En arrivant au Louvre on y trouva le cardinal de Gondi, environné de son clergé, qui les régala d’un long compliment…
Dès le lendemain, le Roi signifiait ses volontés au Parlement en lui interdisant de s’occuper désormais des affaires de l’Etat. Puis des lettres de cachet furent envoyées aux ducs de Beaufort et de Rohan, ainsi qu’aux présidents Viole, Broussel, Perrault et autres Frondeurs de quelque importance.
Enfin trois dames de haute naissance étaient chassées de la Cour comme ennemies du Roi : Mademoiselle pour avoir osé faire tirer contre lui les canons de la Bastille, Mme la duchesse de Longueville… et Mme la duchesse de Châtillon comme trop dévouée à Condé. Elles étaient reléguées dans leurs terres – Isabelle à Mello ! – avec défense d’en sortir !
Pendant qu’il y était, le bon abbé Basile obtint l’arrestation du cardinal de Retz qui se croyait pourtant en si bons termes avec la Reine. On s’empara de sa personne indignée au Louvre même alors qu’il venait faire sa cour !…
Cette fois la Fronde était bien morte.
Le 26 octobre, Louis XIV rappelait Mazarin qui n’arriva que le 3 février suivant et, comme on pouvait s’y attendre, reçut de Paris… un accueil triomphal !
Mais le 17 novembre le prince de Condé était nommé généralissime de l’armée espagnole…
1 Je n’ai pu découvrir les noms des autres combattants à l’exception de Pierre de Villars, père du futur maréchal, tenant de Beaufort et qui survécut. Parmi les autres deux furent tués et deux blessés. L’hôtel en question s’élevait à l’emplacement de la place Vendôme.
2 C’est sans doute dans ce double jeu qu’il faut chercher la raison de ce que Mademoiselle raconte dans ses Mémoires touchant Isabelle et dont on ne trouve confirmation nulle part ailleurs.
3 Fief du duc de Longueville par-dessus le marché !
4 À cette époque le dîner était notre déjeuner actuel.
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Exilée !
Se retrouver coupable de trahison après avoir tant œuvré pour ramener Condé dans le droit chemin ulcéra Isabelle… Alors qu’elle s’était dépensée sans compter pour sauver son amant de lui-même, atterrir dans le même panier qu’une Longueville qui, depuis des années, ouvrait largement à l’Espagne l’estuaire de la Gironde, lui était intolérable. Son ennemie n’allait-elle pas jusqu’à s’appuyer sur un parti, l’Ormée, nettement révolutionnaire, qui ne rêvait rien de moins qu’établir sur tout le Bordelais une sorte de république dont la « merveilleuse duchesse de Longueville » eût été le symbole et même la déesse ? Isabelle, pour sa part, n’avait pas une goutte de sang sur les mains ce qui n’était pas le cas – et de loin ! – de l’infernale duchesse que liaient à ses deux frères des amours incestueuses lesquelles s’accommodaient fort bien d’autres amants comme ce malheureux La Rochefoucauld, presque aveugle et parti enfermer dans son château de Verteuil ses souffrances et son désespoir. Qu’il allait d’ailleurs traduire en Mémoires et maximes amères et magnifiques1.
Témoins d’abord impuissants de la détresse d’Isabelle, Mme de Brienne et Marie de Saint-Sauveur s’étaient relayées pour la guérir d’on ne savait quelle folie née moins de la funeste décision de Condé que d’avoir vu son cher petit frère le suivre vers ce qui ne pouvait être que sa perte. Dans ses cauchemars les deux femmes pouvaient l’entendre balbutier, les larmes coulant sur ses joues :
— Le troisième Montmorency à l’échafaud… Le troisième Montmorency à l’échafaud !…
Cela dura trois jours et trois nuits au bout desquelles, enfin, Isabelle retrouva la claire conscience. Pour apprendre que, vu son état de santé, on lui accordait deux jours pour se remettre et prendre le chemin de Mello, faute de quoi elle y serait conduite de force, un ordre d’exil étant exécutoire aussitôt promulgué.
Sur une nature moins combative que la sienne, cette cruauté supplémentaire eût généré un surcroît d’abattement. Isabelle s’en trouva remise instantanément à la grande joie de ses deux amies.
— Qui a signé cela ? demanda-t-elle en considérant l’imposant paraphe – imposant mais illisible ! Je ne connais pas cette écriture ! Oh, et puis après tout qu’importe ! Que l’on achève les préparatifs ! Je veux être à Mello ce soir !
— Vous êtes encore bien pâle ! observa Marie de Saint-Sauveur. Laissez-moi vous accompagner !
— Et moi, pendant ce temps-là, je verrai la Reine et j’irai à Mello vous rendre compte ! Il est inconcevable que vous receviez un châtiment si peu mérité ! La Longueville, oui, Mademoiselle largement plus puisqu’elle a osé faire tirer le canon sur les troupes royales, mais vous qui n’avez cessé de prêcher la concorde et l’apaisement, c’est non seulement injuste mais inimaginable !
— Veillez surtout à ne pas y perdre votre crédit ! lui recommanda Isabelle. On aurait pu me frapper plus cruellement !… En m’enlevant Châtillon d’abord…
— Châtillon est à votre fils puisqu’il en est le dernier duc… De toute façon être exilé sur ses terres provinciales n’entraîne pas la confiscation des propriétés. Il en va tout autrement du bannissement hors de France et, naturellement, de la peine de mort. On ne vous reproche qu’une trop grande amitié pour Monsieur le Prince. Lui relève de la haute trahison. S’il était pris en France il pourrait y laisser sa tête…
— C’est pourquoi j’ai tout tenté pour le retenir sur la pente fatale !
— Et parce que vous l’aimez ! L’amour n’est pas un crime et la Reine doit être la première à le comprendre.
— Malheureusement je n’ai même pas pu retenir mon François. Il en a fait son dieu. Et c’est pour lui que j’ai si peur ! Ce n’est pas un prince du sang, lui… et si on le capture…
— Cessez de cultiver les idées noires ! Cela ne vous convient pas, ma chère petite ! Songez plutôt que vous allez pouvoir vivre avec votre fils ! Vous ne l’avez pas vu depuis longtemps et il doit vous manquer !
— Oui et non ! Vous allez me prendre pour une mère indifférente, je vous jure toutefois que ce n’est pas le cas. Je l’aime mais ces temps derniers j’ai vécu dans un tel tourbillon que je n’y pensais même pas. Je sais qu’il est au mieux auprès de ma mère ! Cependant quand j’y pense, je vous avoue que j’ai un peu honte ! Je ne suis personne pour lui… et il risque de ne pas me reconnaître !
— Quel âge a-t-il ?
— Il vient d’avoir trois ans !
— Vous pourriez avoir une surprise ! conclut Mme de Brienne avec un bon sourire.
Et, en effet, quand on atteignit le château où chacun était prévenu de l’arrivée de la duchesse, Bastille qui l’escortait à cheval fit arrêter l’attelage quand on fut en haut de la rampe d’accès2 mais déjà Isabelle avait ouvert la portière, sautait à terre et courait vers le petit groupe qui venait de s’immobiliser en l’entendant. Deux femmes, Mme de Bouteville et Jeannette, la nourrice, tenant chacune une main de l’enfant, s’apprêtaient à rentrer après une promenade.
Isabelle ne vit que le bambin. Il était chaudement vêtu d’un manteau de la couleur de ses yeux bordé de fourrure blanche et coiffé d’un béguin assorti d’où dépassait une boucle blonde. Se sentant solidement étayé de chaque côté, il agitait ses courtes jambes en gloussant sur le mode aimable quand Isabelle l’enleva de terre pour le couvrir de baisers qui semblèrent le ravir :
— Mama ? émit-il joyeusement en appliquant une tape sur le visage maternel, prêt à recommencer.
Isabelle, les larmes aux yeux, attrapa la menotte au vol pour la baiser.