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1 Une certaine difficulté à prendre une décision mais ensuite à ne plus vouloir en démordre, même si elle était mauvaise, a été un véritable handicap pour Condé. Sauf évidemment quand il commandait les armées où il faisait preuve d’un véritable génie.

2 En réalité, la somme en question devait être attribuée au duc de La Rochefoucauld.

3 Voir Marie des intrigues, du même auteur.

4 Amédée de Savoie, duc de Nemours.

5 Monsieur, duc d’Orléans et oncle de Louis XIV, avait épousé successivement Marie de Montpensier, mère de Mademoiselle et immensément riche puis, après sa mort, Marguerite de Lorraine, sœur du duc.

6 Elle-même habitait les Tuileries.

7 Côté du quai, la porte Saint-Honoré étant de l’autre côté.

8 Mademoiselle, dont les Mémoires au sujet de sa rivale sont plus que sujets à caution, raconte que Condé traita alors sa maîtresse avec mépris, ce qui est difficile à croire étant donné la suite.

3

Un certain abbé Fouquet

Le repos ? Voire ! A peine eut-il apaisé – par deux fois ! – le désir qu’il avait de sa belle maîtresse, Condé sans s’accorder le bienheureux sommeil dont il avait tant besoin retrouva intacte la fureur dans laquelle il avait vécu cette dramatique journée. Il n’en retenait qu’une seule chose : Paris, ce Paris qui le déifiait il n’y avait pas si longtemps, s’était retourné au point de lui fermer ses portes. Sans Mademoiselle, il le laissait anéanti sur ses murailles barricadées en se contentant d’admirer le spectacle. Cette indifférence, ce lâche abandon, il allait falloir les lui payer ! Particulièrement le Parlement et les échevins, qu’il accusait de trahison !

Il y avait aussi l’Espagne qui n’avait pas rempli son contrat, même si une petite troupe de ses soldats avait participé à la bataille. Le Prince ne comprenait pas que, justement, les couleurs de ses alliés jointes aux siennes avaient été du plus mauvais effet. Singulièrement sur le duc de Beaufort qui ne combattait à ses côtés que par haine de Mazarin.

Sous les yeux d’Isabelle, horrifiée mais impuissante – il la menaça de l’enfermer si elle intervenait en quoi que ce soit ! –, Condé commença par écrire une lettre furieuse à Madrid puis convoqua autour de lui – et chez elle ! – quelques-uns de ses sous-ordres qui lui amenèrent certains de ces personnages troubles que l’on retrouve toujours à la base des soulèvements populaires. La journée du 3 juillet se déroula ainsi en allées et venues et conciliabules auxquels, naturellement, Isabelle ne participa pas. Et, malheureusement, elle était la seule, à présent que les plus précieux des amis étaient hors de combat.

Nemours, auprès de qui elle se rendit à l’hôtel de Vendôme – depuis leur commun voyage à Montargis, Isabelle entretenait des relations amicales avec l’épouse de son amant –, était beaucoup moins atteint qu’on ne l’avait craint en voyant le sang dont il était couvert, mais le repos au lit lui était encore nécessaire. La Rochefoucauld, rentré dans ses foyers, soutenu par son fils et Gourville, son secrétaire, était aux trois quarts aveugle et risquait la cécité totale. Guitaut lui aussi était hors service. Quant à celui qui était cher entre tous à la jeune femme – son frère ! –, nul ne put lui dire où il avait disparu ! Varangeville, l’un de ses amis qu’elle eut la chance de rencontrer, la rassura : Bouteville avait été légèrement blessé mais il était soigné chez une de ses belles amies dont on tut le nom. Qu’Isabelle d’ailleurs ne demandait pas. De toute façon François avait emboîté le pas à son chef bien-aimé sans donner la moindre explication. Mieux valait qu’il reste en dehors d’une aventure qu’Isabelle ne pouvait s’empêcher de redouter. Ce en quoi elle avait entièrement raison.

On ne dormit guère, cette nuit-là, à l’ex-hôtel de Valençay. Une foule silencieuse de gens de toutes sortes défila. Assez souvent des inconnus de mauvaise mine entraient, passaient quelques instants dans le petit cabinet où Condé les recevait, puis repartaient en cachant leurs visages sous un pan de leur manteau. Or, rien que ces manteaux auraient dû les rendre suspects : la nuit de juillet était poisseuse à force de chaleur et Isabelle, avant d’aller s’étendre sur son lit, se trempa dans un bain d’eau froide puis s’aspergea d’une eau de senteur où la rose se mêlait au jasmin… et oublia sa chemise de nuit. Pour finir, elle ne garda allumés qu’un bougeoir de chaque côté du lit.

Quand enfin Condé la rejoignit, elle feignait de dormir et, les yeux mi-clos sous leurs longs cils, elle observait.

Elle entendit sa respiration s’écourter tandis qu’il se dépouillait en hâte de ses vêtements mais, quand il voulut s’affaler sur elle, l’évita d’une souple torsion des reins et se releva. Frustré, il gronda :

— Viens ici !

— Non ! Je veux d’abord savoir ce que vous machinez depuis ce matin avec tous ces gens que vous attirez chez moi !

— Ce ne sont pas des affaires de femmes !

— J’aimerais avoir là-dessus l’avis de votre sœur ! (Puis, sur un ton plus amène :) Je devine ce que vous avez souffert à la porte Saint- Antoine ! Que vous soyez ivre de vengeance je peux l’admettre mais je vous conjure de réfléchir et de ne pas transformer un malheur en catastrophe…

— Que me chaut ? fit-il, buté. Je te veux ! Tout de suite ! Nous parlerons… après !

Elle n’eut pas le loisir d’ajouter un mot. Apparemment il était moins las qu’elle ne l’avait cru. D’une brusque détente il fut sur elle, l’arracha à la colonne du lit où elle s’appuyait, l’envoya sur le lit puis, lui maintenant les bras écartés, lui ouvrit les jambes d’un coup de genou et entra en elle avec une brutalité qui la fit crier mais ne le calma pas. Bien au contraire  ! La conscience de la violenter parut redoubler son ardeur. En même temps il marmonnait des mots sans suite et à peine articulés qu’elle s’efforça de ne pas entendre et l’affolèrent car elle sentit qu’il abordait les limites de la folie. Elle voulut appeler au secours, hurla mais il la musela d’un baiser qui ressemblait à une morsure…

Pourtant son supplice prit fin brusquement. Une poigne vigoureuse l’arracha d’elle et l’expédia sur le parquet où il resta immobile.

Soudain redressée, elle vit devant elle Bastille, pâle comme un mort.

— Cette brute vous a blessée, fit-il en désignant le sang qui tachait le lit. Je vais appeler…

— Surtout pas ! le modéra-t-elle après avoir constaté que Condé était évanoui. Rentre chez toi au contraire  ! Il n’a pas pu te voir et je saurai quoi lui dire… Envoie-moi Mme de Ricous…

Mais Bastille ne bougeait pas, se contentant de la dévorer des yeux, et elle se rappela alors qu’elle était nue. Elle s’en débarrassa :

— File avant qu’il ne reprenne connaissance  !

Il s’esquiva laissant la place à Agathe qui comme d’habitude ne devait pas être loin et qui, immédiatement, dédramatisa l’événement :

— Quel coup ! s’exclama-t-elle, hilare. Il ne l’a pas tué au moins ?

— Au lieu de dire des sottises aide-moi plutôt à le remettre sur le lit et donne-moi ce qu’il faut pour le ranimer…

— Vous auriez peut-être besoin de soins, vous aussi. Ces taches de sang ! D’ailleurs je vous avais entendue crier et j’accourais…

— Ce n’est pas grave ! J’en guérirai… enfin… je l’espère.

Tandis qu’Agathe bassinait la figure de Condé avec un linge mouillé, elle alla s’envelopper d’un saut de lit en soie blanche et revint faire boire un peu de vieux marc de raisin à la victime de Bastille qu’Agathe redressa en calant un oreiller derrière son dos.