Hong-Kong et Singapour.

— Où étiez-vous, le 28 janvier ?

— Singapour.

À cet instant, Jean Néralbe se ramène en trombe (d’Eustache) et lance à la scripte :

— On va pouvoir tourner, Mado ! Ton metteur te cherche !

Moi, il me foudroie d’un regard désastreux.

— Écoutez, ne restez pas par là, l’accès du plateau est interdit à toute personne étrangère au tournage. Qu’est-ce que vous me vouliez ?

— Du bien, réponds-je. Mais à présent j’en suis moins sûr car j’ai horreur des têtes de lard !

Et je le plante là, tandis que Madeleine pouffe en sourdine.

Le soir dégringole. Un soir mouillé de Paris en automne. Il vase une petite lance aigrelette qui arrondit le dos des passants. Le paveton s’éclaire des lumières de la rue. J’aimerais un air d’accordéon comme fond sonore à ce décor à la Marcel Carné.

Ma tire mal rangée sur un trottoir s’adorne d’un papillon obligeamment dédicacé par quelque contractuelle en maraude. Le papelard détrempé par la lancequine colle au pare-brise. J’ai du mal à l’en arracher.

Tandis que j’escrime, une « pervenche » se pointe, dans son imper à capuche. C’est à elle que je dois cette gracieuseté.

— Vos papiers ! me demande-t-elle.

— Si je les déballe sous la flotte, ils vont être salopés, lui fais-je. L’an passé j’ai déjà dû faire refaire mon passeport qu’un douanier autrichien étudiait sous des trombes d’eau !

Elle grince :

— Faites pas le malin : permis de conduire, carte grise.

Je viens enfin de détacher la contre-bûche de ma vitre.

— T’as une culotte, chérie ? demandé-je à la contractuelle.