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— En effet, répond-elle (car elle raffole de l’expression).

— Et dans ce lieu calme et cossu, vous avez aperçu vos habitués du Vista Palace ?

— Deux ou trois fois.

Ah ! comme je la vénère. Elle mesurerait au moins un mètre cinquante, j’essaierais de la sodomiser dans le hall tapissé de vieilles photos, pour lui expliquer ma grattecultitude. Devant Marlène Dietrich, Mireille Balin, Roland Toutain, Georges Milton.

— Une fois, la dame descendait d’un taxi. Une autre fois, il faisait beau, elle marchait au côté de son époux.

— Douce dame, roucoulé-je, si cette personne blonde descendait d’un taxi, c’est qu’elle était arrivée à destination, donc vous devez reconnaître la maison devant laquelle elle s’est fait stopper.

Mais la caissière dénègue de la tête, ce qui lui fait perdre une barrette. Je la lui ramasse avec dévotion.

— Sa rue est en sens unique, dit-elle. Elle est descendue au carrefour et a continué à pied.

— Si elle a poursuivi sa route pédestrement, c’est donc qu’elle demeurait tout près, sinon elle aurait prié le taxi de faire le grand tour.

— Ben, oui, probable, admet-elle.

Je capte sa chère main gercée, déformée par son appareil distributeur de billets, la pétris comme s’il s’agissait de la main de ta sœur.

— Ma voiture est là, accepteriez-vous de me guider jusqu’à l’endroit auquel vous faites allusion ? Naturellement je vous raccompagnerais chez vous aussitôt après.

Elle hésite :

— Vous êtes réellement de la police, au moins ?

— Voyez vous-même ! dis-je en extirpant Hortense[2].

— Bon. Alors d’accord.

Et elle achève de tirer la grille.

SHOOT

— Tu vas reprendre ton premier métier, annoncé-je à Jérémie Blanc.

— Balayeur ?

— Pour quelques heures, tout au moins.

Il sourit de tout son clavier universel.

— Pourquoi pas ?

Je lui explique qu’il devra ramasser à la pelle les feuilles mortes d’un quartier de Boulogne en fredonnant du Cosma.

— La femme blonde à laquelle Daniel Fluvio avait fixé le ranque, tu as eu l’opportunité de l’apercevoir place de l’Opéra ?

— Elle était fringuée en rouge ?

— C’est cela même. Il semblerait qu’elle demeure à Boulogne. Je vais te montrer le secteur à couvrir et, dès demain, tu y séviras jusqu’à ce que tu retapisses cette friponne.

Loin de le mortifier, la perspective de s’affubler d’un bonnet de laine, de gants fourrés, et de promener un balais en branchettes d’osier le long des trottoirs l’amuse. Il est toujours plaisant de jouer à l’indigent quand on ne l’est plus. Au contraire, ça te souligne les félicités acquises. En fait, j’ai remarqué que le seul grand obstacle de la vie, c’est le présent, il est notre vraie vérole, notre chiendent, notre colique verte. C’est lui qui nous esquinte, nous vieillit, nous tue. La merde, comprends-tu, c’est que tu le vis sans jamais pouvoir te référer à l’avenir. Si la projection du futur était possible, on ne serait jamais mort de la rage, y aurait pas eu de guerre de Quatorze ni de mur de Berlin, toutes choses extrêmement fâcheuses et éprouvantes. Mais le présent reste obscur ; c’est un assemblage d’ignorances. On le croit définitif parce qu’il EST.

Et comme l’homme ne possède pas et ne possédera jamais la faculté de dépasser ce qui EST, il se fait et se fera toujours niquer. Il vivra éternellement l’INSTANT. Mais l’INSTANT, c’est de la perfidie, de l’illusion matérialisée. Ça se déprogramme en étant. C’est sans perspectives. Et comme je sais cela, je me fais toujours chier dans l’instant, à de rares exceptions près. Seul adjuvant : aimer et créer. Ça ce sont des moments flammes ! Chaleur et lumière. Mais vite éteints. In the babe ! Je parie que je te casse les roustons, Gaston ? Bon, on change de disque. Je te mets la face 2 : retour à Boulogne avec le Noirpiot.

Je lui indique le fameux carrefour où m’a drivé la dame au bec-de-lièvre :

— Elle pense que notre cliente crèche dans cette rue sur la gauche, mais n’en est pas tout à fait certaine. Ce sera à toi de jouer.

Ensuite, ruée sur Paris. Je me pointe avec retard au Fouquet’s. Madeleine, la scripte au slip parme, s’y trouve déjà depuis une demi-heure devant un verre de porto. Elle s’est saboulée bourgeoise : tailleur pied-de-poule, chemisier blanc, cape de lainage à franges, plus un collier de perles Burma.

De loin, je commence déjà mes mimiques d’excuse. Fonds sur elle et lui roule une jolie galoche champs-élyséenne qui coupe court aux explicances navrées. Elle est jolie. Plutôt classe. Bien fardée. Hors des studios, elle fait seizième à n’en plus pouvoir, cette greluse. Je flaire la fille à papa que le cinoche passionne. Ça fera l’objet d’une converse ultérieure en cas de besoin. Toujours se préparer des thèmes de jactance quand on sort une gertrude pour la première fois. Pas laisser languir les propos. Faut emballer, chauffer, rajouter le sel de l’esprit en saupoudrant large. Les mutismeries, c’est pour ensuite, quand t’as ton coup de bite au bain-marie et que le moment est venu de chiquer les romantiques : Musset, Chopin, main dans la main, z’yeux dans les z’yeux ; que la parole est aux ondes languissantes qui trémolent doucettement les culottes.

Seulement, avant de jouer du silence, faut s’être montré brillant. Avoir fait ses preuves dans l’éloquence. Le vrai mutisme, c’est, des mots qui se taisent. Quand t’en as dévidé à profuse, le geste continue la pensée. Moi, lorsque je sors une sœur (dans l’intention de la rentrer), je construis un schéma de jactance. Dans l’eau-cul-rance, lui parler de sa vie, de son métier, intelligemment. Éviter les clichés, les questions bateau. Pas non plus chiquer au gusman informé qui étalage son savoir et s’exprime dans la clinquaille. Du pertinent. Intelligent, quoi ! Mon style. Même les connasses apprécient.

Je me cogne mon Pim’s d’élection, toujours superbe au Fouquet’s, je te l’ai déjà exprimé au paravent.

— Vous avez faim, ma chérie ?

— Comme vous voudrez, répond-elle.

Là, j’entrave pas. Mon sourcil droit lève la patte pour le lui indiquer. Elle s’explique :

— J’ignore à quel genre d’homme vous appartenez, commissaire ; est-ce à celui qui déteste les pécores frugales ou à celui qui méprise celles qui bouffent ?

J’éclate de rire.

— J’aime bien qu’une femme ait un appétit normal.

— Alors, j’ai plutôt faim.

— Venez ! On va chez Guy Savoy s’éblouir les papilles.

Le cher barbu nous trouve deux petites places intimes qui nous mettent les genoux en botte de poireaux. Je lui dis de nous servir ce qu’il veut parce que chez des chefs de ce calibre, t’as rien à craindre des contrefaçons, et on sirote tendrement un champagne-framboise frappé impec.

— Ça marche, votre enquête ? questionne ma Deleine.

— Elle est toute neuve, il faut qu’elle prenne son élan. Vous avez fréquenté Daniel Fluvio ?

— Professionnellement, un peu. Sinon, c’était pas mon style.

— Quel jugement portiez-vous sur lui ?

Elle ne me laisse pas moisir :

— Un douteux. Bon à tout, propre à rien. Beau gosse, le sachant, l’exploitant, même. Il traînait une réputation de mâle performant, ayant des pratiques bizarres.

— La flagellation ? demandé-je, pensant au fouet trouvé dans son coffre de voiture.

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2

Objets inanimés avez-vous donc une âme ? Oui. Alors je décide de baptiser ma carte professionnelle « Hortense ». Et voilà !

San-A.