— A vous maintenant de me dire ce que je dois faire ? demanda-t-elle quand le « conseil des chefs » fut réuni.
A l’exception de Nemours, ils furent unanimes : on ne pouvait faire fi d’une invitation royale dont l’essence elle-même constituait la meilleure garantie de sûreté pour la duchesse. Mais Nemours, qu’Isabelle vivant quasi ouvertement avec Condé ne recevait plus comme il l’aurait voulu, s’entêtait :
— Nous en étions pourtant convenus : plus de Mazarin ! Dès l’instant où il a le front de reprendre sa place nous devons appeler aux armes ! Le peuple ne demande que cela !
— Depuis quand vous faites-vous son messager ? lança Beaufort. C’est à peine s’il vous connaît !
— Tandis qu’il est à la dévotion du « Roi des Halles », c’est notoire !
— J’en sais en tout cas plus que vous. Le peuple qui voit venir un hiver de famine en a assez de se battre. Que Mazarin le nourrisse et le chauffe et il applaudira. La plus grande partie tout au moins…
— Et l’autre partie ne pourra qu’approuver quand vous serez gouverneur ? Inutile de demander qui a réclamé ce poste ?
— Je n’ai rien réclamé ! Ce n’est pas le gouvernement d’une ville que je désire mais l’amirauté ! En survivance de mon père qui en était investi. Je n’aime que la mer, monsieur le Savoyard4. Pouvez-vous comprendre cela ?
La dispute allait se prolonger quand Condé, agacé, y mit fin d’un coup de poing sur la table :
— En voilà assez ! Vous vous distribuerez les places quand nous serons au pouvoir !
— Pardon si je me répète mais nous sommes toujours d’accord : le pouvoir pour vous mais au non de Louis XIV. Pas de Philippe d’Espagne ! reprit Beaufort.
— Sans doute… A ne vous rien cacher, je vous confierai que l’Espagne me déçoit ! Rares sont ses promesses tenues !
— Allons donc, Monseigneur ! coupa François. Mme la duchesse de Longueville, Madame la Princesse et le prince de Conti qui tiennent la Guyenne sont unanimes pour vanter les excellents procédés dont ils sont l’objet et ne montrent aucune impatience : il faut du temps pour préparer une expédition d’une telle envergure. En outre…
— Il suffit, mon frère ! trancha Isabelle, mécontente. Vous êtes ici chez moi, c’est-à-dire en un lieu où l’Espagnol n’est pas le bienvenu…
— Il est notre allié !
— Le vôtre peut-être ! Pas le mien ! Pas plus qu’il n’était celui de notre père !
— Vous aviez à peine un an quand il est mort sur l’échafaud du Roi !
— … Mais j’en avais quinze quand Monseigneur écrasa les Espagnols à Rocroi ! Rocroi, messieurs, que vous tous à l’exception de M. de Beaufort semblez avoir oublié ! Y compris celui qui en fut le héros !
Un silence suivit cette sortie. Condé, sourcils froncés, réfléchissait, finalement ce fut lui qui le rompit :
— Pour l’heure présente il importe seulement que nous débattions s’il convient ou non que Mme de Châtillon retourne à Saint-Germain. Je rappelle que l’invitation émane de la Reine !
— La putain du Cardinal ! lança brutalement Lenet en haussant les épaules.
L’instant suivant, il sentait sous son menton la pointe de l’épée de Beaufort.
— Répétez cette infamie et vous rejoindrez vos aïeux ! Qu’avez-vous à vous occuper dans un conseil de princes, alors que vous n’êtes rien…
Il était déchaîné et on eut du mal à le calmer. Ce fut Isabelle qui réussit à l’apaiser après avoir prié le coupable de sortir…
— Je répète que vous êtes ici chez moi ! Tâchez de vous en souvenir !
Depuis l’affaire des bijoux de la princesse Charlotte, elle détestait Lenet et n’était pas fâchée de cette occasion de le lui faire savoir. Condé ne dit rien mais l’orage serait sans doute pour tout à l’heure quand ils seraient seuls. En revanche Beaufort prit sa main qu’il baisa en s’attardant peut-être et avec un sourire qui déplut à Nemours. Il allait sans doute se jeter sur lui quand Condé trancha :
— C’est suffisant pour ce soir ! Et puisque c’est à moi que revient la décision, Mme de Châtillon se rendra demain à Saint-Germain…
— … Mais je prie instamment que l’on m’épargne le fastueux déploiement de ma dernière visite ! Non que je ne sois fière d’être traitée en ambassadrice de notre Prince, mais nous ne sommes pas au théâtre et moins d’éclat me conviendrait.
— Allons, ma chère, grinça Nemours. A qui ferez-vous croire que votre beauté répugne à être aussi splendidement mise en valeur ?
— Seule l’admiration de ceux qui m’aiment m’importe ! riposta-t-elle. Et je sais depuis longtemps qu’il est impossible de plaire à tout le monde…
Elle s’attendait à une explication plutôt vive avec Condé mais il n’en fut rien. Il laissa partir les visiteurs puis demanda sa voiture. Ce qui fit sourire Isabelle :
— C’est bien la première fois que Votre Altesse prend la fuite devant un combat !
— Ce n’est pas le cas… et croyez que je le regrette : les réconciliations avec vous ont tant de charme, ma belle lionne ! Même si je dois toujours rendre les armes… Mais il se trouve que ce soir je vais chez Mademoiselle qui désire m’entretenir en privé… et je pense qu’elle a suffisamment attendu !
— Vous reviendrez ensuite ?
Elle avait posé la question en se détournant pour relever, dans un vase rempli de roses, une fleur trop penchée offrant au regard de Monseigneur sa nuque et ses épaules. Elle entendit son souffle se faire haletant et sourit pour elle-même, sûre de ce qui ne tarderait pas à venir… l’instant suivant il était contre elle et, les lèvres dans son cou, commençait à dégrafer sa robe puis la retourna sans douceur :
— Elle attendra ! fit-il contre sa bouche.
Un moment plus tard, alors que, apaisés, ils étaient étendus sur le lit d’Isabelle, il se redressa sur un coude pour la contempler :
— Une idée m’est venue, Isabelle ! Je vais vous envoyer un jeune peintre que l’on m’a recommandé et dont j’ai eu un aperçu du talent. Il s’appelle… Juste, je crois.
— Vous voulez mon portrait ? L’original ne vous suffit pas ?
— Ce n’est pas pour l’accrocher chez moi où cela vous serait préjudiciable, quelque envie que j’en aie, mais pour l’exposer chez vous. Dans votre chambre par exemple…
— Pourquoi pas dans un salon ?
— Parce que j’aimerais y paraître à vos côtés…
— Tous les deux ? Vous plaisantez ?
— Pas le moins du monde puisque j’y serais sous forme allégorique… par exemple celle d’un lion qui me ressemblerait et sur la tête duquel vous poseriez votre jolie main ? Qu’en pensez-vous ?
— Mais que j’en serais ravie au point que je ne saurais dire…
Et elle glissa ses bras autour de son cou pour l’attirer à elle.
Au matin, Condé adressait un mot d’excuses à Mademoiselle. Le temps passe si vite…
Isabelle retourna deux fois à Saint-Germain où elle était reçue avec un vif plaisir et où Mazarin, sans jamais s’engager, faisait miroiter à ses yeux des « accommodements » tous plus séduisants les uns que les autres… Cela entretenait autour d’elle une agréable atmosphère dans laquelle commençaient à fondre les méfiances des ennemis jurés du Cardinal… jusqu’au lendemain de la dernière visite où Bastille revint d’une discrète « exploration » autorisée par Isabelle sans difficulté. Et ce qu’il avait à révéler n’était pas exempt d’intérêt : la duchesse était en train de se faire mener en bateau par le rusé Cardinal et, tandis qu’il s’employait à endormir l’ennemi, le maréchal de Turenne avait bel et bien entrepris le siège d’Etampes et il s’en fallait de peu à présent qu’il n’y ensevelisse le plus gros de l’armée rebelle.