Mazarin fit une pause dans les négociations en expédiant son Roi, la Cour et ce qui s’ensuivait à Chambéry sous le prétexte d’un éventuel mariage entre le Roi et la sœur du duc de Savoie. Ce qui lui procurait au moins le temps de souffler et de chapitrer son jeune souverain. En effet, si Louis refusait si farouchement d’épouser l’infante, c’était parce qu’il était aux prises avec sa première passion : il aimait follement l’une des nièces du Cardinal, la jolie Marie Mancini, « qui l’aimait tout autant », et il jurait qu’il n’épouserait qu’elle. Point final !
Côté Condé, le Roi se montrait tout aussi difficile à manier. Connaissant son génie militaire, il consentait à lui pardonner et lui rendre ce qu’il voudrait sauf… Chantilly ! Sa Majesté s’était prise d’amour pour le ravissant domaine où, comme son père Louis XIII, il aimait chasser, et qui lui semblait le cadre idéal pour tenir sa cour et vivre ses belles amours avec la brune Marie, sans compter d’élever dans ce lieu enchanteur les nombreux enfants qu’elle lui donnerait1.
— C’est drôle comme l’Histoire peut parfois recommencer mais à l’envers ! observa Mme de Brienne qui venait souvent séjourner à Mello. Pour nous qui avons connu l’affaire du cardinal de Richelieu obligeant Condé – alors l’adoration des peuples ! – à épouser sa nièce, il est assez plaisant de voir le Roi supplier son ministre de lui donner la sienne en mariage !
— Qui va l’emporter à votre avis ? demanda Isabelle.
— Certainement pas l’amour ! Outre que Sa Majesté a déjà été l’amant d’une autre nièce du Cardinal, Olympe Mancini, devenue comtesse de Soissons, Mazarin dépense trop d’énergie à remettre le royaume en marche pour laisser un gamin de vingt ans piétiner la délicate dentelle de son grand dessein : la France et l’Espagne unies par le mariage !
Elle avait pleinement raison mais Mazarin jugea plus prudent de réintégrer d’abord le « dieu de la guerre ». Il fit entendre raison au Roi en lui exposant qu’étant justement le maître absolu, il lui suffirait de décider de partir chasser à Chantilly pour que Condé, en fidèle sujet qu’il allait jurer d’être, lui ouvre les portes en grand sans qu’il ait même l’obligation de dire merci et que le devoir du Prince serait alors de se mettre à son service.
Cela réglé, Condé quitta enfin Bruxelles où il s’était inféodé à l’Espagne pendant sept ans et se mit en route pour la France en passant par la Champagne. En effet, la Cour alors itinérante avait quitté la Savoie pour rejoindre Saint-Jean-de-Luz et le rendez-vous était prévu à Aix-en-Provence. Mais même si elle était restée à Paris, Condé aurait fait un détour. De son côté Isabelle avait reçu un message lui demandant de finir l’année à Châtillon…
Depuis qu’elle n’était plus certaine d’y être vraiment chez elle, la duchesse aimait moins son austère château, lui préférant de beaucoup le cher Mello qui était bien à elle mais la pensée de revoir – enfin ! – celui qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer lui faisait chaud au cœur même si elle se demandait s’il serait ou non accompagné de sa désormais « affectionnée cousine » !
Pendant qu’elle se posait ces questions, Condé, lui, ne se pressait pas. Il goûtait à nouveau le plaisir des acclamations que le peuple ne ménageait pas à celui qui, pour une bonne moitié de la France, ne cesserait jamais d’être autre que « le vainqueur de Rocroi ». Il y a comme cela dans l’Histoire des images qui ont la vie dure !
Parti en décembre ce fut seulement le 8 janvier que l’on atteignit Coulommiers afin d’y reconstituer tant bien que mal le ménage Longueville. Le vieux duc, plutôt grincheux à l’arrivée de sa belle épouse, ne put que s’incliner respectueusement devant celle qui se présentait, non comme une pécheresse repentie mais comme une sorte de mère de l’Eglise, affichant une grande âme aux aspirations célestes. C’est tout juste si elle ne lui proposa pas de recevoir ensemble, main dans la main, la Sainte Communion !
Enfin, tranquille de ce côté-là, Condé dirigea son cortège vers Châtillon en distribuant quelques recommandations : la duchesse s’apprêtait à les accueillir en personne et il s’agissait de lui faire oublier de quelle manière plus qu’inamicale on avait traité les gens du pays après la bataille de Bléneau.
Le 12 on fut à destination et, tandis que l’escorte se répandait dans la ville, Condé accompagné d’un seul officier montait au château où Isabelle les reçut au seuil par une révérence aussitôt suivie d’un cri de joie en reconnaissant l’officier :
— François !
Déjà elle était dans ses bras, riant et pleurant à la fois, bouleversée de bonheur de le voir là, bien vivant, alors qu’elle le croyait au fond de quelque geôle attendant son jugement et son inévitable condamnation.
— Oh, Monseigneur ! Quelle belle joie vous me donnez ! Comment avez-vous fait ?
— Si j’avais su que tu me volerais l’accueil que j’étais en droit d’attendre, je t’aurais laissé dans la cour ! bougonna Condé. Et maintenant cède-moi la place !
— Pardonnez-moi, Monseigneur, mais j’avais une telle crainte de ne plus le revoir ! Vous avez réussi un vrai miracle !
— Mais non ! Vous n’imaginiez pas, j’espère, qu’ayant négocié mon retour, je laisserais derrière moi mon meilleur capitaine ? D’ailleurs, en l’occurrence, je n’ai pas eu à me fatiguer ! Il était prisonnier de Turenne sous lequel il a combattu, souvenez-vous, et qui sait sa valeur. Il me l’a renvoyé sans attendre que je le lui demande !
— Le maréchal est vraiment un brave homme ! soupira Isabelle. Il faudra que je le remercie…
— Cela peut attendre ! Moi, pas !… Disparais, Bouteville, et va t’occuper des hommes ! Chez ta sœur tu es presque chez toi ! On se reverra au souper ! Quant à vous, ma mie…
Il n’en dit pas plus, l’enleva dans ses bras et se dirigea vers l’escalier en courant, ne s’arrêtant que dans la chambre d’Isabelle où il la déposa sur le lit avant de se redresser, se dépouilla de ses vêtements tandis qu’elle en faisait autant et se précipita sur elle :
— Dieu que tu es belle ! Plus belle encore que dans mon souvenir… Je ne vois pas ce que j’ai dit de si drôle ?
Elle venait, en effet, d’éclater de rire.
— Mon cher amour, expliqua-t-elle. Depuis aussi longtemps qu’il m’en souvienne vous m’avez dit exactement la même chose à chacun de nos revoirs !
— Vous devriez être satisfaite au lieu de rire bêtement ! Cela signifie seulement que le temps n’a pas de prise sur vous…
Mais il n’était plus en état de discourir et l’on n’entendit plus dans la chambre que le crépitement du feu dans la cheminée et les protestations du lit malmené par une charge furieuse… Quant à Isabelle, elle ronronnait…
On ne resta que quarante-huit heures à Châtillon où la duchesse traita ses « invités » avec la grâce souriante dont elle ne se départait jamais… ou si rarement. Les heures les plus obscures de la nuit étaient réservées à Condé mais, de jour, Isabelle veillait à ce que les revenants et leur double escorte – celle composée des anciens rebelles et celle envoyée par le Cardinal pour assurer leur sécurité – emportent un souvenir charmé de leur brève halte chez « Circé ». A commencer par François qui, lui, serait volontiers resté étant peu tenté d’affronter les rites de la repentance.
— J’aimerais tellement mieux séjourner auprès de vous à vivre comme autrefois dans notre Précy, chassant les jours de beau temps en solitaire, un chien sur les talons et passer les soirées les pieds sur les chenets à bavarder avec vous de tout et de rien, à lire ou à jouer aux échecs les jours de pluie…