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Elle ne se trompait pas. Quand, à son lever, Mme de Motteville lui annonça la présence de Mme de Montmorency-Bouteville, Anne d’Autriche non seulement ne donna aucun signe de contrariété mais ordonna qu’on la conduise dans son cabinet d’écriture, voisin de l’oratoire où elle aimait se retirer pour prier, n’y admettant que des gens dignes de cet honneur.

Mieux encore, lorsqu’elle vint rejoindre sa visiteuse, elle lui tendit ses deux mains, la releva de sa profonde révérence et la fit asseoir à ses côtés auprès de la cheminée où flambait un bon feu, ce début de printemps 1654 étant plus que frais.

— Votre Majesté est infiniment bonne d’accueillir ainsi la mère d’un rebelle mais je tiens à la rassurer : ce n’est pas de François dont je viens l’entretenir.

— Ah non ? Ne me dites pas que le simulacre d’hier ne vous a pas atteinte ?

— Oh, il n’y a pas manqué mais mon fils a voué dès l’enfance au vainqueur de Rocroi une vénération qui ne se reprendra jamais… hélas ! Il en sera ce que Dieu voudra ! Non, c’est au sujet de ma fille Châtillon que je suis venue afin que Votre Majesté ait la bonté de la délivrer d’une insupportable persécution, celle que fait peser sur elle M. l’abbé Fouquet. Il s’acharne à l’impliquer dans un odieux complot d’empoisonnement visant Son Eminence le cardinal Mazarin…

— Complot à cause duquel on a exécuté deux hommes, il me semble ?

— Avec une remarquable célérité. A peine la torture leur avait-elle arraché le nom de ma fille comme instigatrice de cette conspiration qu’ils étaient condamnés à mort, portés sur la roue où le bourreau les étrangla miséricordieusement afin de leur éviter de trop longues souffrances… ou peut-être, prévoyant la mort proche qui les mènerait au tribunal de Dieu, de se rétracter !

— Qui étaient ces hommes ?

— L’un était le maître des eaux et forêts de Bourgogne, Christophe Bertaut, et l’autre Jacques de Ricous, courrier habituel de Monsieur le Prince ! L’abbé Fouquet, protégé par Son Eminence, avait commandé que l’on s’acharne contre eux jusqu’à ce qu’ils avouent avoir agi sur son insistance !

— Pourquoi l’abbé agit-il ainsi ? Que lui a fait Mme de Châtillon ?

— Elle se refuse à lui !

— Un homme de Dieu qui…

La Reine avala la fin de la phrase pensant soudain que Mazarin n’avait pas davantage reçu les ordres majeurs que l’abbé Basile. Sa visiteuse vola à son secours :

— Seulement de titre ! Sa famille est des plus honorables ! Sa mère, une demoiselle de Maupéou, est une femme de bien sans cesse à la recherche de remèdes pour apaiser les misères physiques des indigents, et son frère aîné procureur du Roi…

— Je connais Nicolas Fouquet. Un homme charmant dont M. le Cardinal parle avec amitié parce qu’il s’est dévoué pour lui aux heures… difficiles de naguère et que cela ne s’oublie pas. C’est pourquoi je m’étonne d’une âme aussi noire habitant le fils de l’une et le frère de l’autre…

La mère d’Isabelle se permit un étroit sourire :

— Votre Majesté devrait pourtant savoir que fraternité et ressemblance sont parfois fort éloignées. Le Roi Louis, son défunt époux, n’a pas eu souvent à se louer des agissements de Monsieur !

— C’est le moins que l’on puisse dire ! Où se trouve notre duchesse ?

— Auprès de son fils, chez moi, à Précy ! ne mentit qu’à peine la comtesse, les terres de William Croft étant proches des siennes. Mais elle souhaite s’éloigner et disparaître…

— Si c’est disparaître… en direction des Flandres, ce ne serait pas une brillante idée. Nul n’ignore son attachement – réciproque, dit-on ! – et sa fidélité au prince de Condé.

— Je la crois victime du même sortilège que son frère !

— Ainsi que la haine qui existe entre elle et Mme de Longueville ! Que Mme de Châtillon demeure où elle est pendant quelque temps. Puis qu’elle retourne à Mello où elle reste exilée. Il serait préférable que la correspondance en question cesse… pour l’instant ! Je la rappellerai en temps voulu !

— Je le lui dirai. Et l’abbé Fouquet ?

— Je m’en entretiendrai avec M. le Cardinal et il recevra mes ordres. La paix fera beaucoup de bien à votre folle Isabelle !

— Votre Majesté est infiniment bonne ! Il en sera fait selon sa volonté.

Il ne restait plus à Mme de Bouteville, soulagée d’un poids énorme, qu’à rentrer chez elle avec ces excellentes nouvelles. Isabelle – qui en fin de compte était restée à Mello – l’en remercia, soulagée elle aussi à l’idée d’être débarrassée de l’insupportable Basile. Mais si elle pensait en avoir terminé avec lui, elle se trompait.

Sévèrement tancé par Mazarin en présence de la Reine, l’abbé se répandit en excuses, y alla même de sa larme expliquant sa conduite par les tourments que lui occasionnait un malheureux amour, ce qui lui valut un peu de compassion de la part d’Anne d’Autriche apitoyée et une réponse nettement plus à son goût lorsqu’il rejoignit Mazarin deux heures plus tard :

— Je vous invite à la patience… disons une petite semaine, mais ensuite faites-vous le plus discret possible. Surveillez la duchesse… car je suis persuadé qu’elle ne renoncera pas à communiquer avec son amant…

— N’employez pas ce mot-là, Monseigneur, gémit Basile. Il me blesse douloureusement !

— Seriez-vous réellement amoureux d’elle ?

— J’en ai bien peur ! Et quand je les imagine ensemble, elle et cet abominable Condé, je me sens devenir fou !

— Il ne nous manquait plus que cela ! Reprenez-vous, mon ami, et n’allez pas gâcher un avenir prometteur en vous abandonnant au désespoir ! Je reprends mon propos !… Je vous disais donc de vous faire quasi invisible – il faut qu’elle se croie débarrassée de vous mais arrangez-vous pour ne pas la perdre de vue… ainsi que son entourage. Vous m’avez dit qu’elle avait auprès d’elle un véritable chien de garde en ce serviteur que lui a légué son époux ?

— Oui, j’avoue qu’il est impressionnant ! Il lui est dévoué jusqu’à la mort et, en outre d’avoir une force exceptionnelle, c’est loin d’être un imbécile…

— C’est peut-être lui qui va remplacer Ricous ?

— Cela m’étonnerait ! Il déteste Condé presque autant que moi. De plus, depuis qu’elle est exilée, il refuse de s’éloigner d’elle ! Je devrais dire d’eux car il est tout autant attaché au petit duc !

— Un admirable serviteur ! Comme on n’en trouve peu, apprécia le Cardinal avec une pointe d’envie. N’essayez pas d’y toucher. Ce serait, à mon avis, le meilleur moyen de nous faire haïr et, surtout, de l’envoyer illico presto rejoindre Condé ! Non ! Pour l’heure tenez-vous-en à mes ordres, faites-vous invisible !…

— Pourquoi ne pas tenter une approche auprès de Mme de Longueville ? Elle exècre sa cousine et serait ravie d’en être délivrée !

— Encore faudrait-il savoir si elle est à Bordeaux ou si elle a rallié son frère en Flandres… Ce qui m’étonnerait, les rapports que je reçois signalent toujours sa présence dans ce chaudron de sorcières qu’est devenue la région girondine. Ainsi d’ailleurs que l’épouse légitime de l’illustre vainqueur de Rocroi. Pour en finir, pas d’initiatives et laissons courir les choses ! Je ne vous défends pas d’essayer d’adoucir la duchesse envers vous. Rien ne vaut la tranquillité – même seulement apparente ! – pour pousser les gens à la faute !…