Ricous arriva à la nuit tombée, deux jours après Mme de Brienne, à moitié mort de fatigue. Il avait couru sans désemparer depuis Bruxelles et venait seulement se reposer avant d’entrer dans Paris où il avait une affaire importante à traiter pour Monsieur le Prince. Celui-ci n’avait d’ailleurs pas manqué de lui remettre à l’attention de Mme de Châtillon le rituel billet amoureux… qui cette fois, cependant, employait un ton passionné qui, lui, n’était pas habituel : Condé suppliait Isabelle de le rejoindre parce que son absence lui devenait insupportable. Il avait besoin d’elle, besoin physiquement ! Jamais il ne l’avait aussi ardemment désirée ! Il allait bientôt partir en campagne et, pour la paix de son cœur comme de ses sens, elle devait venir à lui… Ricous la reprendrait au passage et l’escorterait !
La lecture de cette missive enflammée ne pouvait que troubler Isabelle. N’eût-elle écouté que l’appel de sa passion, elle eût fait seller un cheval et, sous la seule escorte de Bastille, aurait galopé le rejoindre les bras tendus mais, tandis qu’elle se tournait et retournait dans son lit à la recherche d’un sommeil qui se refusait, elle entendit pleurer son fils et se précipita dans sa chambre où elle trouva Jeannette penchée sur le lit :
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle. Il est malade ?
— Il ne le semblait pas quand je l’ai couché. On dirait pourtant qu’il est un peu fiévreux.
Isabelle prit l’enfant dans ses bras. Il lui parut rouge. De même son front et ses menottes étaient anormalement brûlants… Elle décida aussitôt d’envoyer un valet chercher le médecin et resta à le bercer jusqu’à l’arrivée du praticien qu’elle connaissait de longue date et qui se montra plutôt rassurant. C’était l’une de ces fièvres de printemps auxquelles les petits enfants étaient souvent sensibles… Il fallait le garder au chaud. Il promit de revenir le lendemain soir…
En rejoignant sa chambre Isabelle pria Agathe de lui amener son beau-frère avant son départ.
— Il part à l’aube. Madame la duchesse n’aura guère dormi !
— C’est sans importance. Il faut que je lui parle !
Avant donc que le jour ne soit levé, Agathe introduisit Ricous chez sa maîtresse. Sans doute celui-ci s’interrogeait-il sur ce qu’elle pouvait lui vouloir car il paraissait contrarié. Un bref salut et il s’enquérait :
— Madame la duchesse désire me voir ? Je n’ai pas beaucoup de temps à lui consacrer.
— Aussi n’en userai-je guère. Quand pensez-vous être de retour ?
— Je ne compte pas m’attarder : ce soir sans aucun doute. Je dois seulement me rendre chez M. Bertaut que madame la duchesse connaît.
— Le maître des eaux et forêts de Bourgogne ? Comment se fait-il qu’il ne soit pas à Dijon ?
— Il est très introduit dans nombre de cercles et nous rend des services. Il m’attend et je ne fais que l’aller et retour. Si madame la duchesse veut me remettre un message, qu’elle se hâte de le préparer. Selon l’heure je relaierai peut-être plus loin…
— C’est parfait ! Faites ce que l’on vous a commandé, Ricous. La lettre sera prête dans une heure. Et, en attendant, dites à M. Bertaut mes pensées les plus amicales et aussi qu’il sera le bienvenu s’il a le courage de venir visiter l’exilée que je suis…
Le sort en avait décidé pour elle. Il ne pouvait être question de se rendre auprès de Condé, ne fût-ce que pour quelques heures, alors que son fils était souffrant. Que son état s’aggrave et elle se le reprocherait sa vie durant… En quittant Ricous, elle passa chez l’enfant et se pencha sur lui :
— Il est encore un peu rouge, chuchota Jeannette, mais je crois qu’il a moins de fièvre. D’ailleurs depuis minuit il ne tousse plus !
Isabelle caressa d’un doigt léger une petite joue tiède et s’inclina pour baiser le front de son fils. Elle éprouvait soudain une violente envie de le prendre dans ses bras, de le bercer. Non seulement elle ne regrettait pas sa décision mais elle sentait qu’elle n’aurait pas pu aller jusqu’au bout : à un point quelconque du chemin, elle aurait fait demi-tour. Qu’était l’étreinte d’un amant auprès de la tendresse confiante d’un petit enfant ?
Et quand il revint dans l’après-midi, ce fut sans arrière-pensée qu’elle remit à Ricous le message à l’adresse de Condé… Puis s’efforça de n’y plus songer.
Le lendemain, elle vit arriver un William Croft dont l’humeur n’était pas aussi joviale que de coutume. Il confia à son amie que, ces temps derniers, leur aimable région semblait attirer les espions comme le miel attire les mouches.
— L’un d’eux a même essayé de s’introduire chez moi, se plaignit-il. Il se prétendait malade et demandait qu’on l’assiste. Mais Hubbard mon maître d’hôtel possède un flair singulier pour détecter ces gens-là ! J’aurais voulu que vous voyiez « la taupe » détaler en criant « au secours » après quelques minutes en tête à tête avec lui. Digby aussi a vu venir des gens bizarres mais surtout un certain Fouquet qui se donne des allures de gentilhomme pour l’avertir que Monseigneur de Condé aurait des vues sur Pontoise et songerait à s’en emparer…
— Pontoise ? Quelle idée saugrenue ! Qu’en ferait-il là où il se trouve ?
Elle regretta aussitôt la fin de sa phrase en entendant l’Anglais demander :
— Où donc ?
— En Flandres, voyons ! Tout le monde sait cela !
— Quoi qu’il en soit, le Prince se soucierait principalement de vous protéger en vous entourant de places à lui ! C’est en tout cas ce que Digby m’a chargé de vous dire afin que vous vous gardiez au mieux. Selon ce Fouquet, le cardinal Mazarin redouterait l’influence d’une aussi jolie dame dont il prétend qu’elle est tout entière au service de Monsieur le Prince !
— Mais je ne m’en suis jamais cachée ! Qu’est-ce que ce galimatias ? Dites à Digby qu’il m’envoie l’abbé Fouquet – car c’en est un, malgré le mal qu’il se donne pour qu’on l’oublie ! Je saurai bien, moi, quoi lui répondre !
— Ce serait peut-être imprudent ! Digby qui tient à votre amitié n’a pas beaucoup de sympathie pour cet homme.
— Et moi pas davantage. Remerciez Digby puisque à vous entendre il reste de mes amis…
— Vous n’en doutiez pas, j’espère ? Et à ce propos j’allais oublier un menu présent qu’il m’a prié de vous remettre…
Il sortit de sa poche une jolie boîte ornée d’émaux cloisonnés dans un lacis d’or.
— C’est ravissant ! s’écria-t-elle.
— J’en tombe d’accord avec vous mais le plus important est à l’intérieur.
— Qu’est-ce donc ? fit-elle en découvrant la fine poudre blanche qui l’emplissait.
— Sa fameuse « poudre de sympathie » dont il nous a rebattu les oreilles, souvenez-vous ! Il assure qu’il suffit d’en faire tomber une pincée sur quelqu’un qui s’oppose à vous pour qu’il devienne aussitôt plus compréhensif. Mais une seule pincée ! Davantage pourrait produire l’effet contraire !
Isabelle approcha la boîte de son nez et respira avec précaution. Cela ne sentait pas grand-chose sinon, peut-être et avec de la bonne volonté, une vague odeur d’encens qu’elle fit respirer à Croft.
— Au fond c’est logique, dit-elle en riant. Encenser quelqu’un, n’est-ce pas le flatter ? Eh bien, je lui ferai porter ce soir une lettre pour le remercier. Si elle possède de telles vertus, cette poudre est inestimable et il faudrait pouvoir en fabriquer des quantités ! Vous rendez-vous compte, mon ami, que grâce à elle il n’y aurait plus de guerres et que l’on n’aurait que des amis ?