A vingt-six ans, jouissant d’une évidente bonne santé, d’un port majestueux et d’une magnifique chevelure tirant sur le roux mais d’une beauté médiocre, elle avait déjà reçu nombre de demandes en mariage qui n’avaient pas abouti. Vertueuse autant qu’une amazone, elle prétendait que l’amour « était indigne d’une âme bien faite » et qu’en ce qui la concernait elle ne voulait épouser qu’un roi ! Sous-entendu le Roi de France bien que d’une douzaine d’années plus jeune qu’elle. Par le truchement de la Reine, Mazarin s’était attaché à lui faire perdre cette espérance d’où la haine furieuse qu’elle lui vouait depuis. Elle se serait volontiers arrangée de l’Angleterre, mais encore eût-il fallu que celle-ci eût un roi et lui un trône pour s’asseoir. Or, le pauvre Charles II errait toujours de cour en cour à la recherche d’alliés susceptibles de le réinstaller à Londres.
Depuis quelque temps, cependant, Mademoiselle posait sur son cousin Condé « un regard plus doux ! ». Cela tenait aux mauvaises nouvelles que l’on recevait de Montrond, où Claire-Clémence était revenue s’enfermer pour y faire une fausse couche dont les suites donnaient à penser que la place de princesse de Condé pourrait se trouver vacante. Certes, Condé n’était pas roi mais c’était un héros proclamé comme tel dans toute l’Europe occidentale. Ceci pouvait compenser cela…
Pour en revenir à ce funeste jour qui avait vu la honteuse défection des Lorrains, Mademoiselle et la duchesse de Châtillon en étaient encore aux explications quand survinrent La Rochefoucauld et Nemours. Ils venaient supplier Isabelle de reprendre ses négociations avec la Cour… Les deux adversaires se retrouvèrent aussitôt d’accord :
— Ah non ! protesta Isabelle. Je ne suis pas allée au dernier rendez-vous en prétextant un malaise, je ne vais pas maintenant demander – humblement ? Pourquoi pas ? – que l’on me reçoive !
— Elle n’en a que trop fait dans ce sens et vous avez vu le brillant résultat ? Mazarin, tout en lui délivrant des paroles mielleuses, en profitait sournoisement pour avancer ses affaires !
— Certes, concéda La Rochefoucauld. C’est pourquoi l’idée nous est venue que nous pourrions en faire autant ! Monseigneur a besoin de temps pour rassembler des troupes fraîches. Songez qu’il a seulement six mille hommes autour de lui à son camp de Saint-Cloud et que Turenne en a au moins le double…
— Et il les fera venir d’où, ces troupes ?
— Il ne nous l’a pas confié mais je suis sûr qu’il va appeler Mme de Longueville à son secours…
— … Qui viendra avec ses airs de reine écraser tout le monde, lança Isabelle, rancunière. Et pendant ce temps-là moi je devrai m’agenouiller aux pieds de Mazarin la corde au cou et en chemise ?…
— Oh non ! gémit Nemours dont cette évocation réveillait des souvenirs. Pas en chemise tout de même !… Si vous le désirez j’irai avec vous, Isabelle. L’idée de vous laisser seule affronter les fauves m’importe plus que je ne saurais dire !
— Vous gâcheriez tout ! grogna Mademoiselle. Le mieux ne serait-il pas de susciter de nouvelles émeutes dans Paris ?… La capitale a déjà montré de quoi elle était capable…
— Dans ce cas, ce n’est pas Mazarin qu’il faut voir : c’est le cardinal de Retz et le président Viole, riposta Isabelle.
— On pourra s’en occuper, assura La Rochefoucauld. En attendant, chère duchesse, rendez-nous ce service d’aller bavarder un peu avec l’Italien !
Tant et si bien qu’Isabelle finit par se laisser convaincre à la condition que son déplacement se passe dans la discrétion. Elle n’avait pas envie d’être ridicule !
La discrétion ? Voire ! Le 23 juin, alors qu’elle gagnait Saint-Germain avec « l’escorte » fournie par Condé, circulaient dans Paris les vers du poète Loret, annonçant qu’elle faisait un « nouveau voyage en cour » dont on tirait « bon augure » car cela « marquait assurément » :
Quelque grand accommodement
Du Roy, de la Reine et des Princes,
Pour le repos de nos provinces.
Il en fut ce que l’on savait qu’il en serait : un échange de sourires, de révérences et de faux-fuyants dont Isabelle sortit écœurée. Mazarin avait « fait le galant », ce qui avait donné à sa visiteuse une folle envie de lui taper dessus.
Les premiers coups de feu éclatèrent peu après qu’elle fut rentrée chez elle où elle ne trouva plus personne : La Rochefoucauld et Nemours avaient rejoint Condé pour se battre à ses côtés cependant que Mademoiselle se hâtait auprès de son père dans l’espoir – vain ! – qu’il réunirait les meneurs parisiens pour en obtenir une aide efficace.
Devinant qu’elle aurait besoin d’une oreille amie après tout ce bruit fait autour d’elle, Mme de Brienne vint passer la nuit avec Isabelle et la trouva ravagée d’angoisse à l’idée que la journée à venir pourrait voir la fin de son Prince.
— Quoi qu’on m’en ait dit, j’aurais dû rester auprès de lui au lieu d’aller me ridiculiser chez ce Mazarin que je déteste ! Comment la Reine peut-elle lui trouver quelque agrément ?
— Des goûts et des couleurs on ne saurait disputer, ma chère enfant. En ce qui me concerne je ne me serais jamais éprise de Monsieur le Prince qui est loin d’être un tendre. Nemours m’aurait mieux convenu…
— Je l’ai aimé… un temps ! Mais il semble que ce temps soit révolu. D’ailleurs ils mènent le même combat et leur cause me paraît de plus en plus aventurée. Combattre à un contre deux et par la chaleur qui ne cesse de monter ! J’aurais horreur de voir Mazarin triompher. Heureusement qu’ils peuvent s’appuyer sur le peuple de Paris !
— N’y comptez pas trop ! Les petites gens sont lasses d’une guerre qui ne finit pas et ne leur rapporte rien que de la misère…
Ce fut exactement ce qu’elle entendit des lèvres du président Viole qui arriva peu après pour savoir des nouvelles de son expédition :
— Le petit peuple, les bourgeois et le Parlement veulent la paix à tout prix et je ne sais trop comment ils vont réagir devant de nouvelles hostilités.
— Vous voulez dire qu’ils sont d’accord ?
— Sur cette idée-là seulement ! Quant à celui qui pourrait la leur apporter, c’est le point où le bât blesse ! Ils sont travaillés par les espions de Mazarin, ceux des princes et même ceux du Roi d’Espagne, sans oublier le cher cardinal de Retz. Aussi ne savent-ils plus à quel saint se vouer ! Pourquoi ne retournez-vous pas à votre joli château de Mello, madame la duchesse ?
— En ce moment ? Je crois que j’y deviendrais folle…
Pendant à peine une semaine, on resta dans l’expectative cependant que la chaleur allait croissant. Le 1er juillet, Condé attaqué par Turenne jugea intenable sa position à Saint-Cloud et décida de gagner Charenton en traversant Paris.
Or, ce soir-là, Isabelle et Mme de Brienne décidèrent, pour se rafraîchir, d’aller déguster des glaces chez Renart, le pâtissier-glacier à la mode dont le jardin en terrasse dominait la porte de la Conférence7, au coin de l’actuelle place de la Concorde. Elles y rencontrèrent Mademoiselle, venue en voisine depuis son palais des Tuileries. Sa gourmandise en faisait d’ailleurs une habitude. Par ces temps de canicule on était à l’aise sous les ombrages du jardin et les glaces étaient délicieuses. Elle invita les deux arrivantes à lui tenir compagnie.
Elles bavardaient depuis un moment quand l’avant-garde de l’armée de Condé déboucha du Grand Cours dans l’intention évidente d’entrer dans Paris par la porte de la Conférence… dont l’accès lui fut refusé. Tout de suite la paix ambiante vola en éclats. Suivant que l’on était pour ou contre, on commença à échanger des injures, voire des horions, tandis que les gardes de la porte s’apprêtaient à tirer. On entendit Condé hurler :