Выбрать главу

L’alcool eut tôt fait de le ranimer. Agathe alors s’esquiva après avoir donné le verre à sa maîtresse. Et quand, enfin, Condé ouvrit des yeux encore un peu nébuleux, il vit devant lui Isabelle, drapée dans sa soie blanche qui le regardait adossée à une colonnette du lit, le verre à demi plein à la main.

— Que… que s’est-il passé ? balbutia-t-il en se frottant la figure.

— Pas grand-chose ! renseigna-t-elle avec une ironie méprisante. Vous avez perdu la tête, je pense car vous m’avez traitée comme une de ces filles de bourdeaux où l’on dit que vous ne dédaignez pas de vous rendre. Il se trouve que je me suis défendue.

— Vous contre moi ? ricana-t-il. Je vous tenais à ma merci. Quelqu’un a dû venir…

— Oui. Ma femme de chambre. Elle a eu l’impression que vous m’étrangliez et vous a tiré en arrière, ce qui m’a permis de remonter mes pieds sous votre poitrine pour vous repousser contre la colonne du lit où je vous ai frappé avec ce qui m’est tombé sous la main… cette boule à parfums que vous voyez là…

Il prit l’objet, l’examina puis le lâcha :

— On dirait que je vous dois des excuses ?

— Plutôt, oui ! répondit-elle sévèrement en croisant les bras sur sa poitrine. Moi qui croyais être aimée !

Il se releva et s’approcha d’elle :

— Vous n’avez pas le droit d’en douter, Isabelle ! Je vous aime… malheureusement, vous semblez posséder le pouvoir de me rendre fou ! Pardonnez-moi et pensez que demain la journée sera rude…

— Au fait, si nous en parlions un instant ? Dans quelle aventure avez-vous l’intention de vous lancer ?

— Une aventure, non ! Je ne veux que donner une leçon à ces maudits Parisiens qui ont osé me fermer leurs portes au nez, tuant ainsi certains de mes amis.

— Ce que je peux comprendre parce que je partage votre peine et votre colère mais avez-vous songé que, en vous attaquant à ceux qui vous acclamaient si fort il n’y a pas si longtemps, vous alliez entrer dans le jeu de Mazarin ? Ils n’ont jamais cessé de le vomir et vous voulez abattre vos meilleurs défenseurs ?… Avec l’aide, bien sûr, de ces quelques Espagnols qui ont pénétré dans la ville avec vous. Leur vue ne m’a pas été agréable, vous n’êtes pas sans vous en douter ! Aux Parisiens non plus !

— Mais ils sont là comme… observateurs. Vous me pardonnez ?

— Provisoirement !

— Alors, mon cœur, revenez dans mes bras !

— Pas ce soir ! il me faut des soins et je ne vous accorderai qu’un baiser !

— Seulement ?

— Seulement ! Nous verrons demain soir…

Elle posa brièvement ses lèvres sur celles de Condé et, sans lui laisser le temps de la saisir, courut s’enfermer dans son cabinet de bains…

Pour s’apercevoir avec ennui qu’elle aussi avait envie de lui… mais pour rien au monde elle n’aurait voulu qu’il le sache !

Quand elle s’éveilla quelques heures plus tard, il était déjà parti rejoindre son hôtel de Condé afin de s’entretenir plus aisément avec Monsieur, son voisin, mais en lui laissant un mot assez tendre conseillant de ne pas mettre les pieds hors de chez elle, de veiller à ce que ses portes soient hermétiquement fermées et de n’ouvrir qu’à des gens dont elle était sûre…

— Il est bien temps ! marmotta-t-elle. Après avoir vu défiler hier toutes ces figures patibulaires ! S’il a, comme je le crains concocté une nouvelle émeute, je m’y trouve mêlée qu’il le veuille ou non et, en fait de figures patibulaires, il se pourrait que je voie arriver un peloton de gardes venus procéder à mon arrestation.

Elle examinait l’idée d’aller passer la journée auprès de Mme de Brienne qui habitait au faubourg Saint-Germain quand Bastille vint lui proposer de l’y conduire avec Agathe :

— Vous feriez bien même d’y demeurer quelques jours.

Elle savait que son amie ne demanderait pas mieux. Mais comme elle hésitait encore, il ajouta :

— Je reviendrai veiller sur la maison ! Dépêchez-vous, la journée va être dure !

Elle fut pire !…

On était le 4 juillet et le Parlement avait convoqué à l’Hôtel de Ville une assemblée de notables : parlementaires, membres du clergé, représentants des grands corps de métiers, au total plus de quatre cents personnes. Peu à peu la place de Grève et les environs de la Maison commune s’emplirent d’une foule disparate composée de soldats Condéens habillés en ouvriers mais qui n’avaient eu garde d’oublier leurs armes, mêlés à des hommes aux figures rébarbatives et à des femmes du peuple dont certaines de « mauvaise vie ». Tous ces gens poussant des clameurs hostiles contre « les » Mazarin. En outre, ils portaient à leurs chapeaux, bonnets, coiffures ou épinglés sur l’épaule des bouchons de paille. Enfin, au quai de la Seine on avait amarré des bateaux chargés de fagots que, dans la matinée, on déchargea avec l’aide de débardeurs pour les entasser contre les murs de l’Hôtel de Ville.

A une heure de relevée la place débordait. Des « agents secrets » distribuaient de l’argent, surtout aux bateliers et aux plus pauvres pour les pousser à réclamer l’union de la ville et des princes. On avait même tendu les chaînes en travers des artères menant à la Grève.

A l’intérieur du bâtiment où régnait une chaleur de four, l’assemblée était houleuse. On attendait Monsieur et le prince de Condé et, pour inciter à la patience, le procureur du Roi se lança dans un long discours qui ne satisfit personne.

Enfin les princes parurent. Monsieur, la mine renfrognée mais la paille à son chapeau, n’était là que contraint et forcé : Mademoiselle et Condé avaient dû joindre leurs supplications pendant un long moment pour le convaincre. Gaston d’Orléans s’assit dans un fauteuil sous un dais et Condé sur une chaise.

Arriva à cet instant un envoyé du Roi apportant une lettre où Sa Majesté exprimait son mécontentement de l’affaire de la Bastille et de la porte Saint-Antoine qui avait « sauvé les rebelles » mais en évitant soigneusement de s’en prendre à la ville. Bruits divers !

Là-dessus, on décida Monsieur à dire quelques mots. Il s’en tira mal, bafouillant plus ou moins, ce qui rendait son discours à peu près incompréhensible. Son Altesse remerciait. Oui, mais de quoi ? Quant à Condé il s’exprima plus nerveusement, jurant qu’il serait toujours prêt à exposer sa vie et son sang pour la protection de la ville et l’expulsion du Cardinal. La réponse du prévôt des marchands, pratiquement inaudible, ne fut pas ce que l’on pouvait en espérer.

Furieux alors, Condé, en quittant l’Hôtel de Ville, clama :

— Ces gens-là ne veulent rien faire pour nous. Ce sont tous des Mazarin !

On y vit un signal. Avec des hurlements, la foule se rua dans la Maison commune, mit le feu aux portes, fusilla ou égorgea tous ceux qu’elle rencontrait, conseillers ou échevins.

Pendant cinq heures, jusqu’à onze heures du soir environ, les émeutiers furent maîtres, pillèrent, incendièrent, massacrèrent sans que Condé – et encore moins Monsieur ! – veuille intervenir. Jusqu’à ce que, dans l’espoir d’apaiser les esprits… et la soif, Condé expédie cinquante barriques de vin, ce qui eut au moins pour résultat de neutraliser les assaillants. Ayant pris la plus belle cuite de leur vie, ils s’endormirent sur place. Ce fut finalement le duc de Beaufort, le « Roi des Halles », qui réussit à ramener un semblant d’ordre permettant de porter secours à l’Hôtel de Ville en train de flamber…

Une chose était certaine : la journée des Pailles qui aurait pu être le point d’orgue de la Fronde en portant Condé au pouvoir – sous l’égide de Monsieur ! – en sonna le glas. Rendue clairvoyante par le découragement Mademoiselle écrira :