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— Il me reconnaît ! s’écria-t-elle, transportée de bonheur. N’est-ce pas merveilleux ?

Et de l’embrasser de plus belle.

— Si vous continuez, ma fille, vous allez l’user ! remarqua Mme de Bouteville en riant. Et il n’y a là rien de merveilleux. Simplement il est intelligent et comme ici on lui parle quotidiennement de vous, en vous décrivant, il a tout de suite compris qui vous étiez !

— Quel bonheur, mon Dieu !

L’intensité de sa joie la surprenait elle-même. Ce petit bout d’homme dont il fallait reconnaître qu’elle ne s’était guère souciée – sans doute parce qu’elle le savait entre de bonnes mains ! –, voilà qu’il prenait tout à coup une place énorme et faisait reculer la douleur de la séparation. Dans les jours qui suivirent, elle s’occupa presque exclusivement de lui, retrouvant ses sensations et ses fous rires d’autrefois quand, fillette, elle jouait avec François. A cette différence près que le jeune frère ne rêvait déjà que plaies et bosses tandis que Louis-Gaspard réclamait plein, plein de câlins, surtout quand arrivait le soir. Après son repas, il venait se nicher dans les bras de sa mère qui lui faisait dire une courte prière puis il s’endormait presque aussitôt après avoir mis dans sa bouche son pouce qui n’y demeurait pas longtemps. Il ne restait plus à sa mère qu’à le déposer dans son lit sur un dernier baiser.

La toilette du matin était elle aussi un important moment de félicité. Au contraire de nombre de ses contemporains – et singulièrement de Condé qui n’avait pas grand-chose à envier, côté fumet, à son père et au défunt roi Henri IV –, la jeune duchesse vouait un véritable culte à l’eau et au savon et se lavait tous les jours avant d’user d’une huile légère et parfumée qui gardait à sa peau cette souplesse et cette douceur qu’on lui enviait…

Grâce à elle, son fils se retrouva régulièrement dans un bac à lessive apporté devant une cheminée et découvrit rapidement le plaisir qu’il pouvait y avoir à barboter. Il riait et tapait dans l’eau avec ardeur sous l’œil surpris de sa grand-mère. Si Mme de Bouteville avait appris la propreté à ses enfants, elle ne s’était pas hasardée jusqu’au bain quotidien.

— Vous êtes certaine de ne pas lui donner des habitudes excessives ? demanda-t-elle un jour à sa fille. Qu’en sera-t-il lorsqu’il atteindra l’âge de passer aux mains des hommes ?

— S’il éprouve le besoin d’être propre, il s’arrangera pour trouver un moyen de se récurer. Même aux armées ! Je sais que François trouve sans faillir un ruisseau, une rivière ou un étang pour se laver. Ce qui me tourmente le plus c’est justement à qui le confier quand viendra l’âge. Il n’a plus de père et son oncle sert sous les couleurs de l’Espagne…

En voyant s’assombrir le visage de sa mère, elle regretta de n’avoir pas su retenir le nom détesté. Comme si elle ne savait pas que celle-ci avait retrouvé l’angoisse d’autrefois quand elle luttait désespérément pour arracher son époux à son sort ! Elle vint à elle et la prit dans ses bras :

— N’y songez pas, mère ! Dites-vous plutôt que si même on parvenait à se saisir de Monsieur le Prince, le Roi n’oserait pas l’envoyer à l’échafaud ! Le peuple l’a trop porté aux nues et pendant trop longtemps pour que l’on ne risque les émeutes, les barricades et les chaînes. Un jugement plus cruel pour François serait intolérable… et puis Mazarin n’est pas immortel. De toute façon nous sommes convenus, Condé et moi, de correspondre et c’est déjà beaucoup car je ne cesserai pas de lui prêcher le retour à son devoir… et qu’il ramène mon frère à une plus juste notion des réalités…

De Mello sur lequel l’hiver ne tarderait pas à se refermer, les nouvelles de Paris n’avaient rien d’affligeant. On n’en finissait pas de fêter le retour du Roi, et Mme de Brienne retournée faire sa cour à la Reine emplissait des feuilles et des feuilles avec la simple énumération des bals, comédies et réjouissances de toutes sortes ne cachant pas qu’elle espérait de « grands adoucissements dans les temps peut-être proches » quand, portée par les espions du Cardinal, la nomination de Condé à la tête des armées espagnoles éclata comme une bombe, déchaînant la colère du Roi. Fin novembre était publiée dans toute la France la condamnation royale « contre les princes de Condé, Conti, la duchesse de Longueville, le duc de La Rochefoucauld et le prince de Talmont, les déclarant rebelles, criminels de lèse-majesté, perturbateurs du repos public et traîtres à leur patrie ». Comme tels « déchus de tous honneurs, dignités, offices, pensions, gouvernements et tous droits quelconques qu’ils pourraient prétendre dans le royaume », et prononçait la confiscation de tous leurs biens…

Cette fois il n’était pas question de Mme de Châtillon qui n’en demeurait pas moins exilée. Tout comme Mademoiselle qui était allée se morfondre à Saint-Fargeau où son père la laissait benoîtement se ronger les ongles en se gardant prudemment d’intercéder pour elle : n’avait-elle pas eu l’audace de l’obliger à lui remettre les maudites clefs de la Bastille, causes de tout mal ? Ce bon père en avait exprimé haut et fort une vertueuse indignation, encouragé dans cette voie par son épouse, Marguerite de Lorraine – sœur du duc à éclipses ! –, qui détestait cordialement sa belle-fille. L’oncle du Roi était mieux en cour que jamais, et l’on put même le voir converser agréablement avec Mazarin.

Pour en revenir à Isabelle, sa mère et Mme de Brienne lui firent comprendre que finalement elle n’était pas si mal lotie, simplement assignée à résidence dans le plus joli de ses châteaux, où elle pouvait recevoir qui elle voulait… et même qui elle ne voulait pas.

C’est ainsi qu’au lendemain de la condamnation royale, alors qu’elle était seule au château – sa mère était retournée passer quelques jours à Précy et Mme de Brienne était à Paris –, Agathe vint lui annoncer que l’abbé Fouquet venait d’arriver et souhaitait être reçu.

— Il est seul ou accompagné ?

— Non. Il est seul ! Arguant le froid, il a demandé que l’on mène son cheval à l’écurie…

— Qu’on en prenne soin mais qu’on le tienne prêt à repartir ! J’espère que cet individu n’a pas la prétention d’être invité à rester cette nuit ?

Elle était plus que mécontente. Cette venue tardive alors que le gel n’était pas loin et que le soleil n’allait pas tarder à disparaître ne lui disait rien qui vaille. Elle donna cependant l’ordre d’introduire le visiteur et alla l’attendre dans la « librairie » qui était l’une des pièces où elle se tenait le plus volontiers. Les livres dont s’habillaient les murs lui conféraient la gravité adéquate pour la circonstance. En outre, durant la mauvaise saison, on y entretenait le feu quotidiennement afin de protéger les reliures de l’humidité. Une table à écrire en occupait le centre et c’est là qu’elle choisit de s’asseoir ; espérant ainsi lui faire comprendre qu’elle lui accordait audience plus qu’elle ne le recevait. Et pour mieux enfoncer le clou, elle prit une feuille de papier et une plume.

Elle venait juste d’écrire : « Ma chère amie… » quand il fit son entrée, élégant à son habitude quoique un peu poussiéreux mais le sourire aux lèvres… qui s’effaça vite devant le regard glacé qui l’accueillait. Isabelle avait simplement relevé les paupières :

— Vous, l’abbé ? Quel vent vous pousse ici à cette heure ?

Il lui adressa un beau salut – auquel elle répondit d’un signe de tête – qui lui donna quelques secondes pour réfléchir. Puis, s’avançant, désigna l’une des deux chaises placées devant :

— Puis-je m’asseoir ?

— C’est selon…