— Suffisamment pour me satisfaire… d’autant que vous en faites d’ores et déjà partie !
— Quoi ? Alors que je ne suis ici que depuis quelques heures ?
— Les nouvelles courent vite à Paris ! A l’hôtel de Rambouillet, Mme de Sévigné aurait annoncé hier soir que vous étiez chez moi et tout le monde aurait trouvé cela fort plaisant ! Est-ce si difficile de me donner cette peccadille que j’implore de vous ? Une nuit, une seule nuit et je vous reconduis à Mello !
Les mains tendues, il s’approchait lentement d’elle, prêt à l’étreindre, mais elle s’était déjà réfugiée derrière le dossier de son siège :
— Si vous avancez d’un pas de plus, je crie !
— Aucune importance ! Ma mère est dans son laboratoire au fond de la maison et les domestiques sont à mes ordres !…
La panique l’envahit. Elle s’élança vers une fenêtre, l’ouvrit mais il était déjà sur elle. Alors elle hurla :
— Au sec…
Il eut juste le temps de lui imposer son baiser. Sa mère venait d’entrer :
— Mon fils, dit la voix calme de Mme Fouquet. Si vous ne vous souciez pas de qui vous êtes, songez à ce que nous sommes ! Des gens d’honneur !
— Pardonnez-moi, mère ! Je suis fou de cette femme !
— Dans ce cas il va falloir vous calmer. Il est déjà suffisamment dommage que vous confondiez notre demeure familiale avec une prison, je ne tolérerai pas que vous la transformiez en un lieu de perdition…
— J’ai surtout voulu qu’elle soit un refuge. Mme la duchesse a de nombreux ennemis même parmi ceux qu’elle a pu considérer comme ses amis jusqu’à présent…
— Qu’insinuez-vous ? demanda Isabelle. De qui parlez-vous ?
— De l’entourage de votre cher Condé ! On ne vous y aime guère.
— Vous oubliez mon frère qui a voulu suivre son chef et ami là où il est. Il voit en lui…
— Oh, je ne doute pas de la loyauté de M. de Bouteville envers son cousin mais lui se contente de se battre. D’autres sont aussi à Bruxelles et dont les armes sont cent fois plus meurtrières parce que plus perfides.
— Qui enfin ? Il faut vous arracher les paroles !
— Que diriez-vous de Mme de Longueville ?
— Anne-Geneviève ? Elle aurait quitté Bordeaux ?
— Eh oui ! Elle y a laissé Madame la Princesse qu’elle ne supporte plus et a rejoint son très cher frère. C’est à elle qu’il obéit maintenant, et quand elle vous a dénoncée il n’a pas réagi. Peut-être après tout n’a-t-il rien su…
— Mais de quoi, sacrebleu ! hurla Isabelle, à bout de nerfs.
— La tentative d’empoisonnement contre le Cardinal ; c’est elle qui l’a mentionnée dans des lettres que nous avons trouvées dans les papiers d’un certain abbé Arnolphini qui est, lui, à l’Espagnol Fuensaldagne. Et ce n’était assorti d’aucun démenti de Monsieur le Prince…
Isabelle ne répondit rien. Elle regardait, pétrifiée d’horreur, cet homme qui, un sourire ironique au coin des lèvres, arrachait méthodiquement une à une les plumes de ses rêves ! Il jouissait visiblement d’un triomphe qui, à elle, lui donnait la nausée. Ce fut pire encore quand il jugea bon d’ajouter :
— Si je n’avais été là pour vous protéger, c’était la Bastille et l’échafaud !
— Vous voilà content ? fit-elle enfin avec lassitude. Je suppose que ma pauvre Agathe que vous avez dû livrer aux tourmenteurs vous a révélé tout ce que vous souhaitiez entendre et certainement davantage car nous n’avons jamais évoqué l’intention d’assassiner votre Mazarin. On n’empoisonne pas quand on est la fille de François de Montmorency !…
Elle cherchait un siège pour s’asseoir, elle trouva le bras de Mme Fouquet sur lequel elle s’appuya.
— Cela suffit, mon fils ! intima celle-ci. Je ne vous autorise pas d’user de ma maison comme de l’antichambre de la mort ! Votre frère non plus n’aimerait pas cela !…
— Mon frère, mon frère ! Je sais, c’est le grand homme de la famille mais vous pourriez m’accorder quelque valeur !…
— Allez exercer ailleurs votre vilain métier ! Quant à moi, je vous interdis de tourmenter davantage une jeune dame qui est, de cette minute, mon hôte !
— Je ne peux pas ! J’ai mes ordres !
— Et moi ceux de Dieu… alors que ce devrait être le contraire, monsieur l’abbé Fouquet ! Allez-vous-en et laissez-nous entre femmes !
Et serrant le bras d’Isabelle, elle l’entraîna dans son laboratoire boire une liqueur réconfortante.
— Je commence à croire, lui confia-t-elle avec bonté, que l’extrême beauté ne doit pas être un cadeau du Ciel ! Cela me paraît un lourd fardeau à supporter !…
Pendant ce temps, le maréchal d’Hocquincourt faisait toujours des siennes. La nouvelle de l’arrestation de celle qu’il appelait « son bel ange » l’avait mis hors de lui. Il renvoya aussitôt son ami, le duc de Navailles, en réclamant quatre cent mille livres et la mise en liberté immédiate de la duchesse… Sa femme, désolée de sa conduite, se proposa pour essayer de le ramener à la raison. Il ne voulut rien entendre, s’accrochant fermement à ses exigences. Si fermement que Mazarin s’en alla chez la Reine lui demander un ordre à l’intention de Mme de Châtillon : écrire une lettre à son amoureux ainsi qu’à Condé pour les avertir du danger qu’elle courait.
Se conformant à l’ordre reçu, Isabelle écrivit à Hocquincourt. Or, remise à Mazarin, ladite lettre ne lui plut qu’à moitié et le temps pressait. Condé venait d’envoyer vers Péronne un corps de trois mille hommes commandés par Bouteville et M. de Persan.
Epouvanté devant l’imminence du danger, le Cardinal pressa l’expédition des quatre cent mille livres en donnant ordre à MM. de Navailles et de Noailles de traiter coûte que coûte avec Hocquincourt… qui fit grimper les enchères : il voulait la survivance du gouvernement de Péronne pour son fils aîné plus sept cent mille livres qui lui seraient dues en regard de ses « appointements, pensions et mortes payes et des avances faites par lui pour fortifier la place ».
Il ne restait plus qu’à libérer la duchesse de Châtillon aussi vite que possible.
Isabelle n’en séjourna pas moins de trois semaines chez les Fouquet mais quand M. de Guitaut vint lui annoncer qu’elle était libre, ce fut au fond de son lit qu’elle le reçut. Sa belle santé n’avait pas résisté aux derniers quinze jours dont l’abbé Basile avait réussi à réaliser une assez bonne copie de l’enfer.
En effet si, grâce à la bonne Mme Fouquet qui l’avait prise sous son aile, la première semaine s’était bien passée, il n’en avait pas été de même des deux dernières. Au moyen d’un faux ordre de la Reine adressé à sa mère, Basile avait réussi à reprendre le contrôle de sa prisonnière. Au moment dit, celle-ci avait conservé la chambre qu’on lui avait attribuée mais la fenêtre avait été garnie de barreaux et deux gardes veillaient constamment à sa porte. N’étaient autorisés à entrer qu’une servante – d’ailleurs à la dévotion du séduisant abbé – chargée de l’entretien et du service de la jeune femme et l’incontournable Basile… Mme Fouquet elle-même ne pouvait la voir. Elle s’en était plainte à son fils aîné et celui-ci s’était précipité chez Mazarin qui lui avait de grandes obligations – c’était Nicolas qui avait réussi à préserver la fortune du Cardinal pendant son exil ! – mais avait refusé d’adoucir le sort de la recluse :
— Qu’elle s’estime heureuse de n’être point à la Bastille ou à Vincennes soumise à la question ! N’oubliez pas que cette femme a tenté de m’empoisonner ! J’en ai eu confirmation de maintes personnes…
— Votre Eminence ne craint pas la vengeance de Condé ?