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Je lui tends son document.

— Si oui, sois gentille, mets ça à sécher dedans !

Son abasourdissure fait du bien à admirer.

Manière d’abréger son calvaire, je lui montre rapidos ma brème laquelle ne risque rien de la flotte, étant plastifiée. La « pervenche » balbutie :

— Je ne vous avais pas reconnu, commissaire.

Et alors, moi, qu’est-ce que je m’aperçois-je-t-il ? On a brisé la vitre arrière de ma Maserati. Et tu sais combien ça coûte, toi, une vitre de Maserati ? Et même n’importe quoi de Maserati ? Rien que de dire « bonjour » au garaco, t’as le compteur qui se déclenche comme un fou ! On a engourdi le Nagra que j’avais déposé sur la banquette arrière, bordel à cul ! Le Nagra avec la fameuse bande malaise dedans ! Faut-il que je sois crème de gland pour avoir laissé cet appareil bien en vue ! Faut-il que je sois prétentiard pour m’être cru hors d’atteinte des roulottiers, moi, flic de pointe ! Le temps que j’admirais l’entrejambe à Mado, un futé s’est emparé du magnéto ! Pigeon, l’Antonio ! Niqué profond !

Je demande à la gonzesse sous cellophane en lui montrant ma vitre cigognée :

— On m’avait déjà fait ça quand tu m’as établi ce papelard de chiotte ?

— Je ne pense pas, monsieur le commissaire !

— Tu n’en es pas sûre ?

— Je n’ai rien remarqué.

Je vais avoir l’air génial, moi, quand le Rouquin va me réclamer la bande afin de pousser plus loin ses investigations. Il a déjà dû se remuer le panier pour trouver un spécialiste des langues orientales, l’intègre ! Et ma pomme de devoir lui avouer que j’ai perdu la pièce à conviction ! Commissaire Tête-de-Nœud.

Furax, je prends place dans mon carrosse et fonce en maugréant jusqu’au garage où gratte Octave Laburne. Au moins faire changer ma vitre brisée.

Le chef d’atelier est en combinaison kaki, avec l’écusson fourchu Maserati sur le poitrail : Neptune du cambouis ! En m’apercevant, il se précipite.

— Du nouveau, commissaire ?

— Votre filon était de première, Octave, bravo !

Sa frite devient radieuse comme le drapeau japonais.

— Le gars à la boucle d’oreille est venu à son rendez-vous ? il demande.

— Oui, et il y est resté.

— Comment ça ?

— Un motard l’a zingué sous mes yeux, vous aurez des détails croustillants à la télé ce soir et dans votre Parisien Libéré demain. Redites-moi, dans quel cinéma s’est déroulé le petit intermède exprès dont vous m’avez parlé ?

— Le Vista Palace de Boulogne.

— Donc, un cinéma de quartier ?

— Exact.

Pour lors, je retrouve un léger regain d’optimisme. Généralement, ce sont des habitués qui fréquentent les cinoches périphériques.

Octave, rehappé par les préoccupations professionnelles, dit en montrant ma chignole :

— Votre Quattroporte a énervé des petits gredins ?

— Il va falloir me réparer ça d’urgence, dis-je.

— On vous a volé des choses ?

— De la broutille, menté-je en m’administrant mentalement mille coups de pompe dans les noix.

— Il est trop tard ce soir, mais vous l’aurez demain à midi. Si vous avez besoin d’une caisse en attendant, je vais vous en prêter une.

— Vous êtes un frangin, Octave.

La flotte a redoublé d’intensité. Maintenant il fait complètement nuit et la ville de Boulogne brille de tous ses feux répercutés par la pluie. Les bagnoles produisent un bruit de succion en roulant. Elles aspergent le bas des pantalons, mais les passants désenchantés n’en ont cure et se pressent sous leurs pébroques ou dans leurs impers verrouillés comme des scaphandres.

Le Vista Palace a une enseigne rouge soulignée de bleu qui éclabousse loin sur la chaussée. La matinée vient de s’achever. La caisse est fermaga. T’as le projectionniste qui met son parka et file le bas de son futal dans ses chaussettes avant de grimper sur son vieux Solex. Paraît alors une forte dame variqueuse qui ébouriffe ses cheveux flous pour tenter de dissimuler sa calvitie. Robe noire, col blanc. Une vieille Cosette qui aurait conservé l’appartement des Thénardier par routine. Elle sort des toilettes et s’apprête à tirer la grille de fer coulissante devant le hall du ciné. Elle a de l’emphysème pulmonaire et sa respiration fait un bruit de freins pneumatiques.

— Pardon de vous déranger, fais-je, je suis de la police et j’aimerais vous poser quelques questions.

Tout de suite alertée, mémère. Comme toujours, les honnêtes gens. Y a que le bon monde que la Rousse impressionne ; les forbans, eux, savent l’affronter avec sang-froid.

— Je vais faire appel à votre mémoire et mettre à l’épreuve votre sens de l’observation, annoncé-je. Vous travaillez au Vista Palace en qualité d’ouvreuse ?

— Non, de caissière.

— Magnifique ! Je suppose que votre établissement travaille principalement avec les gens du coin, n’est-ce pas ?

— En majeure partie, oui, pourquoi ?

— Hier soir, il n’y avait pas grand monde dans la salle.

— Le cinéma n’est plus ce qu’il a été, déplore ce cœur simple.

— Je sais. Parmi les maigres clients, il y avait un couple. Assez jeune : entre trente et quarante ans. La femme très belle : blonde, le regard qui hésite entre le bleu et le vert ; elle portait une robe imprimée et une veste de laine très chic, son rouge à lèvres est plutôt orangé. Classe ! Son mari portait une veste avec des parements de daim.

La dame caisseuse opine depuis quelques secondes déjà.

— Oui, oui, je vois, assure-t-elle. Ils viennent parfois quand le film est bon.

Un hymne de sauvage allégresse retentit dans mon âme, au fond et à droite.

— Dites-m’en davantage sur eux, chère madame, et vous serez bénie d’entre toutes les caissières.

Elle a un très joli nez sur les ailes duquel se blottit une grappe de verrues frileuses. Son bec-de-lièvre, admirablement masqué par la violette mauve qu’elle dessine par-dessus, ressemble à une raie du cul miniature. Le regard est un tantisoit glauque et con derrière des cils farineux, et la tache de vin qu’elle porte au cou reproduit à s’y méprendre la carte de la Suisse et de ses colonies.

— Vous dire quoi, mon pauvre monsieur ? soupire la pin-up de douairière les fagots.

Le mieux est de procéder par suggestions successives.

— Leur nom ? risqué-je, attaquant par l’espoir le plus insensé.

— Comment voulez-vous que je le susse ?

— L’endroit où ils habitent ? poursuis-je avec l’intrépidité que donne l’espoir.

Là, son hésitation me met en liesse avant-coureuse.

— L’endroit, fait-elle, je ne saurais pas ; par contre, le coin, là, y a des chances.

Oh ! la chère chérie ! La belle âme d’amour ! La bienveillante créature ! L’ineffable rencontre ! Tu sais qu’elle me fait mouiller, mine de rien ? Je te jure que j’humecte ! Tiens, vise mon chipolata, il fait des bulles !

— Racontez, dites tout, je suis suspendu à vos trois lèvres, imploré-je.

— Je promène souvent mon chien par les petites rues où c’est plein de belles villas. Il y a des arbres. Il aime les arbres.

— Un chien poète, extasié-je.

— Non : ça l’incite pour ses pipis.

— Il pourrait se contenter de réverbères. Mais il lui faut des arbres, à cet animal ; des vrais, en bois, avec des branches et des feuilles ! Quelle admirable bête. C’est un loulou de première année, je gage ?

— Non, un fox.

— L’amour ! À poil ras ?

— En effet.

— J’en étais certain. Il y a qu’un fox à poil ras pour vénérer les arbres. Ces animaux sont des druides à quatre pattes ! Et donc, vous le promenez dans les quartiers résidentiels, ce chien aux goûts artistiques si développés ?