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— Que vous le vouliez ou non, vous voilà bel et bien promue ambassadrice officielle ! Ce qui aura au moins l’avantage de nous permettre d’entrer en voiture dans la cour du château et de descendre devant le perron !

Mieux encore lorsqu’on arriva à Saint-Germain, les gardes se rangèrent sur son passage en lui présentant les armes ! Cette fois c’était peut-être un peu exagéré mais si la duchesse éprouva une vague crainte, ce n’en fut pas moins le front haut que, annoncée officiellement, elle pénétra dans la grande salle où la Cour était rassemblée, formant une haie au bout de laquelle le Roi et sa mère l’attendaient, trônant assis dans leurs fauteuils.

Se voyant ainsi honorée, Isabelle se conforma au protocole en effectuant une première révérence à l’entrée, une deuxième à mi-chemin et la troisième devant Leurs Majestés : la prestation fut accomplie avec une grâce qui lui valut un murmure admiratif.

L’accueil royal fut non seulement aimable mais chaleureux. « Il ne lui manquait, devait écrire plus tard Retz renseigné par un de ses espions, que le rameau d’olivier à la main. Elle fut reçue et traitée comme Minerve l’aurait pu être… » Anne d’Autriche entièrement de noir vêtue mais parée de perles magnifiques l’embrassa. Le jeune Roi, déjà fort séduisant, baisa sa main en lui tournant un compliment du dernier galant auquel elle répondit avec esprit. On échangea compliments et amabilités jusqu’à ce que sur une nouvelle révérence elle remette à la Reine le fameux mémoire que celle-ci n’ouvrit pas, se contentant de l’offrir à son fils :

— C’est au Roi qu’à présent il convient de s’adresser, ma chère. Le temps est venu pour lui de prendre en charge le royaume… assisté, toutefois, de conseillers avisés…

— Tels que M. le Cardinal, compléta Louis en lui prenant la main. Venez ! Il vous attend dans le cabinet voisin !

Isabelle s’attendait à tout sauf à cela ! Sous le choc, elle pensa un instant s’évanouir, ce qui eût été d’un effet déplorable mais, grâce à Dieu, elle n’avait pas la pâmoison facile et ce fut d’un pas nonchalant qu’elle alla rejoindre l’ennemi, se contentant de demander un peu de fraîcheur à son éventail. Elle se souvint subitement du surnom que lui avaient appliqué les Précieuses : Circé ! N’était-ce pas le moment idéal pour vérifier s’il était ou non mérité ?

Après les politesses de la porte et tandis qu’il lisait le fameux mémoire, elle remercia Dieu d’avoir réussi à obtenir que ne soit pas inscrite la condition sine qua non de ces étranges offres de paix : sa disparition définitive ! De toute façon les unes ne pouvaient aller sans l’autre.

Tandis qu’il parcourait le texte sans qu’aucune émotion apparût sur son visage, Isabelle l’examinait. Elle ne l’avait jamais vu de si près ni surtout dans ce que l’on pouvait appeler l’intimité. A cinquante ans, Mazarin gardait une indéniable séduction : visage aux traits réguliers, lèvres sensuelles soulignées d’une fine moustache, beaux cheveux bruns fournis où quelques cheveux blancs rappelaient les années écoulées, de même que les poches – encore légères cependant ! – sous des yeux bruns facilement souriants dénonçaient de lourds soucis. Il n’avait pas – et de loin ! – la stature de Richelieu, son allure imposante ni sa voix grave, souvent tranchante. La sienne, teintée d’un amusant accent italien dont il n’avait jamais pu se défaire, pouvait prêter à ironiser sauf dans certains cas. Il y avait du comédien dans cet homme sur lequel se concentraient les haines de tout un peuple. Très coquet de sa personne il prenait grand soin de ses mains qu’il avait fort belles et ne manquait jamais d’orner d’un ou deux de ces diamants pour lesquels il éprouvait une véritable passion. Et à ce propos, c’était le nom de la Reine qui venait tout de suite à l’esprit. Pouvait-il vraiment inspirer à une femme vieillissante mais encore attirante des sentiments aussi ardents ? Isabelle finit par conclure que c’était possible surtout si, comme elle l’avait entendu dire à l’hôtel de Rambouillet ou ailleurs, il offrait une certaine ressemblance avec le séduisant duc de Buckingham qu’Anne avait beaucoup aimé dans sa jeunesse. Au point d’avoir été à deux doigts de s’abandonner, un soir, dans certain jardin d’Amiens. Par sa faute à lui d’ailleurs : il avait voulu « brûler les étapes » et oublié qu’une infante ne se culbutait pas dans un buisson comme n’importe quelle fille3

Sa lecture achevée, Mazarin tourna vers sa visiteuse un regard souriant :

— Je ne saurais trop vous remercier, madame, d’avoir bien voulu prendre la peine de venir jusqu’ici m’apporter ce document ! Il est fort important et mérite réflexion… Vous comprendrez aisément qu’il m’est impossible d’y répondre dans l’instant alors qu’il présente, je le reconnais, des articles extrêmement intéressants.

— Pardonnez-moi, Monseigneur, coupa Isabelle, mais j’attendais d’autant moins une réponse immédiate de Votre Eminence que je ne pensais pas avoir l’honneur de la rencontrer et qu’il nous importe principalement que Leurs Majestés en prennent connaissance puisqu’en fait c’est à elles que ce mémoire était destiné…

Le ton était un peu raide, la mise au point flagrante, mais Mazarin n’en marqua aucun déplaisir :

— Cela va de soi, madame la duchesse. Cela va de soi ! Les volontés de Leurs Majestés ont toujours été les miennes et, en ceci comme en tout ce qui se décide dans le royaume, je ne suis que l’exécutant de volontés augustes. Il nous faut en débattre en conseil étroit, réfléchir à ce qui peut être accordé… en premier…

— Quoi par exemple ?

— Certaines nominations à des postes de gouverneurs. Du moins il me semble, mais si vous le permettez, nous allons à présent rejoindre la R… le Roi que votre venue enchante et qui ne me pardonnerait pas de vous accaparer…

La suite de la visite se passa en effet à bavarder d’une foule de choses dans une atmosphère tellement souriante et détendue qu’elle effaça l’inquiétude conçue par la jeune ambassadrice, et ce fut avec enthousiasme qu’elle accepta de revenir un jour prochain. Cependant avant de partir, elle objecta :

— Ne vaudrait-il pas mieux que Monsieur le Prince vînt en personne ?

— Débattre avec moi ? Il n’acceptera jamais ! répondit le Cardinal avec une soudaine tristesse qui, si elle était jouée, faisait honneur à son talent de comédien. Il ne m’accordera pas cette satisfaction. Je redoute même qu’il n’accepte pas de poursuivre les discussions quand il saura que j’y participe…

Cela était bien possible, pensait Isabelle quand elle eut rejoint carrosse et escorte pour revenir vers Paris, et la fin de la journée lui donna pleinement raison. Condé explosa littéralement :

— Il était là et vous n’êtes pas repartie aussitôt ?

— C’est ce que vous auriez fait à ma place peut-être ?

— Si j’étais venu en personne, on eût pris cette démarche comme une reddition et je serais peut-être déjà à la Bastille !

— Et vous auriez préféré que ce soit moi ? Comme je vous comprends  ! railla-t-elle. Outre que je n’avais pas le choix, il se peut que nous retirions un bénéfice bien quelconque de cette entrevue.

— Avec lui ? Pas d’illusion ! Puisqu’on a osé le rappeler en dépit des volontés de toute la France, vous pouvez être sûre qu’il n’y aura pas d’autre audience !

Et pourtant il y en eut une. Quelques jours plus tard, un message de la Reine requérait Isabelle à Saint-Germain afin d’y poursuivre un entretien un peu trop bref pour être vraiment constructif en spécifiant qu’elle serait attendue avec un vif plaisir…