Encore qu’on l’eût préféré un peu plus loin – au fond de l’Allemagne, des Pays-Bas ou même de la Russie ! –, Paris s’offrit une fête à tout casser : on illumina, on dansa dans les rues – et dans les salons ! –, le vin coula à flots des fontaines et on s’embrassait entre inconnus pour un oui ou pour un non. Monsieur donna un bal au Luxembourg où parurent les plus jolies femmes – dont Isabelle plus ravissante que jamais et bien sûr Mademoiselle qui, elle, l’était moins.
Aussitôt après l’union sacrée parut se faire : le Parlement, les bourgeois, le petit peuple et les princes se mirent d’accord pour envoyer une délégation au Roi et le supplier de revenir à Paris où il ne trouverait plus que de fidèles sujets…
Mais il apparut qu’il y eut des degrés dans la fidélité en question. Ainsi les princes n’oublièrent pas de renouveler leurs anciennes doléances.
n première réponse, le Roi ordonna aux parlementaires de le rejoindre. Dix-sept seulement s’y résolurent. Alors commencèrent une série de négociations ressemblant beaucoup à des marchandages.
En fait, que Mazarin fût là en personne ou à la frontière ne changeait pas grand-chose : il avait conservé intacte son influence ; les ministres en fonction étaient plus ou moins ses créatures et ne faisaient rien sans le consulter par voie d’agents secrets qui se mirent à fleurir comme violettes au printemps… Et si, pour la plupart, ils demeurèrent bien à l’abri sous leurs manteaux couleur de muraille, leurs masques et leurs divers aspects, leur chef sortit bientôt de sa semi-obscurité pour apparaître dans la lumière – discrète à vrai dire ! – des cabinets de conversation : on l’appelait, sous le manteau, l’Eminence grise du Cardinal bien qu’il ne ressemblât en rien au défunt père Joseph du Tremblay qui, auprès de Richelieu, avait inauguré l’appellation, laquelle d’ailleurs lui allait comme un gant.
Rien de tout cela chez l’abbé Fouquet qui ressemblait à tout sauf à un prêtre même s’il portait le titre d’aumônier du Roi. Ce personnage redoutable – car il l’était ! – se montrait sous les aspects d’un jeune et hardi cavalier à la légère moustache blonde, aux traits fins éclairés par de beaux yeux bleu foncé légèrement étirés, à la bouche sensuelle et au sourire dévastateur qui maniait mieux l’épée qu’il ne disait la messe. Agé de trente ans tout juste, il était baron de Dannemarie, gratifié du bénéfice de l’abbaye de Noailles. Bientôt décoré de l’ordre du Saint Esprit, ce fils d’une grande famille de parlementaires dont le frère aîné, Nicolas, procureur du Roi, serait dans peu de temps surintendant des Finances et ferait quelque bruit dans le monde, ne lui ressemblait que par un physique avantageux… Il n’en avait ni la générosité, ni le goût infaillible, ni la suprême élégance.
Son ambition à lui était sans scrupules. Ayant le génie de l’intrigue et doué d’une activité infatigable, il ressemblait par certains côtés au cardinal de Retz qu’il jalousait autant que l’autre le détestait. Il avait débuté dans la vie comme subalterne dans la clique des espions qu’entretenait Mazarin, mais s’était distingué deux ans plus tôt en se faisant livrer par surprise les places de Clarmont et de Damvillers occupées par les troupes de Condé d’une façon peu orthodoxe : il avait trouvé moyen de soudoyer les deux garnisons en levant – par quel procédé ? – sur la Normandie3 une contribution de un million cent mille écus sur lesquels le Cardinal avait prélevés cent mille pour compenser la vente de ses meubles et livres par les Frondeurs.
Aussi, depuis cet exploit, le confident et préféré de Mazarin était à Paris où il pratiquait avec brio l’espionnage, l’art de susciter des mouvements populaires, voire de sanglantes émeutes contre les princes. Et c’était cet homme-là que Mazarin chargea de négocier avec lesdits princes.
Comptant sur son astuce et ses talents de comédien, l’abbé Basile pensait ne faire qu’une bouchée de Condé – un militaire atrabilaire – et de Monsieur qui ne valait rien en politique étant uniquement sensible au son mélodieux des pièces d’or.
Les autres princes, la redoutable duchesse de Longueville et son frère Conti toujours aussi épris d’elle continuaient à régner sur le Sud-Ouest et à coqueter avec les Espagnols. Quant au duc de Longueville, pratiquement brouillé avec sa femme, il continuait de bouder dans son château de Trie et ne voulait plus entendre parler de quoi que ce fût.
Les conférences devaient se tenir à l’hôtel de Condé et ce fut plein de confiance que notre abbé s’y rendit par un bel après-midi de septembre et se laissa conduire par un gentilhomme dans le vaste cabinet où devait se tenir l’entretien. L’endroit était vide quand il y entra, ce qui lui fit froncer le sourcil parce qu’il était d’une exactitude d’horloge. En outre, au lieu de trois sièges il en comptait quatre autour de la table couverte d’un beau tapis rouge parfilé d’or. Qui donc allait y assister en dehors de Monsieur et du maître de la maison ?
Celui qui apparut n’était ni l’un ni l’autre. C’était un homme fort digne et fort compassé qui s’annonça comme étant M. de Goulas, secrétaire aux commandements de Monsieur qui eut tout juste le temps de se présenter. Les valets ouvraient déjà la double porte : Condé apparut tenant par la main la plus jolie femme que l’abbé eût jamais vue : la duchesse de Châtillon !
Condé expliqua aussitôt que, pris par de nombreuses occupations, il n’avait pas le loisir de discuter pendant des heures mais que sa très chère amie ici présente connaissait le fond de sa pensée et qu’il lui avait remis tous ses pouvoirs. Ce qu’elle déciderait serait bien fait, lui-même venant de temps en temps voir où en étaient les choses. Puis il baisa la main d’Isabelle et disparut laissant les trois « plénipotentiaires » entre eux, la duchesse souriante et les deux autres assez désarçonnés mais, enfin, on était là pour discuter : on discuta. Ou plutôt chacun exposa son point de vue et il fut vite évident que même Mazarin écarté du pouvoir – du moins en apparence ! – la soumission des princes et leur retour à la vie normale étaient toujours au même prix.
— Messieurs, intervint alors Isabelle, après avoir fait apporter quelques rafraîchissements. Vous conviendrez avec moi que cette première réunion n’est qu’une prise de contact. Nous sommes tous encore sous le coup des graves événements qui ont enflammé Paris le 4 juillet dernier et il est peut-être préférable de laisser un peu de temps au temps. Nous avons là, par écrit… les désirs exprimés de part et d’autre. Donnons-nous quelques jours pour les étudier et voir s’il est possible de trouver un premier point d’accommodement ?…
— Je n’en vois guère la nécessité, grommela Basile Fouquet. L’arrogance des princes…
— Je vous en prie ! Si nous partons sur ce sujet nous n’aboutirons qu’à une impasse. Vous nous reprochez, monsieur l’abbé, de n’avoir pas changé dans nos desiderata mais, au contraire de ce que nous espérions, il semblerait que vos propositions à vous n’aient pas été dictées, je ne dirai pas par Sa Majesté le Roi – qui doit être novice dans l’art de l’escrime diplomatique ! – mais par le cardinal Mazarin en personne alors qu’aux dernières nouvelles il s’était retiré noblement non seulement de son poste de ministre mais aussi de la France. Ce que nous étions en droit d’espérer, c’était l’après-Mazarin et non je ne sais quel arrangement avec un gouvernement fantôme toujours dominé par ledit Cardinal parti se mettre au vert ! Nous devons être certains qu’il ne reviendra plus, sinon cette rencontre n’est que du temps perdu !
Elle se leva d’ailleurs sur le dernier mot laissant ainsi entendre que la séance était aussi levée.