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L’abbé Fouquet, peu satisfait de ce qu’il venait d’entendre, n’imaginait pas qu’un esprit malin allait lui livrer Isabelle comme sur un plateau…

Grand ami des réjouissances en tout genre, Monsieur avait décidé de donner, pour Noël, une splendide fête dans son palais du Luxembourg afin d’y célébrer le retour de la capitale à une vie normale ainsi qu’à l’obéissance au Roi. Il n’y avait plus guère à s’occuper des anciens Frondeurs. Le prince de Conti, délaissant le parti de son frère – et même sa passion pour sa sœur ! –, avait épousé une nièce de Mazarin3 et commandait l’armée royale en Catalogne. Le duc de Longueville était revenu à la Cour mais, encouragé par sa fille, Marie d’Orléans, refusait de recevoir sa femme… qui n’en manifestait d’ailleurs aucune envie bien qu’elle commençât de sentir les effets de l’isolement mais n’eût pour rien au monde demandé l’amnistie. Elle n’avait plus d’amants, n’en trouvant plus de dignes d’elle et, du coup, revenait à cet amour hors nature qu’elle portait à son illustrissime frère… et à sa haine pour Isabelle de Châtillon. Se croyant toujours maîtresse du jeu, elle écrivait alors à l’indispensable Lenet : « Il faudrait qu’il rompît avec elle sans éclaircissements ! Je m’en vais me mettre en prières pour soutenir par là ce que vous ferez ! » Par-dessus le marché elle tournait à une étrange dévotion qui lui montrait Dieu comme une puissance suprême avec laquelle on pouvait traiter d’égal à égal par ambassadeur interposé !

Pour en finir avec les anciens Frondeurs, le cardinal de Retz continuait de se morfondre à la Bastille mais n’allait pas tarder à en sortir. Le Parlement à qui le Roi avait interdit de se mêler à l’avenir des affaires du royaume se le tenait pour dit. Quant à Mademoiselle, errant sur ses terres autour de son beau château de Saint-Fargeau, déchue de ses ambitions et s’ennuyant à mourir, elle ne demandait qu’à reprendre sa place à la Cour et guettait, jour après jour, le messager de paix qui la délivrerait de son désert. Mais, comme sœur Anne, elle ne voyait rien venir.

Ce qui n’empêchait pas Monsieur son père de donner une fête à tout casser où paraîtraient le Roi, la Reine et ce bon vieux Cardinal !

Admise à l’amnistie et rappelée à la Cour, Isabelle de Châtillon y effectuait ce soir-là sa rentrée. Plus rayonnante que jamais, parée à ravir de ses fameuses perles, elle récolta tous les suffrages à commencer par ceux de Loret, le poète officiel à qui elle inspira une interminable tirade – pas fameuse mais enthousiaste qui se terminait ainsi :

Enfin cette veuve charmante

Dont ici le retour je chante,

Fut vue avec tant de bonté

De l’une et l’autre Majestés

De Monsieur et de l’Eminence

Que selon humaine apparence,

Ladite dame désormais

Sera mieux en Cour que jamais

[…] Même la voyant revenue

Chacun de croire continue

Et je crois même aussi cela

Qu’on n’en demeurera pas là

Et qu’auprès du porte-Couronne

Dont l’âme est si belle et si bonne

Avant qu’un an ait fait son tour

On verra quelque grand retour !

Le jeune Roi de dix-sept ans – mais il en paraissait quatre ou cinq de plus – sembla en effet prendre un évident plaisir en sa compagnie et dansa avec elle à trois reprises. La fête était d’ailleurs des plus réussies, Monsieur sachant fort bien recevoir et dépensant largement, à ces occasions, cet argent qu’il lui arrivait d’obtenir par des moyens peu recommandables.

Bref, ce fut une magnifique soirée dont Isabelle revint enchantée. Elle avait été très entourée, très adulée sans avoir l’air de distinguer l’un ou l’autre de ceux qui s’empressaient autour d’elle. Au contraire, elle recevait leurs hommages avec tant d’esprit, de gaieté et d’amabilité gentille, sans privilégier qui que ce soit, que la plupart des femmes éprouvèrent du plaisir à bavarder avec elle. Cela tenait peut-être à ce qu’elle savait, quand elle le voulait, mettre ses interlocuteurs en valeur et, ainsi, attirer leurs confidences.

Elle avait eu la surprise d’y retrouver l’un de ses anciens admirateurs du temps joyeux où elle était fille d’honneur de la princesse Charlotte de Condé et lui maréchal de camp dans les troupes de l’illustre duc Charles IV de Lorraine. Il se nommait Charles de Mouchy, marquis d’Hocquincourt. Depuis il avait fait son chemin puisqu’il avait reçu en 1651 son bâton de maréchal de France. Il devait avoir entre cinquante et soixante ans mais l’habitude des champs de bataille l’avait gardé mince et de belle allure. En outre, il savait encore danser ainsi qu’il lui en fit la démonstration en partageant avec elle les lentes et gracieuses figures d’une pavane. Il semblait incroyablement heureux de la revoir :

— Vous êtes plus belle que jamais ! soupira-t-il selon la formule consacrée sans trop se soucier d’être entendu.

De toute façon, cela n’aurait surpris personne, surtout pas l’intéressée tant il énonçait là une évidence, mais sa danseuse lui prêta une oreille plus attentive quand il demanda, quelques tons plus bas :

— Vous êtes tout juste celle que je désirai rencontrer. Puis-je venir vous saluer chez vous dès demain… disons… dans l’après-dîner, vers cinq heures ?

— Ce sera avec plaisir, monsieur le maréchal. Il se trouve que je reçois justement quelques…

— Ah non non non non non ! Si vous avez du monde je ne viens pas. Ou alors je viendrai plus tard ! Un peu avant minuit par exemple ?

Jouant l’étonnement à merveille, elle ouvrit de grands yeux innocents :

— Comme vous y allez ! Ce n’est pas l’heure des amis mais…

— Celle des amants, n’est-ce pas ? Celle que, depuis des années, je rêve d’obtenir de vous !… J’ai tant de choses à vous dire !

— Dans ce cas venez dîner… à midi ! Nous serons seuls, riposta-t-elle apparemment imperturbable bien que sa curiosité s’éveillât.

Il prit une mine chagrine :

— Pourquoi refusez-vous de me comprendre, vous toujours si fine ! C’est de mon amour pour vous dont je veux parler, dans l’ombre propice de… des….

— Courtines de mon lit ? Qu’est-ce qui peut vous inciter à croire que la place n’est pas occupée ?

— Simplement ce que tout le monde sait ! Condé est votre amant…

— Plus bas, s’il vous plaît !

— … et il est au diable vauvert ! Or, c’est l’un de ces moments délicieux que vous lui accordez que je brûle d’obtenir ! Et, pour cela, je suis prêt à tous les sacrifices…

— Pas ici, voyons ! D’ailleurs…

La danse s’achevait et les éloignait l’un de l’autre pour la noble révérence finale. Le branle qui suivit n’était guère propice à la conversation… et moins encore à la conspiration, et le nez d’Isabelle lui disait que cette histoire si bizarrement présentée en avait tout à fait l’allure en dépit du regard langoureux dont Hocquincourt crut bon d’assaisonner ses dernières paroles. De quels sacrifices voulait-il parler ? Au cours de sa carrière il avait collectionné les postes importants : prévôt à l’hôtel du Roi, gouverneur du Boulonnais, maréchal de France. Trois ans plus tôt, il avait été vice-Roi de Catalogne. Revenu à l’armée de Flandres, il était gouverneur de Roye, de Ham et aussi de Péronne… ce qui le mettait à l’abri des soucis financiers. En outre, de sa femme Eléonore d’Etampes il avait dû recevoir une dot importante. Donc quand il parlait de sacrifices cela pouvait évoquer une foultitude d’éventualités !