— Il faudrait pour ce faire qu’il revienne. Or, s’il est pris en France, c’est la décollation pour haute trahison !
— C’est une femme ravissante ! Elle a d’autres amis dévoués !
— Dont vous êtes peut-être ?
Dans ces cinq petits mots se cachait un soupçon que la finesse du surintendant des Finances décela sans peine. Il sourit :
— Un admirateur tout au plus ! Votre Eminence a connaissance que j’aime ailleurs. Cependant il serait préférable de changer Mme la duchesse de Châtillon-Coligny de résidence ! La savoir sous la coupe de mon frère donne à se gausser à ceux qui ne l’aiment pas !
— N’oubliez pas qu’on ne prête qu’aux riches ! conclut Mazarin avec un mouvement d’épaules qui clôturait l’entretien.
Pourtant Fouquet avait autre chose à dire :
— Sa suivante a été arrêtée en même temps qu’elle. Les juges n’en ont-ils rien tiré ?
— Elle n’a même pas mis les pieds à la Bastille ! Je ne sais comment elle a réussi à glisser entre les doigts de ses gardiens et on ne l’a pas retrouvée.
En homme de cœur, Nicolas avait alors entrepris son frère mais celui-ci l’avait envoyé promener avec une sorte de hargne en lui disant de s’occuper de ses propres affaires. Et le calvaire d’Isabelle avait continué.
Chaque nuit, Basile s’installait chez elle, la harcelant de questions, ne lui laissant ni trêve ni repos, la secouant lorsqu’elle s’endormait épuisée et l’obligeait à boire, lui imposant des caresses dont elle avait du mal à se défendre. Par précautions elle ne se déshabillait plus, s’enveloppant au contraire le plus qu’elle le pouvait.
Une nuit, il tenta de la violer mais son instinct vint au secours d’Isabelle. Elle poussa un tel hurlement qu’il porta loin et d’abord résonna dans la maison. Il s’éteignait à peine que Mme Fouquet tapait à coups redoublés sur la porte, menaçant son rejeton de la faire enfoncer par un laquais s’il ne l’ouvrait pas. Il avait obtempéré en maugréant. Elle s’était ensuite précipitée dans la chambre pour trouver la jeune femme à demi nue, pelotonnée sur le lit et secouée de sanglots spasmodiques. Elle s’était alors hâtée de la soigner sans cacher sa colère :
— J’ai du mal à croire que vous soyez mon fils ou simplement une créature de Dieu que l’on a fait abbé ! C’est la damnation qui vous attend et la mienne par la même occasion pour avoir donné le jour à un monstre !
Son intervention avait valu à la victime quarante-huit heures de répit mais d’un mauvais repos hanté par la crainte de voir reparaître à tout instant son bourreau. Puis Mme Fouquet avait dû garder le lit ayant pris froid en s’attardant à l’église. Basile était revenu…
Il avait changé de tactique. Il jouait à présent les amoureux transis. Il apportait des fleurs, des pâtisseries, des parfums rares devant quoi Isabelle, retrouvant un peu de forces, lui avait lancé :
— Si vous pensez me gagner en me traitant comme une courtisane, vous vous leurrez encore ! Souvenez-vous de qui je suis… et pour l’amour de ce Dieu que vous servez si piètrement. Contentez-vous de me laisser en paix !
— Mais je ne demande que cela, Isabelle ! Permettez-moi de vous prendre dans mes bras, de m’étendre contre vous et nous nous endormirions ensemble après un unique baiser. Moi aussi je suis las de cette longue bataille que vous m’imposez ! Je vous promets même de vous ramener chez vous… auprès de votre fils ! Vous n’avez pas envie de le revoir ? Ce n’est pas bon qu’il reste si longtemps éloigné de sa mère ! Il pourrait…
Elle avait eu un gémissement pathétique :
— Mon fils !… Ne touchez pas à mon fils !…
Une crise de larmes avait suivi, si irrépressible que Basile s’était résolu à faire chercher sa mère pour la calmer. Hors d’elle celle-ci s’était écriée :
— Si vous voulez la tuer, ça ne tardera pas… mais allez commettre ailleurs votre vilaine action ! Et moi je vais en appeler à la Reine !
Il s’était permis de ricaner :
— Brillante idée, ma mère ! La Reine la déteste maintenant ! N’oubliez pas qu’elle a voulu assassiner son amant…
Mais le lendemain Guitaut arrivait et, avec lui, la délivrance !
Isabelle quitta la maison de Mme Fouquet au bras de celle-ci, qui la conduisit jusqu’à la voiture. Pâle et les traits tirés, elle marchait à pas comptés en clignant des yeux comme un oiseau nocturne soudain plongé en pleine lumière. Une lumière qui semblait la blesser.
— Vous êtes trop faible ! s’inquiéta son hôtesse involontaire. Vous devriez demeurer encore quelques jours. En ma seule compagnie !
Isabelle n’eut pas le temps de répondre, Guitaut s’en chargeait :
— Madame la duchesse peut aller où elle veut sauf rester dans Paris. Mme de Brienne – qui a pris froid et étant elle-même alitée – a réclamé en vain qu’elle lui soit confiée… Hors de Paris, madame la duchesse sera transportée où il lui plaira. A Mello, je pense.
Isabelle fixait des yeux la voiture inconnue, les valets inconnus et resserra ses fourrures autour d’elle. Il faisait si froid ce matin !
— Où sont mes gens, mon attelage ?
— Retournés à Mello.
Le regard de la jeune femme cherchait Agathe et surtout Bastille ! Bastille, son si précieux rempart ! L’avait-on emprisonné lui aussi ? La vie lui paraissait n’avoir plus de signification :
— Ne puis-je même pas rentrer chez moi, rue du Jour ?
— Paris vous est interdit, madame la duchesse. Plus tard, peut-être, quand il vous sera autorisé de venir demander le pardon de Son Eminence…
Le mot la flagella, lui rendit le courage qui ne lui avait jamais fait défaut :
— Le pardon ? Mais de quoi ?
— D’avoir comploté avec les ennemis de l’Etat…
— Dieu m’est témoin que je n’ai jamais comploté contre Leurs Majestés qui seules représentent l’Etat !…
— Le Cardinal en est un membre lui aussi, et en tentant de le faire empoisonner c’est comme si…
— Rien du tout ! A aucun moment il ne m’est venu l’idée d’attenter à la vie de qui que ce soit ! Même à la sienne ! Je ne suis pas Mme de…
Un peu plus et elle mentionnait Longueville. Mais retint le nom qui aurait pu éclairer son frère d’une lumière sinistre. Elle le ravala pour enchaîner, furieuse :
— Jamais – vous entendez ? – jamais je ne m’abaisserai à ce niveau ! Votre Cardinal a lancé sur moi sa meute d’espions qui ont employé les plus vils moyens pour me briser… et vous voudriez que moi, Isabelle de Montmorency-Bouteville, duchesse de Châtillon-Coligny, je consente, par-dessus le marché à le remercier de sa mansuétude ?
A cet instant, un carrosse de voyage sortit tout attelé des écuries. Le maître de la maison, Nicolas Fouquet, en descendit, salua profondément Isabelle :
— C’est moi qui me charge de vous accompagner où vous le désirerez, madame la duchesse. Cette voiture sera plus digne de vous que les équipages policiers.
Un valet ouvrit la portière révélant l’intérieur, ses coussins agréablement rembourrés, ses couvertures et ses chaufferettes. Isabelle n’hésita pas une seconde :
— Merci, monsieur ! Merci de tout mon cœur !
Elle embrassa Mme Fouquet et prit la main qui s’offrait pour l’aider à monter. Le surintendant la suivit :
— Où voulez-vous aller, madame la duchesse ?
Son regard chargé de mépris se dirigea vers l’abbé Basile qui, à quelques pas, l’observait sans bouger :
— A Maubuisson, s’il vous plaît ! A l’abbaye Notre-Dame-la-Royale. Feue Madame la Princesse aimait bien celle qui en est l’abbesse depuis l’an passé ; la révérende mère Catherine d’Orléans-Longueville. Je la connais un peu et auprès d’elle je guérirai, après quoi j’irai rejoindre mon fils !