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Une surprise attendait Isabelle. Quand la voiture franchit le portail, la foule assemblée dans la rue éclata en acclamations ! Elle trouva un sourire pour ces inconnus qui n’avaient pas oublié qu’ils exécraient Mazarin il n’y avait pas si longtemps…

L’arrestation d’Isabelle avait fait beaucoup de bruit ; sa libération en fit plus encore. L’incorrigible Loret lui consacra un pavé en vers :

L’admirable Châtillon donc

Rare en beauté s’il en fut onc

S’étant dit-on justifiée

(Chose qu’on m’a certifiée !)

A recouvré sa liberté

Par ordre de Sa Majesté…

Quant au malencontreux Hocquincourt, cause de tout le mal, il avait réclamé un écrit du Cardinal, juré fidélité au Roi puis se retirait tranquillement dans ses terres sans plus se soucier de son « bel ange », mais n’y resta pas. C’était apparemment un homme habité par la bougeotte. Peu de temps après, il passait de nouveau à l’ennemi. Cela ne lui porta pas chance. Deux ans plus tard, en allant reconnaître les lignes françaises devant Dunkerque assiégé, il fut tué de trois coups de mousquet bien français après quoi, à la bataille des Dunes, Turenne écrasait littéralement les Espagnols de Condé.

Fondée par Blanche de Castille, mère de Saint Louis, l’abbaye Notre-Dame-la-Royale érigeait l’harmonie de son église et de ses nobles bâtiments aux portes mêmes de Pontoise. Appartenant à l’ordre cistercien, elle avait toujours été réservée aux femmes de bonnes maisons et ses abbesses étaient toutes de haute naissance. Il y avait une dizaine d’années que Catherine d’Orléans-Longueville avait pris le voile mais ce n’était que depuis l’année précédente qu’elle avait reçu la crosse abbatiale. Un peu à l’écart, dans le parc, un petit château avait été construit par la reine Blanche pour s’y retirer de temps à autres mais c’était surtout son fils qui en usait et plus encore, par la suite, son petit-fils1, qui aimait venir méditer et prendre, comme il le disait, « conseil de son silence ». C’est là qu’un jour de malheur il avait eu la visite de sa fille, la reine Isabelle d’Angleterre, et d’où était venue la foudre qui avait frappé les trois belles-filles du Roi et écrasé leurs amants sous une effroyable justice. Les rois n’y venaient plus mais princesses ou nobles dames, souhaitant se retremper l’âme, s’y rendaient volontiers car le cadre était charmant, dira Catherine d’Orléans-Longueville, sœur du duc et belle-sœur de « l’incomparable » Anne-Geneviève de Bourbon-Condé. C’était à la rencontre de l’abbesse qu’Isabelle désirait aller pour soigner son âme plus encore que son corps avant de rejoindre son fils sans lui imposer l’image d’une mère démolie aussi moralement que physiquement.

L’hiver était présent avec ses neiges, ses froidures et ses vents qui se glissaient le long des couloirs gothiques mais les cellules réservées aux retraitantes ne manquaient pas de confort. Mère Catherine, ainsi que le prieur attaché à la communauté savaient écouter un cœur blessé, et Isabelle commença par une confession minutieuse qui lui fit l’effet d’un bain de jouvence d’autant qu’elle autorisa le prêtre à en lever le secret si le besoin s’en faisait sentir. Ce qui fit ouvrir à celui-ci de grands yeux :

— Ce n’est guère d’usage, ma fille ! observa-t-il.

— Je sais mais ce dont on m’accuse est trop grave pour que je ne confie pas au représentant de Dieu la vérité de mon cœur. Je n’ai jamais voulu tenter de tuer ou de faire tuer le cardinal Mazarin !

Une nourriture simple et saine jointe aux produits de l’apothicairerie et à la jeunesse d’Isabelle la remirent d’aplomb. Elle demanda alors à rentrer chez elle.

Ce ne fut pas sans un regret que Mère Catherine la vit partir. L’âme libérée par la confession des scories qui l’empoisonnaient et à mesure que la santé lui revenait, la jeune femme retrouvait son caractère enjoué, son sourire et sa gentillesse… son goût de la revanche aussi mais de ce détail elle ne confia rien, à commencer par la rancune solide qu’elle nourrissait envers son tourmenteur. Celui-là, elle entendait bien lui faire payer un jour ou l’autre ses mauvais traitements ! Elle n’en accepta pas moins d’un cœur sincère l’invitation de l’abbesse quand elle vint la saluer :

— La maison vous sera toujours ouverte si vous en éprouviez de nouveau la nécessité !

— Je ne manquerai pas de m’en souvenir, révérende mère, comme des multiples bontés que vous avez eues pour moi. Soyez sûre que je reviendrai… fût-ce pour le bonheur de vous saluer et de prier un moment avec vous…

Une surprise l’attendait quand elle rejoignit son carrosse. Un homme assis près du cocher descendit en voltige et s’approcha, un bras en écharpe. C’était Bastille et immédiatement son caractère soupe au lait donna de la voix :

— Te voilà enfin ? ? Mais où avais-tu disparu durant tout ce temps où tu m’étais tellement indispensable ? N’avais-tu pas juré à ton maître de me protéger ?

Il mit genou en terre en même temps que s’effaçait de son visage la joie qui l’illuminait un instant plus tôt :

— Pardonnez-moi, madame la duchesse ! Je me le suis assez reproché et croyez que je serais mort plutôt que manquer à ma parole à une heure aussi critique ! Mais j’étais inconscient et à deux doigts de la mort quand le malheur s’est abattu sur vous !

Et il expliqua comment, la veille de l’arrestation d’Isabelle, il s’était trouvé pris, à Paris, dans une échauffourée comme il s’en produisait souvent dans la ville encore mal remise des folies de la Fronde. Atteint à la tête, il avait repris connaissance dans un lit chez un couple de merciers qui l’avaient ramassé devant leur porte.

— J’ai honte de moi parce que j’ai manqué à mon devoir, mais sur le salut de mon âme, je jure que je ne l’ai pas cherché et je vous obéirai si vous décidez de me chasser. Ce qui ne veut pas dire que je m’éloignerai à des lieues. Tant que je vivrai, je…

— Assez de discours pour ce matin ! Nous avons autre chose à nous occuper et en premier lieu rentrer à la maison. Mon fils va-t-il bien ?

Un sourire illumina le visage sévère de Bastille :

— Le mieux du monde !

— Allons vite le rejoindre ! Et toi, monte ici avec moi : nous avons à parler ! Et d’abord, Agathe a-t-elle été relâchée de la Bastille ?

— Elle n’y est jamais allée !

— Qu’est-ce à dire ? Elle a quitté Mello dans la voiture que les gardes avaient amenée, devant moi jusqu’à un carrefour où nous nous sommes trouvées séparées. Elle était dans un état affreux, terrifiée à l’idée d’être mise dans la prison où son beau-frère avait été tué.

— Et pourtant elle n’y est pas entrée. Elle a réussi à s’échapper. On ne sait comment, pendant son transfert, elle a fui par les rues. Et apparemment on ignore ce qu’elle est devenue…

— Où a-t-elle pu aller ainsi, seule, démunie… et complètement affolée ?… Chez Mme de Brienne peut-être ?

— Après avoir échappé à la police du Cardinal ? Je ne pense pas qu’elle l’aurait tenté.

— Dans un couvent ? Ou chez sa mère ?… Comment savoir ?

La question n’appelant pas de réponse, Isabelle, rencognée dans ses coussins, s’abandonnait au bonheur égoïste de retrouver sa maison, son fils et sans doute aussi Mme de Bouteville qui n’avait cessé de s’occuper de son petit-fils durant son absence. Son séjour à l’abbaye lui avait procuré le plus grand bien sans pour autant lui inspirer de s’y retirer du monde comme Anne-Geneviève de Longueville – avant Longueville ! – y avait longtemps réfléchi.