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Or celui-ci, après un intermède galant avec une bohémienne nommée Loance, venait de reprendre le chemin du château de Mello pour y refaire sa cour à Isabelle. Mais maintenant elle s’en méfiait comme du feu, l’évitait de plus en plus sous des prétextes divers et chargeait le plus souvent Agathe de le recevoir.

Cependant, décidé à tout pour la conquérir, Hocquincourt faisait monter les enchères, demandait sans cesse davantage pour ne pas trahir mais s’arrangeait de telle sorte que l’on pût supposer, chez Mazarin, que c’était Isabelle qui ne cessait d’augmenter le prix de sa reddition alors que, de son côté, la duchesse déployait toute son énergie à retenir Condé sur la pente fatale et l’empêcher à tout prix de s’emparer de Péronne.

Ce qu’elle ignorait, c’était que ses lettres ne parvenaient pas à leur destinataire. Quant aux réponses qu’elle reçut, elles furent au fur et à mesure plus vagues, alternant le chaud et le froid au point qu’elle finit par ne plus rien comprendre, n’imaginant pas un seul instant que ses lettres puissent être interceptées, réécrites par une main habile…

Le résultat se présenta sous les traits sévères de M. de Gaumont à la tête d’une trentaine de cavaliers. Le 8 novembre au matin, il venait arrêter la duchesse de Châtillon et « Mme de Ricousse » par ordre du cardinal Mazarin…

1 Lettre authentique de Mazarin. Affaires étrangères, France. Comme pour les autres extraits de l’époque, j’ai choisi l’écriture moderne afin d’alléger le texte et j’ai corrigé les fautes d’orthographe – chez Isabelle, elles atteignent une sorte de perfection – mais pas celles de français.

2 Ou à la femme. On ne faisait pas de distinction de sexe.

3 Anne Marie Martinozzi.

6

Trois pas en enfer…

La voiture aux mantelets tirés roulait déjà depuis un moment quand Isabelle réalisa ce qui venait de lui arriver. Il y avait eu cette intrusion fracassante d’une troupe de cavaliers dont le chef avait pénétré dans sa demeure comme chez lui et, repoussant les serviteurs, était venu droit à elle qui achevait tranquillement son petit déjeuner, pour lui déclarer froidement et sans même la saluer :

— Madame la duchesse de Châtillon-Coligny, je vous arrête de par le Roi ! Veuillez me suivre !

Sans bouger d’une ligne, elle avait achevé sa tasse de lait puis s’était essuyé délicatement les lèvres à une serviette :

— Voulez-vous avoir l’obligeance de me montrer l’ordre qui vous donne le droit d’envahir ma maison ? Et d’abord qui êtes-vous ?

Il s’était exécuté.

— Capitaine de Gaumont ! Des gardes de Son Eminence le cardinal Mazarin !

— Tiens donc ! J’ai cru comprendre que vous agissiez aux ordres du Roi ? Vous devriez pourtant savoir, capitaine de Gaumont, que ce n’est pas la même chose ! Et de quoi m’accuse-t-on ?

— Vous le saurez plus tard. Ce n’est pas de mon ressort. Je dois m’assurer de votre personne et de tous vos papiers, ainsi que de ceux de « Mme de Ricousse » et de ses écrits !

Isabelle leva un sourcil surpris :

— Mme de Ricous ne s’occupe pas de mon secrétariat mais de mes cheveux. C’est un art véritable qui n’a jamais exigé de dons épistolaires. En dehors des lettres de mon époux, elle n’emploie guère de parchemins sinon pour en faire des bigoudis… Mais peut-être devrais-je dire des papillotes pour être plus exacte ? En attendant, faites ce que l’on vous commande mais sans rien casser si possible. Tous mes tiroirs sont ouverts. Où m’emmenez-vous ? A la Bastille ?

— Je n’ai pas le droit de vous en informer ! Veuillez seulement vous hâter, madame la duchesse !

— Vous m’accorderez bien le temps d’embrasser mon fils…

— C’est trop naturel !

Elle aurait aimé donner quelques consignes à Bastille mais il s’était absenté comme cela lui arrivait souvent. Aussi se contenta-t-elle d’ordonner que Louis-Gaspard soit conduit sur l’heure chez sa grand-mère. Distribua d’autres instructions à Grandier son intendant et d’autres encore à Madeleine, la femme de celui-ci. Enfin, suivie d’un laquais portant son bagage, elle descendit dans la cour au milieu de ses serviteurs déjà en larmes. Elle leur sourit :

— Allons, je suis toujours vivante ! rassurat-elle avec une bonne humeur plutôt feinte. Mais si je ne revenais pas, prenez soin de M. le duc !

Elle avait trop de bravoure naturelle pour s’inquiéter vraiment de son propre sort. Davantage de celui d’Agathe qu’une autre voiture venait d’emporter, sanglotante et affolée au souvenir de l’horrible mort de son beau-frère. Le fait qu’on les ait séparées pouvait s’expliquer par la volonté d’éviter tout contact entre les deux femmes… mais pourquoi ?

Elle se doutait qu’il devait y avoir du Mazarin là-dessous car elle ne voyait pas ce que le Roi ou sa mère pouvaient avoir à lui reprocher en dehors des quelques lettres échangées avec Condé et qui n’avaient rien de pendable : comme elle ne cessait pratiquement pas de le supplier de revenir à son devoir ou, tout au moins, d’y renvoyer François, ses réponses à lui reflétaient son impuissance à vaincre la volonté, et surtout l’affection du jeune homme refusant de quitter son héros, dût-il l’accompagner à l’échafaud !

Restait à savoir ce qu’Agathe conservait par-devers elle. Isabelle ne doutant pas un instant de sa fidélité, avait pleuré avec elle la mort affreuse du jeune Ricous mais s’il arrivait qu’un courrier apportât une lettre de son époux, la duchesse se refusait d’en savoir le contenu, sa fidèle suivante ayant parfaitement droit à l’intimité de son couple. Elle espérait seulement qu’elle n’avait pas commis d’imprudences…

N’ayant pas de réponse à ces questions, Isabelle s’enveloppa plus étroitement dans ses fourrures et se pelotonna dans son coin. Le froid était vif et le ciel gris ce matin, et comme elle se déplaçait dans sa voiture personnelle – mais conduite par l’un des hommes de Gaumont ! – plutôt confortable, elle eût aimé dormir un peu. Ce qu’elle eût fait à coup sûr si on ne l’avait pas séparée d’Agathe, or c’était cela surtout qui la tourmentait. Dieu sait quelle épreuve allait-on infliger à cette pauvre femme !

Enfin on entra dans Paris mais quand on fut rue Saint-Antoine… Agathe fut dirigée droit sur la Bastille tandis que le cocher occasionnel d’Isabelle tournait dans une rue transversale où, après quelques tours de roues, on franchit le portail ouvert d’un hôtel particulier d’assez belle apparence mais qu’Isabelle ne connaissait absolument pas.

M. de Gaumont ouvrit la portière et lui offrit la main pour descendre tandis qu’elle examinait l’endroit :

— Où m’avez-vous emmenée ? Quelle est cette maison ?

— Vous êtes chez moi ! fit une voix trop connue.

L’abbé Fouquet était devant elle et s’inclinait.

Sans prendre la main offerte elle se détourna pour remonter dans son carrosse :

— Menez-moi à la Bastille ! cria-t-elle. Quand on arrête les gens, c’est là qu’on les enferme ou alors à Vincennes, mais pas chez n’importe quel particulier !