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Une heure plus tard, ils étaient face à face dans le cabinet d’écriture mis par Mme Fouquet à la disposition de son fils et qui convenait parfaitement à Isabelle : aucun meuble n’y évoquait l’intimité d’un entretien galant. Sauf peut-être le tapis. Et encore !

Assis derrière un petit bureau, l’abbé Basile se leva à l’entrée de son « invitée » en lui désignant de la main un fauteuil tendu de cuir de Cordoue où elle prit place sans dire un mot mais en retenant un sourire moqueur : entièrement vêtu de noir, col et manchettes de toile des Flandres, l’élégant abbé avait opéré un bel effort pour se glisser dans les atours de la magistrature. Ce qui ne lui allait pas du tout parce que, en plus, il avait mauvaise mine. Et comme elle ne disait toujours rien, se contentant de le contempler sans manifester la moindre émotion, il eut un soupir agacé et commença :

— Madame la duchesse de Châtillon-Coligny, vous n’ignorez pas, je pense, les faits qui vous sont reprochés ? Ils sont d’autant plus graves que, simplement frappée d’exil sur vos propres terres, la mansuétude dont vous avez bénéficié aurait dû vous inciter à plus de retenue. La bonté de Son Eminence…

— Un instant, s’il vous plaît ! J’avais cru remarquer, non sans surprise, que l’on était venu m’enlever de ma demeure sur l’ordre du Cardinal. Ce qui ressemble assez à un mauvais coup. Jusqu’à présent on arrêtait au nom du Roi ou, il y a peu encore, de la Régente surtout s’agissant d’un membre de la haute noblesse !

— Son Eminence n’agit jamais qu’avec leur approbation préalable !

— Ah oui ? En ce cas apprenez-moi en quoi j’ai offensé des souverains que je vénère.

Le ton paisible était à la limite de l’ironie et valut à Isabelle un regard noir.

Basile prit un papier posé devant lui et lut :

— Les charges ne manquent pas ! Cette correspondance active avec les ennemis extérieurs, atteinte à la sûreté de l’Etat en incitant l’un de ses grands serviteurs à livrer des places fortes essentielles à la sécurité de nos frontières…

— Moi, je suis coupable de cela ?

— Nierez-vous que vous entretenez des relations amoureuses avec le maréchal d’Hocquincourt, gouverneur de Péronne et de Ham, pour le convaincre de remettre ces deux forteresses à votre amant Condé ?

— C’est curieux ce talent que vous avez, vous autres robins, pour dénaturer les faits et les retourner à votre profit ! Le maréchal se prétendant amoureux de moi m’a proposé d’offrir ces deux villes au prince de Condé si j’acceptais de le recevoir dans mon lit…

L’abbé grinça des dents. L’image devait lui déplaire :

— … Ce qui était des plus flatteurs pour mes charmes. Malheureusement il réclamait aussi un million deux cent mille livres pour ses menues dépenses, ce qui l’était moins ! Entre parenthèses j’ajouterai qu’il avait déjà proposé par l’intermédiaire du duc Charles de Lorraine ce genre de marché à Mademoiselle. Les termes en étaient voisins à cela près qu’il ne s’agissait pas de s’en prendre aux appas d’une aussi noble dame mais de faciliter son mariage avec…

— Veuillez m’excuser mais nous nous éloignons du sujet !

— Je ne trouve pas mais si c’est votre avis…

— Qu’avez-vous répondu au maréchal ?

— Que je préférais qu’il fasse ses commissions lui-même… qu’il écrive à Condé et qu’en souvenir d’une vieille amitié je consentais à acheminer sa lettre…

L’œil de Basile s’alluma :

— Donc vous avouez que vous correspondez avec un ennemi de l’Etat ?

— C’est accorder beaucoup d’honneur à Mazarin que de le confondre avec l’Etat. Naturellement je corresponds avec mon cousin ! Vous ne devriez pas vous en plaindre : c’est dans ces lettres, dont il leur arrive de prendre connaissance au passage, que vos espions font les trouvailles qu’ils sont si fiers d’avoir dénichées…

— Ce qui signifie ?

— Que rien n’est compliqué pour vous ! Revenons-en au maréchal ! Il a remis à mes soins une belle épître où il avait pris soin d’oublier la clause qui me concernait… et que je me suis hâtée d’ajouter aussitôt après son départ, sachant pertinemment quel effet aurait sur le Prince cet admirable morceau de littérature, sans oublier de mentionner que, dans l’esprit du maréchal, l’une n’allait pas sans l’autre ! Et maintenant, j’aimerais savoir combien de temps vous comptez me retenir en ce lieu ?

— Pourquoi, vous n’êtes pas bien ?

— J’y serais mieux encore en la seule compagnie de madame votre mère !

— Navré mais je vous dirai à mon tour que l’une…

— C’est bon ! J’ai compris  !

— Songez que vous devriez être à la Bastille ! C’est tout de même plus confortable ici, non ?

— Sans vous ce serait parfait. Avec vous je préférerais cent fois la Bastille !

— Il se pourrait qu’on vous y expédie si vous vous montriez par trop déraisonnable. Vous venez de reconnaître votre correspondance avec un ennemi de l’Etat mais ce n’est pas le seul chef d’accusation porté contre vous et celui-là est largement plus grave : tentative d’assassinat sur la personne du cardinal Mazarin…

— Encore Mazarin ! Ne doit-on parler que de ce jocrisse ? C’est à se demander s’il existe toujours un roi en France ! Il est vrai que c’est lui qui vous rémunère ! Mais il serait préférable pour lui qu’il se montre plus discret ! Dans une ville qui hurlait à la mort il n’y a pas si longtemps au seul prononcé de son nom. Et comment suis-je censée le vouloir occire ?

— Avec cette babiole !

Il sortit du tiroir une boîte ornée d’émaux cloisonnés à la vue de laquelle Isabelle éclata de rire :

— Avec ça ? Ce serait à pleurer de bonheur si ce n’était si drôle ! La « poudre de sympathie » de ce cher Digby ? Mais mon pauvre abbé, vous pourriez vous en servir une louche sans ressentir d’autre malaise qu’une envie d’éternuer ! D’ailleurs cela ne se consomme pas ! Il suffit d’en jeter une pincée sur quelqu’un qui ne vous aime pas. Vous devriez essayer sur moi ! Je vais peut-être vous adorer sous peu !

— On en a mêlé à la pitance d’un chat et d’un chien et tous deux en sont morts !

Isabelle cessa de rire. Elle prit la boîte, l’ouvrit et constata que la poudre blanche à l’origine était presque grise. On avait dû lui additionner un autre ingrédient… Machinalement, elle mouilla un doigt, préleva du produit pour le goûter mais n’en eut pas le temps. Basile avait saisi sa main et rinçait l’index avec l’eau d’une carafe posée sur une table :

— Ou vous êtes folle ou vous n’avez pas compris ce que je viens de vous dire !

— Oh, j’ai fort bien compris au contraire  !

En effet, sous son regard devenu pesant, l’autre détournait les yeux. Dans cette maison, la brave Mme Fouquet avait aménagé une sorte de laboratoire où elle préparait ses remèdes dont les composants n’étaient peut-être pas tous innocents. Et cette fois, Isabelle eut peur : cet homme était capable du pire pour qu’elle lui appartienne et elle se sentit pâlir sous l’impact d’une vague nausée :

— Vous êtes un monstre ! murmura-t-elle.

— Sans doute ! Ne vous en prenez qu’à vous ! Car je suis ce que vous avez fait de moi !

— Je ne vous aime pas ! Je ne vous aimerai jamais !

— Qu’en savez-vous ! Soyez à moi, tentez l’expérience ! Vous changerez d’avis. D’autres femmes et non des moindres…

— Oh ! Je vous en prie, épargnez-moi la liste de vos conquêtes ! J’ai peine à croire qu’elle soit si longue !…