Выбрать главу

— A quel titre, mon Dieu ? Ce serait de la méchanceté pure !

— De la rancune plutôt… Vous n’étiez pas comme moi proche de la Reine, de ses colères et de ses humiliations dont son fils prenait une part non négligeable. Il sera un souverain qu’il faudra redouter et je m’étonne encore, si vous voulez le fond de ma pensée, que Monsieur le Prince s’en tire à si bon compte  !

— Peut-être mais en ce cas il serait normal que mon frère en profite ! Il lui a sacrifié sa fortune, son avenir, jusqu’à sa réputation et même son honneur qu’il eût volontiers laissé avec sa tête sur le billot ! Il faut que je lui rende ce qu’il a perdu. Il est temps que je m’en occupe !

Et là-dessus elle commanda ses chevaux et fila droit sur Chantilly où elle trouva Condé un chapeau de paille sur la tête, environné d’une nuée de jardiniers et une longue canne à la main dont il se servait pour indiquer tel ou tel point de ses jardins. L’entrée en scène d’Isabelle parut le ravir et il s’avança vivement vers le carrosse pour l’aider à descendre :

— Ma chère Isabelle, s’écria-t-il en levant les bras au ciel. Mais quelle heureuse idée de venir me surprendre ! Nous dînerons ensemble et puis…

— … Et puis rien ! Je suis venue vous parler d’une affaire grave… et qui me tient à cœur !

Il fit une affreuse grimace :

— Oh non ! Pas d’affaire grave ! Pas de soucis quand il fait si beau, que l’air est rempli de senteurs si suaves… et que vous êtes si belle !

— Laissez-moi de côté et respirez autant que vous voudrez. C’est de mon frère dont je veux vous entretenir. Il n’est pas dans les parages, au moins ?

— Non. Il est parti chasser comme cela lui arrive souvent ces temps-ci. On ne le reverra pas avant ce soir !

— Tant mieux ! Sa présence me gênerait pour ce que j’ai à dire.

— Bon ! Allons nous asseoir sous cette tonnelle que vous voyez là. Le temps humide que nous avons aujourd’hui me rappelle d’anciennes blessures !

Elle lui jeta un regard surpris. Il parlait tel un vieillard alors qu’il n’avait pas quarante ans ! Il est vrai qu’à plusieurs reprises sa santé avait donné de lourdes inquiétudes à ses amis… à commencer par elle-même. A moins qu’il ne fût dans l’une de ces périodes où il désirait qu’on le plaigne ! Des sièges de jardin étaient disposés sous ladite tonnelle et l’on s’y installa. Condé eut un soupir de soulagement, comme s’il avait couru le marathon.

— Alors, ma belle ! Que voulez-vous savoir ?

— Ce que vous avez l’intention de faire  de François.

— Comment l’entendez-vous ?

— Exactement comme je le dis ! Et pardon si la vérité vous déplaît ! François n’a pas trente ans et sur ces trente ans il vous en a consacré au moins quinze…

— Ah, c’est mon meilleur élève et j’en suis fier !

— Du train où vous y allez cela ne devrait pas durer ! Vous voilà non seulement pardonné mais encensé, couvert de bienfaits et de nouveau en possession de vos biens et fortune… Lui, il n’est autorisé qu’à chasser le lapin ou la perdrix sur vos terres ! Brillant avenir !

— Vous venez de le dire vous-même, il n’a pas trente ans, grogna-t-il en reniflant. Il a toute la vie pour se faire une carrière, voyons !

— Parce qu’il doit se la construire seul maintenant ? Voilà des années qu’il vous a mis au pinacle ! Il a accepté le pire pour vous suivre : l’exil, la trahison – car vous l’avez entraîné à être traître à sa patrie –, condamné par contumace. Il vous aurait suivi au supplice en chantant, heureux de mourir avec vous ! Ce qui n’aurait pas manqué si Richelieu avait encore été de ce monde ! N’importe, contre celui-là, vous n’auriez pas pesé lourd, tout prince de Condé que vous soyez… en admettant que vous ayez eu l’audace d’entrer en révolte contre lui. Mazarin, lui, est d’un autre bois. J’en sais quelque chose moi qui me suis quasiment battue avec lui…

Le ton montait. Condé tenta de l’apaiser :

— Mais voyons, Isabelle, quelle mouche vous pique ? Vous m’arrivez, sans crier gare, fumante d’indignation… et je n’ai pas encore compris pourquoi.

— Si vous n’étiez pas le fils de votre merveilleuse mère, je dirais que vous êtes idiot… ou que vous faites semblant ! Alors je répète ma question : qu’avez-vous l’intention de faire de François Henri de Montmorency-Bouteville ? Votre jardinier en chef ?

— Nullement… Attendez seulement que revienne la saison des combats  !

— Contre qui ? Le Roi à l’heure que nous vivons est en train d’épouser son infante ; l’Angleterre nous est attachée par des liens d’amitié que je crois sincères ; l’Empereur a d’autres chats à fouetter ; les princes allemands nous sont plus ou moins alliés. Voulez-vous m’expliquer contre qui nous allons en découdre ? Le Grand Turc ?

— Il est vrai que la période serait plutôt à l’apaisement…

Puis, voyant un éclair annonciateur d’orage s’allumer dans les yeux sombres de sa maîtresse, il tendit la main pour prendre la sienne :

— Si au lieu de me chercher querelle quand j’éprouve toujours tant de bonheur à être auprès de vous, vous me disiez clairement ce que vous voulez ?

— Que mon frère ait autre chose à s’occuper que courir sus à votre gibier, que c’est un Montmorency, le dernier et le meilleur de tous très certainement et qu’il lui faut un état digne de lui !

— Ah, si j’étais le Roi il serait maréchal de France à l’instant !

— Décidément vous ne voulez pas comprendre. Dois-je vous rappeler quelles ont été vos bontés pour moi ? Si je suis duchesse de Châtillon c’est bien grâce à vous… ou bien avez-vous oublié l’aventure quasi burlesque de mon mariage ?

Condé éclata de rire :

— Vous ne pouviez pas le dire plus tôt ? Que de circonvolutions, Seigneur, pour que je comprenne que vous voulez marier votre cher petit frère ! C’est ça, non ?

— Oui ! Et pas avec n’importe qui !

— Cela va de soi. Malheureusement il est difficile… même s’il est loin d’être beau !…

— Vous n’êtes pas Adonis vous non plus ! Mais vous avez du charme, comme lui et j’en sais quelque chose. A l’exception de mon mariage voilà des années que, par personne interposée, vous me pourrissez l’existence, Monseigneur. Mais laissons la beauté de côté. Il devrait être sensible à un grand état !

— J’ai peut-être une idée…

— Vrai ? Laquelle ? Dites-moi vite ! s’écria Isabelle, soudain surexcitée au point d’en battre les mains comme une petite fille.

— Ma foi non ! Ça vous apprendra à être polie !

— Moi, j’ai été impolie ?

— Vous croyez que c’est agréable de s’entendre dire qu’on est laid ? Et par la femme qui prétend vous aimer en plus ?

— Je ne prétends rien ! Je vous aime… et maintenant dites-moi !…

— Que nenni ! Vous pourriez être déçue si l’affaire ne marchait pas. Donc, vous attendrez… et moi aussi !

— Je déteste attendre, bougonna-t-elle.

— Moi itou, ma chère… à moins que nous ne patientions de concert.

Il avait rapproché son siège, prenait sa main qu’il portait à ses lèvres d’une façon significative et Isabelle ne s’y trompa pas. Elle éclata de rire :

— Voyons, Monseigneur. Pas ici où mon frère pourrait nous surprendre ! Venez plutôt souper avec moi ce soir !

— Vous êtes à Mello, j’espère ?

— Naturellement. Vous avez peur de Paris maintenant ?

— Par cette chaleur ce doit être infernal ! D’ailleurs, demain je pars pour Fontainebleau où la Cour, retour de Saint-Jean-de-Luz, va passer quelques jours avant la joyeuse entrée de la nouvelle Reine à Paris. Vous y allez aussi, je suppose ?