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— Voyons, duchesse, soyez raisonnable…

— Madame la duchesse ! rectifia-t-elle. Nous n’avons pas gardé les cochons ensemble ! Et j’ai dit que je voulais aller à la Bastille !

— Désolé mais c’est à moi que l’on vous a confiée. Et je dois vous interroger !

— Vous pouviez aussi bien le faire chez moi !

— Vous m’avez interdit votre porte !

— Cela vous étonne ? J’ai même précisé que je ne voulais plus vous voir ! Alors pas question que je reste dans cette « tanière » une minute de plus ! Emmenez-moi à la Bastille ! Là je répondrai à toutes vos questions !

— Encore désolé mais ce sera ici ! Allons, vous autres, ajouta-t-il à l’attention des gardes. Portez Mme la duchesse chez moi ! Ligotez-la au besoin !

— Jamais ! M. de Gaumont, si vous êtes gentilhomme, vous n’exécuterez pas l’ordre de cet individu ! Ce n’est qu’un espion du Cardinal et il n’a aucun titre à me contraindre…

Visiblement, le capitaine hésitait. Ce que voyant, Fouquet s’emporta :

— Obéissez, que diable ! Si elle vous fait peur, je vais vous montrer !

Il voulut s’emparer d’Isabelle mais elle l’évita et courut vers le portail resté ouvert en appelant « à l’aide ! ». Ce qui attira du monde aux fenêtres. Pour courir plus vite, elle avait relevé ses jupes mais son poursuivant allait l’atteindre quand elle heurta un homme vêtu de noir si violemment qu’elle faillit tomber. Il la retint adroitement et sourit en la reconnaissant :

— Madame la duchesse de Châtillon ? Voilà un plaisir inattendu !… Mais que vous arrive-t-il ?

Isabelle l’avait reconnu aussi. C’était l’un des hommes les plus séduisants de Paris, Nicolas Fouquet, le frère aîné de Basile, procureur du Roi et depuis peu surintendant des Finances.

— Ne la laissez pas filer ! clama l’abbé qui avait failli s’étaler en butant contre un pavé. Elle est ma prisonnière !

— Depuis quand faites-vous métier de geôlier, mon frère ? ironisa l’arrivant. En outre, même si cela était, vous pourriez vous exprimer autrement en présence de si noble dame !

— On s’exprime comme on peut ! Ne vous mêlez pas de ça… ou plutôt, puisque vous semblez y tenir, ceci est l’ordre signé du Cardinal qui me remet Mme la duchesse pour que je l’enferme en telle prison qui me conviendra aux fins d’interrogatoire !

— Et vous voulez la loger chez nous ? Quelle drôle d’idée !

— N’est-ce pas ? renchérit Isabelle. Alors que je ne cesse de réclamer la Bastille où l’on a mené Mme de Ricous, ma suivante ! Je n’ai que faire chez ce cuistre ! D’autant qu’il se proclame amoureux de moi et me poursuit de ses assiduités ! J’ai le pire à craindre de lui ! Il est fou !

— J’espère de tout mon cœur que vous vous trompez… encore qu’en vous voyant je redoute que vous n’ayez raison ! D’autre part, on ne saurait dédaigner un ordre du Cardinal… mais il y a peut-être un moyen de contenter tout le monde !

— Vous me la rendez et vous passez votre chemin ! ronchonna Basile.

— Oh, que nenni ! Voulez-vous bien vous confier à moi, madame la duchesse ?

Il avait un si charmant sourire qu’Isabelle ne put faire moins que le lui rendre :

— Voyons votre idée, monsieur le surintendant.

— Je vais bonnement vous conduire à notre mère qui occupe le pavillon principal… C’est une femme de grand mérite et de haute vertu qui a voué sa vie à l’apaisement des maux et malaises des petites gens. En outre, plus pieuse qu’elle ne saurait se trouver. Elle saura vous accueillir… et vous garder de tout désagrément ajouta-t-il en jetant un coup d’œil sévère à son frère !

Tout en parlant, il offrit sa main à Isabelle avec un salut et, le chapeau bas, la conduisit vers la porte principale où veillait un valet… Dompté, l’abbé suivit en mâchonnant des mots incompréhensibles.

Ainsi que l’avait annoncé son fils aîné, Mme Fouquet, née Marie de Maupéou, de noble famille parlementaire, était une femme déjà âgée d’une extrême dignité jointe à une grande bonté. Elle accueillit très gentiment l’invitée imprévue mais si visiblement troublée, se déclara heureuse de la recevoir et disposée à lui offrir l’hospitalité aussi longtemps qu’il lui serait nécessaire. Au physique, ses cheveux blonds s’argentaient sous un élégant bonnet de toile fine et de dentelles, de taille moyenne mais se tenant si droite que ce maintien lui conférait une certaine allure pleine de dignité. Ses yeux bruns semblaient voir clair. Après s’être attardés un instant avec sévérité sur l’abbé, leur propriétaire déclara à Isabelle qu’elle allait la conduire sur-le-champ à sa chambre où elle recevrait ce dont elle pouvait avoir besoin.

— Et il y a un cabinet d’écriture où l’abbé pourra s’entretenir avec vous… dans la journée… et jamais le soir… Encore moins la nuit… Puisque vous êtes en quelque sorte prisonnière de Son Eminence vous n’aurez pas la liberté de sortir, bien entendu, mais nul ne pourra se permettre de vous maltraiter, que ce soit moralement ou physiquement, et si vous le souhaitez vous pourrez recevoir les secours de la religion. Enfin si vous vous ennuyez, la librairie possède de nombreux livres. En outre, si l’étude des plantes vous intéresse, je vous accueillerai volontiers dans mon antre de sorcière, comme l’appelle mon fils Nicolas ! conclut-elle avec un sourire bienveillant.

D’autant plus soulagée qu’une trop évidente déception s’inscrivait nettement sur la figure de Basile, Isabelle se jura d’être une invitée modèle… et de se tenir le plus près possible de son hôtesse le temps qu’elle resterait chez elle. Puis elle remercia chaleureusement le surintendant, tourna le dos à son frère et s’en fut prendre possession de son nouveau logis.

Il s’agissait d’une belle chambre dont le mobilier, un peu sévère, remontait au siècle précédent pourvue de rideaux, d’un entourage de lit et d’une courtepointe en tapisserie et surtout d’une cheminée en pierre blanche dans laquelle une femme de chambre, agenouillée, s’activait à allumer le feu. Isabelle, transie, se réfugia dans un fauteuil, quand même réconfortée par la visible déconvenue de Basile.

Comme elle le faisait le plus souvent quand se présentait un problème, elle s’accorda un moment de repos et de réflexion. En l’occurrence celui de se réchauffer.

Malgré l’aide que lui avait envoyée le Ciel, sa situation n’était pas brillante. Cet homme auquel on venait de la soustraire, momentanément, n’en habitait pas moins la même demeure où il pourrait l’interroger à loisir ! Mais ce n’était pas cela qui tourmentait Isabelle : c’était le sort d’Agathe. Pourquoi la Bastille ? De quoi pouvait-on la soupçonner ? D’être la confidente d’Isabelle et à ce titre devenir, sous la menace, une source d’informations plus ou moins erronées ? En pensant au destin du jeune Ricous et de ce malheureux Bertaut, Isabelle se sentait frémir. Il fallait au moins éviter à Agathe les tracasseries abominables de la question et, pour cela, un seul moyen : s’expliquer sans tarder avec ce maudit abbé !

Réchauffée et plus déterminée que jamais, elle passa dans le cabinet de toilette attenant à sa chambre, se lava le visage et les mains, se recoiffa en accordant un soupir nostalgique à l’habileté d’Agathe et, jetant un dernier regard au miroir, sonna. Une femme de chambre accourut portant un plateau qu’elle déposa sur une table près du feu.

— Mme Fouquet fait dire à madame la duchesse qu’elle sera servie tous les jours aux heures habituelles des repas… et aussi qu’elle veuille bien faire connaître ses goûts si…

— Remerciez Mme Fouquet et dites-lui que c’est très bien ainsi. Dites-lui que je recevrai M. l’abbé Fouquet ce tantôt, à l’heure qui lui conviendra  ! Mais le plus vite sera le mieux !