Sa politique l’engageait même à envisager un accord intéressant avec la toute neuve république britannique. Aussi ne prit-il pas de gants pour faire entendre au prince qu’il n’était pas vraiment persona grata en France. Mais avant d’entamer un long périple à travers l’Europe dans l’espoir d’obtenir du secours, Charles avait été reçu avec enthousiasme par les princes et c’est à cette époque qu’il avait rencontré Isabelle dont le charme avait opéré aussitôt sur lui. Il convient de préciser qu’à l’instar du Béarnais, son grand-père, il prenait feu dès qu’une beauté croisait son chemin.
Ce fut au cours d’une chasse donnée par William Croft qu’il revit la duchesse et retomba sous son charme…
Lui-même ne manquait pas de séduction, de taille élevée, très brun, la peau mate, il avait hérité de son aïeul français le fameux nez Bourbon, les magnifiques yeux bleus, la faconde et l’heureux caractère. Il fut loin de déplaire mais Isabelle était trop fine pour céder à ses instances. Ils galopèrent ensemble, se promenèrent ensemble, dansèrent ensemble et eurent de longs entretiens mais rien de plus. Le bruit était en effet revenu à la jeune femme des intentions du royal galant : il songerait à l’épouser ! Elle était de grande maison, belle ô combien, riche, ce qui n’était pas à dédaigner, et permettrait à Charles de s’implanter en France. Mais tout ce bruit revint aux oreilles de la Reine Henriette Marie et elle fut formelle : seule une princesse de sang royal pouvait coiffer la couronne anglaise, même réduite à l’état de fantôme !…
Le prince déplaisait au moins autant à Condé qui expédia Ricous muni d’une lettre assez tendre pour amener des larmes aux yeux d’Isabelle : son bien-aimé entendait la garder pour lui seul ! A la désolation d’Agathe qui, en coiffant Isabelle, soupirait souvent :
— Quelle belle reine vous feriez pourtant !
A quoi celle-ci répondait qu’il ne fallait rien regretter de ce qui ne pouvait se faire et qu’elle n’avait aucune envie de s’en aller régner sur des sauvages capables de trancher la tête de leur souverain…
Son affaire, à elle, c’était de réussir enfin à arracher son prince à sa folie, à le ramener au petit bon sens et à retrouver l’estime et l’amitié du seul roi digne des services d’un prince de Condé. Malheureusement plus le temps passait, plus l’horizon s’assombrissait.
Même si, à la Cour, les fêtes succédaient aux fêtes et si Paris avait réservé à Mazarin un accueil trop enthousiaste pour n’être pas excessif, celui-ci tout en distribuant sourires et larmes d’émotion n’oubliait rien : ni les huées de naguère, ni les menaces de mort, ni le pillage de sa demeure et la dispersion de ses meubles et objets collectionnés avec amour. Il en avait dressé la liste et les hommes de l’abbé Basile étaient chargés de les retrouver et de les rapatrier discrètement… par tous les moyens et en dépensant le moins possible. Mais il y avait aussi les meneurs : magistrats, gens d’épée, nobles ou bourgeois de Paris sur qui les lettres de cachet commencèrent à pleuvoir, tous ceux « suspects d’attachement à Condé » qui n’avaient pas quitté Paris ou y étaient rentrés secrètement. Mazarin était trop astucieux pour crier vengeance en son propre nom : il n’était question que de « l’attachement réel ou supposé » au traître Condé.
Quant à Mme de Châtillon, un billet anonyme lui apprit qu’elle était surveillée.
C’est ainsi que, un soir où elle avait convié Digby et Croft, ce dernier vint seul mais nanti de quelques bouteilles de vin de sa cave en annonçant que Digby ne pouvait se joindre à eux.
— Il est malade ? s’inquiéta Isabelle. Il est vrai que nous avons un temps exécrable depuis une semaine…
— Vous devez vous douter que pluie et vent ne l’ont jamais incommodé. Pas plus que moi. Nous sommes anglais, rappelez-vous ! ajouta-t-il avec un bon sourire. Non, mais comme vous ne l’ignorez pas, il commande une compagnie à Pontoise et il a reçu l’ordre de ne plus s’éloigner de son commandement jusqu’à nouvel ordre. Cela par la voie officielle mais, d’autre part, il a trouvé, dans sa chambre, un billet sans signature l’avertissant d’avoir à oublier le chemin du château de Mello s’il voulait s’éviter de graves ennuis… comme d’être raccompagné en Angleterre où il n’a aucune chance d’être accueilli chaleureusement… Le bruit court que Mazarin serait sur le point de signer un contrat avec Cromwell…
— Et vous ? Vous n’avez rien reçu ?
— Absolument rien, mais moi je ne suis qu’un propriétaire terrien de peu d’importance. Et j’ai pour vous une extrême amitié, madame la duchesse. Quant à Digby il vous fait savoir qu’il est désolé et que, si cet état de choses perdurait, il revendrait sa compagnie pour acheter une propriété dans la contrée… et continuer à jouer aux quilles ! A votre bonne santé ! conclut-il en levant son verre pour trinquer à la mode paysanne.
L’incident n’en donna pas moins à penser à Isabelle. Non seulement ses espoirs d’un accommodement entre Condé et la Cour rétrécissaient comme peau de chagrin mais il allait falloir redoubler de précautions dans les jours à venir et dans la poursuite de sa correspondance avec son amant si elle voulait pouvoir continuer à le servir.
Cependant elle se promit, au prochain passage de Jacques de Ricous, de le mettre verbalement au courant de la situation pour qu’il la rapporte à son maître. Les lettres allaient, sans doute, se révéler de plus en plus dangereuses.
Avec le temps, le messager du Prince avait pris l’habitude de faire étape à Mello. Cela lui permettait de prendre du repos après une longue chevauchée et d’assurer le dialogue entre Condé et la duchesse. Dialogue qui relevait parfois de la dispute. Envers et contre tout, Isabelle s’obstinait à prêcher le retour au droit chemin, la route espagnole – pas fameuse en temps normal ! – lui paraissait de plus en plus truffée d’ornières et d’aspérités… Côté Condé, la position demeurait invariable : il irait peut-être mettre genou en terre devant son jeune cousin quand Mazarin ne serait plus dans le paysage.
— En vérité pas de quoi fouetter un chat, commenta Mme de Brienne qui venait passer souvent quelques jours à Mello où elle se trouvait mieux que dans son hôtel parisien.
On ne s’ennuyait jamais avec Isabelle et, en outre, elle s’était prise d’affection pour le petit Louis-Gaspard, ce qui donnait parfois de l’humeur à Mme de Bouteville. Comme le marmot lui avait été souvent confié, la grand-mère avait tendance à le considérer comme sa propriété. Isabelle prenait alors la défense de son amie : la chère Brienne était – bien réellement ! – la meilleure femme du monde ; pour sa part Isabelle l’aimait beaucoup et, en outre – chose primordiale –, elle demeurait en excellents termes avec la Reine. Ce qui lui permettait de rassurer sa jeune amie de ce côté-là : Sa Majesté, jugeant à leur juste valeur les efforts incessants de la duchesse au profit de la concorde entre les princes, lui gardait sa bienveillance… Celle-ci demeurait sans doute fidèle à ses amours autant qu’à ses amitiés d’enfance – ce qui était assez naturel ! – mais au moins elle n’avait jamais réclamé la tête du précieux Mazarin.