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Elle regagna Mello emplie d’un merveilleux sentiment de délivrance. Si obstiné qu’il fût, l’abbé Basile n’oserait pas contrevenir aux décisions de son frère aîné et surtout à celles de son employeur grâce auquel il se constituait peu à peu une fortune non négligeable. Pourtant, à deux reprises, durant le mois de septembre suivant, ils devaient se retrouver en présence.

La première fois, ce fut au couvent des filles de la Miséricorde qui venaient de s’installer rue du Vieux-Colombier où Isabelle s’était rendue accompagnée de Mme de Brienne. Elles s’étaient présentées au parloir et conversaient avec la mère supérieure quand Mme Fouquet, très amie de la religieuse, entra suivie de l’abbé Basile, tout confit sous une apparence plus ecclésiastique que de coutume. Comme ils venaient droit sur les trois femmes, Isabelle se leva si brusquement qu’elle renversa sa chaise. Aussitôt, elle plongea dans une révérence pleine de respect :

— Veuillez m’accorder excuses, révérende mère, pria-t-elle assez haut pour que les conversations s’arrêtent, mais je ne saurais supporter la vue de cet homme !

— Ma fille, dit doucement la supérieure, songez que vous êtes chrétienne et que vous devez tout mettre au pied du crucifix !

— Je sais, révérende mère mais, là, la coupe déborde ! J’en suis incapable ! Pardonnez-moi !

Et elle s’enfuit tenant son mouchoir devant son visage. Elle était devenue si pâle que son amie, craignant qu’elle ne s’évanouisse, la suivit précipitamment et, en arrivant dans la cour, prit son bras pour l’aider à monter en voiture.

Une seconde fois, dans ce même mois de septembre, elle le rencontra à la foire Saint-Laurent où elle se promenait en compagnie de Monsieur, Mademoiselle et la Princesse Palatine3. Soudain, elle sentit le poids d’un regard insistant, se retourna et le vit à quelques pas d’elle.

— Puis-je demander à Votre Altesse la permission de me masquer ? dit-elle à Monsieur. Il se trouve ici une personne qui me fait horreur !

— Qui donc ? s’étonna le prince en cherchant le face-à-main d’or pendu sur sa poitrine.

— Oh, c’est cet insupportable abbé Fouquet ! s’exclama Mademoiselle. Je crois bien que je vais vous imiter, duchesse !

La Palatine ne pouvait faire moins qu’emboîter le pas, les trois masques s’appliquèrent en même temps. L’abbé baissa la tête et se perdit dans la foule.

Le soir venu, quand elle se mit devant son écritoire pour noter les événements de la journée, Mademoiselle écrivit :

« A dire le vrai, jamais femme n’a eu tant de raisons de haïr un homme que celle-là en avait… »

Cette fois, Isabelle pouvait avoir la certitude d’être débarrassée de son tourmenteur. Elle en avait eu la confirmation quand, rentrant à Mello en prévision des fêtes de Noël, elle retrouva Agathe que William Croft venait de ramener.

L’histoire, en effet, était d’une simplicité biblique. Ayant réussi à tromper la surveillance de ses gardes, la jeune femme, courant devant elle sans rien voir ni entendre, était tombée droit dans les bras de l’Anglais qui sortait d’un magasin de sellerie où il venait de passer commande. En dépit du discours haché de la malheureuse, il eut vite compris de quoi il retournait, la fourra dans sa voiture et la reconduisit au grand trot chez lui où il la confia à Mrs Longwood, sa housekeeper, en lui recommandant de la cacher jusqu’à nouvel ordre tandis que lui-même et Digby partaient à la recherche de la duchesse…

Autrement dit retournaient à Paris où ils ne tardèrent pas à apprendre la confiscation d’Isabelle par l’abbé Fouquet. Ce n’était pas difficile : c’était le potin à la mode que les salons se repassaient avec gourmandise. La libération de la jeune femme après trois semaines de détention et surtout sa mauvaise santé et son désir de faire retraite à Notre-Dame-la-Royale firent taire toutes les mauvaises langues. D’autant que la Reine elle-même donna l’exemple en demandant que l’on prie pour la paix du cœur et le retour à la santé de Mme de Châtillon à qui l’on pouvait seulement reprocher d’être trop fidèle à ses amis…

Croft lui rapporta ces nouvelles encourageantes.

Dans son cher Mello, Isabelle vécut quelques mois de paix absolue auprès de son fils, de sa mère qui était plus souvent avec elle qu’à Précy, de sa sœur qui se déplaça de Valençay en dépit d’un début de grossesse qui ne semblait pas d’ailleurs la tourmenter outre mesure. Peut-être parce que l’habitude lui venait.

Elle reçut aussi plusieurs lettres de Condé dont la tendresse la réchauffait mais l’atmosphère qui s’en dégageait la mettait au supplice car à présent le duel était engagé entre le Prince et Turenne que le Roi avait nommé maréchal général, ce qui lui donnait le pas sur tous les autres maréchaux… Avec des fortunes diverses le sang des Français de Turenne coulait confondu à celui des Espagnols de Condé, et Isabelle s’en désespérait…

Moins encore que du terrible coup qui la frappa à l’automne 1657 : son petit Louis-Gaspard mourait d’une chute de cheval. Il s’éteignit dans ses bras, ne laissant à sa mère ravagée de douleur que le déchirant privilège de lui fermer les yeux…

1 Philippe le Bel.

2 La décapitation était réservée aux nobles.

3 Il ne s’agit pas de la fameuse Liselotte, belle-sœur de Louis XIV, mais d’Anne de Gonzague de Nevers, sœur de la reine de Pologne mariée à un premier Palatin.

Deuxième partie

PRESQUE REINE !

7

La paix… ou à peu de choses près

La mort si brutale de son fils crucifia Isabelle. Pendant des jours, elle resta enfermée dans sa chambre, dans une semi-obscurité, regardant sans les voir les flammes danser dans la cheminée. Elle mangeait à peine, dormait mal, allait chaque jour s’affaiblissant sous le regard désolé de sa mère et de Mme de Brienne qui ne la quittaient pas. Seul le courrier qu’elle recevait de Bruxelles la rattachait à la vie.

Singulièrement certaine lettre mêlée à celles de Condé : Mme de Longueville lui offrait des condoléances mais, surtout, elle lui demandait pardon…

Cela était si peu dans les manières de l’altière duchesse qu’Isabelle dut s’y reprendre à trois fois pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas… Mais non ! Elle avait laissé entendre qu’elle souhaitait avant tout faire sa paix avec Dieu. Pensant, avec juste raison, que le chemin de cette paix passait par celle dont elle avait voulu la perte avec tant d’obstination… au point d’avoir tenté de l’envoyer à l’échafaud.

Même si elle crut deviner sous ces lignes de repentance la volonté d’un frère trop aimé, Isabelle en pleura de soulagement. Au moins, elle n’aurait plus à se battre sur ce front-là ! Un instant elle examina même l’idée de suivre une route semblable à celle où s’engageait son ex-ennemie. Ce devait être bon de mettre bas les armes au pied de l’autel.

La Fronde s’achevait et, avec elle, la guerre des duchesses. Il suffisait maintenant de tourner le dos à la vie terrestre pour commencer à gravir le chemin du Ciel !… Ce fut la vie qui la rattrapa, la ramenant au combat pour de sordides questions de succession.

Louis-Gaspard ayant été le dernier duc de Châtillon, Isabelle pensait n’avoir à s’occuper de rien. Or, ce douloureux départ d’un petit garçon de sept ans ouvrait une succession à laquelle elle n’avait jamais pensé. Elle avait longtemps ignoré, parce que personne ne lui en avait parlé, que les frères Coligny avaient deux sœurs plus âgées et apparemment brouillées avec le reste de la famille : Henriette, comtesse de la Suze et –, plus importante ! – Anne, duchesse de Wurtemberg. Or, si elles ne s’étaient pas manifestées tant qu’avait vécu leur neveu, elles firent valoir leurs droits dès qu’il fut porté en terre. Autrement dit : elles réclamèrent la totalité de la succession en vertu du droit coutumier.