La lettre qu’elle écrivit fut digne et surtout calme, reflétant une sérénité qu’elle ne ressentait pas. Elle venait enfin de comprendre qu’elle avait manqué de prudence en chassant l’abbé Basile de cette façon si humiliante pour lui. Simplement parce qu’elle n’avait écouté que son instinct et que cet instinct l’avait trompée : elle n’imaginait pas que ce bellâtre semblable à beaucoup d’autres détînt en fait une telle puissance clandestine…
Deux jours plus tard, elle recevait en retour la réponse suivante1 :
« J’ai été si surpris de recevoir votre lettre, ça a été fort agréablement et rien ne saurait empêcher que j’en aie de la joie quand vous me fournirez quelque matière de vous servir. Je souhaiterais seulement que la passion que j’en conserve pût avoir toute son étendue libre et que je puisse l’exercer en embrassant vos intérêts avec chaleur sans m’exposer à en recevoir des reproches. Ce sera donc votre conduite, Madame, qui réglera la mienne à votre égard et, s’il est vrai que vous soyez dans les sentiments que Leurs Majestés peuvent désirer, après que je me serai informé de l’état de l’affaire dont vous me faites l’honneur de m’écrire, je vous y rendrai tous les services qui seront en mon pouvoir, et, en toutes autres choses qui vous regarderont vous éprouverez que je suis avec autant de zèle que de sincérité et de respect, etc. »
A la réflexion, la sagesse incita Isabelle à ne pas demander d’entrevue à Mazarin.
Sachant l’abbé Basile dans les environs elle pouvait craindre de ne pas ressortir libre du château de Saint-Germain. Elle se contenta donc d’une nouvelle lettre où elle exposait tout ce qu’elle avait à dire. Et cette fois, Mazarin ne lui répondit pas. En revanche, c’est à l’abbé Fouquet – il semblait être devenu plus ou moins son confident ! – qu’il écrivit :
« J’aurais cru que Mme de Châtillon souhaitait que j’eusse l’honneur de la voir pour me parler de ses intérêts et me faire connaître que, sans raisons, je l’avais accusée d’avoir des intentions contre le service du Roi et ce qui pouvait me regarder. Car je ne pouvais pas m’imaginer qu’après tout ce que Monsieur le Prince avait dit, écrit et fait contre moi qu’elle voulût entreprendre de me faire croire qu’il avait de bons sentiments à mon égard, et vous devez être assuré que, comme ladite dame a toujours souhaité avec passion l’accommodement et cherché les occasions de le… [plusieurs mots illisibles]… pût tâcher d’elle-même d’introduire la négociation, ce que je ne puis mieux savoir, ayant quelques lettres de Monsieur le Prince dont il y en eu peu d’adressées à ladite dame, qui contiennent la déclaration d’une guerre immortelle contre Mazarin qui n’a point de parole, et, à son dire, est le plus méchant des hommes… »
De son côté, Isabelle, ne recevant pas de réponse, en ressentit de l’inquiétude. Christophe Bertaut, dont elle espérait obtenir la libération, demeurait prisonnier à Vincennes et restait fermement attaché à ses premières déclarations touchant les simples et naturels liens d’affection qu’il gardait aux Condés. C’était cette assurance que lui avait apportée Ricous à son dernier passage et il n’en attendait pas davantage. C’était aussi la raison pour laquelle Ricous n’était pas revenu. L’affaire d’ailleurs traînait en longueur et Bertaut allait être libéré quand un incident le maintint où il était : Mazarin venait d’apprendre d’un de ses nombreux espions que Condé avait fait arrêter, juger et pendre un individu, convaincu qu’il avait été payé par l’abbé Fouquet pour l’assassiner. Il aurait juré d’exécuter lui-même l’insupportable Basile s’il réussissait à lui mettre la main dessus.
Celui-ci vit rouge.
Il lui fallait à n’importe quel prix s’emparer de celui qui assurait la liaison entre Mme de Châtillon et Condé. Ayant appris que l’on avait vu Ricous à Paris aux alentours de la maison de Bertaut où il avait dû apprendre son arrestation, il envoya un message à Mazarin :
« Ricous est dans cette ville [Paris] et s’en ira à Mello, s’il peut s’échapper. S’il plaît à Votre Eminence de donner à du Mouchet, chevau-léger et qui s’est fort bien conduit et avec votre affection [ ?], huit des gardes de Votre Eminence, il ira demain à la pointe du jour à Pierrefitte qui est un passage où indubitablement donnera Ricous. Mouchet le connaît et j’ai des espions en dix endroits pour l’attraper. »
Le piège était bien tendu. Ricous y fonça tout droit et fut conduit à Vincennes où, habilement interrogé par M. de Breteuil en présence de l’abbé Fouquet, « il fut amené à croire et à dire que ce devait être Mme de Châtillon qui l’avait fait prendre… ».
Le moyen auquel on l’avait « amené à croire » tient en sept petits mots : le bourreau et ses outils de travail. En l’occurrence une cuve d’eau et un entonnoir.
Le patient était placé sur une sellette, les bras attachés au-dessus de la tête à un anneau scellé dans le mur et les pieds retenus au sol par un autre anneau. On lui bouchait le nez avec une pince puis, à l’aide de l’entonnoir, on l’obligeait à ingurgiter un pot d’eau d’environ deux litres, après quoi le juge demandait à l’homme2 de livrer ses complices. S’il ne s’exécutait pas, on lui enfournait une deuxième pinte puis une troisième et jusqu’à une sixième. Ça c’était « l’ordinaire ». Après ce menu préambule on s’attaquait à la « question extraordinaire » qui consistait à doubler le nombre des pots d’eau. Ce qui fit écrire à La Bruyère : « Ce malheureux que vous appliquez à la question songe bien moins à dire ce qu’il sait qu’à se délivrer de ce qu’il sent… »
Arrêté bien avant Ricous, Bertaut fut le premier à subir cette horreur. Il s’agissait de lui faire avouer qu’il avait eu des « conférences » avec Mme de Châtillon. Ce fut seulement à la suite de la sixième pinte qu’il demanda ce que « l’on voulait qu’il avoue ». Il reconnut avoir correspondu avec Monsieur le Prince et reçu de lui mille écus pour se créer des complices. Après le huitième il avoua un entretien avec Mme de Châtillon et avoir vu de sa part « mylord Digby » au sujet d’un projet d’assassinat du Cardinal et cita Ricous comme intermédiaire principal.
Aussi, quand ce fut au tour de Ricous d’être « interrogé », celui-ci avoua tout ce que l’on voulut sans attendre d’être gonflé comme une outre. Malgré tout, par précaution sans doute, on le gratifia de deux pots supplémentaires au sortir desquels – persuadé par ailleurs d’avoir été livré par la duchesse – il avoua s’être rendu plusieurs fois à Mello pour discuter avec la duchesse des moyens d’assassiner Mazarin quand ils apprirent l’arrestation de Bertaut, d’en avoir touché de l’argent et aussi certaine « poudre de sympathie » qui n’était en réalité que du poison….
Par acquit de conscience on lui fit avaler un troisième pot qui lui fit perdre connaissance et l’on ne s’avança pas plus loin. Fouquet en savait suffisamment pour avoir barre sur Isabelle et courut faire son rapport à Mazarin en mentionnant – heureusement ! – que « la duchesse n’avait agi ainsi qu’après avoir été persuadée du projet de Mazarin d’assassiner Condé là où il se trouvait… ». Il demandait, naturellement, un ordre d’arrestation. Qu’on lui refusa :
— Je ne croirai jamais, dit Mazarin, qu’une personne si bien faite et possédant de si belles qualités pût concevoir des pensées si exécrables !
— Le poison est l’arme des femmes, Monseigneur ! Tout le monde sait cela !