Elle se leva au moment précis où il mettait genou en terre, ce qui permit à Basile de prendre sa main et d’y coller ses lèvres. Elle ne la lui retira pas, réfléchissant à toute vitesse. Que cet homme soit tombé amoureux d’elle pouvait ouvrir des perspectives nouvelles ! Encore fallait-il ne rien précipiter :
— Au lieu d’adversaires nous pourrions être… amis ? Secrètement, évidemment, car Monsieur le Prince est extrêmement jaloux… et je serais vraiment navrée s’il s’en prenait à vous ! soupira-t-elle en retirant doucement sa main avant que la sienne ne s’égare autour de sa taille. Mais je répète : amis ! Rien d’autre !
— C’est déjà beaucoup, j’en conviens mais…
— Mais ?
— M’interdisez-vous l’espérance de voir un jour cette amitié donner naissance à quelque chose… de plus… je veux dire de moins…
Elle éclata d’un rire si gai et si franc qu’il était impossible de s’en offusquer. Il le prit d’ailleurs avec bonne humeur :
— Je suis ridicule n’est-ce pas ?
— En aucune façon ! Ce serait même le contraire car vous démontrez que vous êtes homme d’esprit et j’aime cela ! Venez plutôt vous asseoir près de moi et tâchons d’accorder nos violons ! Vous devez bien comprendre que, ayant été joué à travers moi par le Cardinal, Monsieur le Prince ne veuille plus traiter qu’avec Leurs Majestés. On oublie trop aisément à Compiègne… et vous comme les autres !… qu’il est de sang royal, que c’est un Bourbon et qu’en cas de viduité il pourrait revendiquer la couronne !
— Après Monsieur !
— J’ai dit en cas de viduité !
Ce fut au tour de l’abbé de rire et, montrant de belles dents blanches, le rire lui seyait :
— Seriez-vous très fâchée, madame la duchesse, si je me permets d’affirmer que Monsieur ou rien du tout sur le trône reviendrait au même ? Il ne s’intéresse uniquement qu’à l’or !
— Pas le moins du monde, répondit-elle en écho. Et il serait fort dommage que Louis XIV ne puisse régner car il sera un grand roi !
— A quoi voyez-vous cela ?
— A son regard. Avez-vous déjà essayé de le soutenir ?
— N… on ! Je n’ai jamais essayé.
— Vous devriez… si vous l’osez ! C’est plein d’enseignement ! Et c’est pourquoi je me tue à répéter qu’il faut que ce règne soit ! Avec Condé à la tête de ses armées et un brillant ministre des Finances – pourquoi pas votre frère aîné que l’on dit fort entendu en la matière ? –, la France recouvrera son prestige !
— J’en suis persuadé mais il faudrait que, de votre côté, vous admettiez que le Roi aime beaucoup le Cardinal !
— Il faudrait croire alors qu’il est un remarquable dissimulé. Quel fils peut aimer l’amant de sa mère ? Surtout si elle est reine !
Il y eut un silence que l’abbé employa à admirer son hôtesse. Jamais femme ne l’avait séduit à ce point et, en la quittant, il emportait avec lui le vif désir de lui plaire. Après tout Mazarin n’était plus dans sa première jeunesse contrairement à eux deux… Décidé à tout pour l’obtenir, il accepterait peu à peu l’idée de mettre en lumière les desiderata des princes en oubliant le Cardinal qui était cependant son patron.
Aussi pendant le mois de septembre ce fut un échange continuel entre Compiègne et l’hôtel de Condé. Mais, à mesure, l’intransigeance de Condé, qui poussé par les courriers de sa sœur ne voulait renoncer à aucune de ses prétentions, réduisit de plus en plus le champ de manœuvre. Principalement quand on sut, à Compiègne, que l’abbé Basile était tombé amoureux d’Isabelle. Aussi le remplaça-t-on par un sévère magistrat, M. d’Aligre, totalement imperméable au charme féminin mais qui n’eut guère le temps d’exercer ses talents : le 4 octobre, le ministre Le Tellier chargeait l’abbé Basile de remettre à Mme de Châtillon une sorte d’ultimatum à l’adresse de Condé. Les conditions proposées étaient en tel désaccord avec les volontés du Prince qu’Isabelle les déclara « trop funestes » et refusa de les transmettre, ajoutant que si l’on tenait à ce que Son Altesse en soit informée, on n’avait qu’à s’adresser à MM. de Chavigny ou de Rohan mais non à elle. C’est Chavigny qui en fut chargé et, naturellement, elles furent rejetées avec dédain par Condé. Sans d’ailleurs qu’Isabelle – comme Condé lui-même – en fût affectée car, tandis que l’on se livrait, par écrit, à un dialogue de sourds, il s’était produit quelque chose qui avait renforcé la détermination du Prince : le duc de Lorraine était revenu !
Eh oui ! Charles IV – qui sans doute n’avait pas trouvé preneur au prix qu’il estimait ! – venait de reparaître avec sa belle petite armée astiquée, bichonnée – vrai modèle d’exposition ! – et s’installait au château de Grosbois, défendu d’un côté par la vallée de l’Yerres et de l’autre par une profonde forêt s’étendant jusqu’à Valenton et Villeneuve-Saint-Georges. Déjà habitué, Turenne était retourné bivouaquer philosophiquement sur les hauteurs de Villeneuve, en bonne place pour attendre la suite des événements.
Mais il ne bougea pas le petit doigt.
Cette fois, le duc à éclipses annonçait ses intentions : il venait de se mettre au service de Monsieur le Prince et faire sa cour à Mlle de Montpensier que sa fortune auréolait d’une belle lumière dorée.
Comme à sa dernière apparition, tout Paris se précipita chez Lorraine pour admirer, festoyer. L’héroïne de la fête c’était naturellement Mademoiselle, qui, bien sûr, commença par lui demander la raison de sa précédente fuite. Il lui confia alors, des larmes dans la voix, qu’il « s’était laissé empaumer par le cardinal de Retz » – remarquablement discret ces derniers temps ! – et les propositions de la Cour, « ce dont il s’était fort repenti depuis ».
Aussi pouvait-on le voir au lever de Mademoiselle, à genoux devant son lit et la couvrant de compliments dithyrambiques, jurant d’être à jamais son serviteur dévoué de même qu’il assurait Condé d’une amitié indéfectible. Tous deux le crurent, ainsi d’ailleurs qu’Isabelle que son amant mena un jour dîner4 à Grosbois pour admirer la belle ordonnance de l’armée. Ce qui ne fit aucun plaisir à Mademoiselle, laquelle accusa sa rivale de vouloir séduire le duc.
Il n’en était rien, évidemment, mais Isabelle, comme Condé, n’en virent pas moins dans Charles IV l’envoyé du Ciel qui allait rendre possibles de nouvelles tractations avec la Cour sans faire appel aux Espagnols. Soulagée à un point extrême, la jeune femme mit fin à ses entretiens avec l’abbé Fouquet – de toute façon n’était-il pas remplacé par M. d’Aligre ? – qui le prit très mal. Il était réellement tombé amoureux d’elle et son orgueil n’admettait pas d’être éconduit. Et, le jour où elle lui fit comprendre qu’ils allaient devoir « espacer » leurs rencontres et même y mettre fin pendant un temps, il leva le masque :
— Parce que vous pensez que je ne vous suis plus utile vous me rejetez ?
— Nullement et je serai toujours heureuse de recevoir l’ami que vous êtes !
— Ami ? Allons donc ! Vous savez pertinemment que je suis fou de vous et veux être votre amant !
— Et vous savez pertinemment que la place est prise…
— Condé court à sa perte. Vous aurez peut-être alors besoin d’un protecteur ?
Le mot déplut à Isabelle parce qu’il offensait son orgueil. Elle rendit coup pour coup :
— Quand on est duchesse de Châtillon-Coligny et née Montmorency on n’accepte d’autre protection que d’un roi ou d’un prince de sang royal. Pas d’un Basile Fouquet !
— Vraiment ? Je vous imaginais plus intelligente mais vous aurez lieu de regretter vos dédains et il se peut qu’un jour…