N’ayant pas été invitée – ce qui l’agaçait passablement ! – Isabelle releva son joli nez pour cacher une grimace :
— Mon Dieu, non ! J’aurai l’honneur d’être présentée en même temps que Paris. Je dois prendre place à la tribune de la Reine mère que l’on va installer aux balcons de l’hôtel de Beauvais, rue Saint-Antoine.
— Ce bon Mazarin ne doit pas avoir envie de vous voir de sitôt ! Vous êtes une sorte de reproche vivant après ce que lui et son maître espion vous ont fait endurer !
— Je n’ai pas encore renoncé à lui rendre la monnaie de sa pièce !
— Inutile de vous hâter ! Sa santé n’est pas des meilleures à ce que l’on dit. Ses interminables palabres en Pays basque avec don Luis de Haro l’auraient épuisé… Je vous en écrirai des nouvelles de Fontainebleau quand je l’aurai revu… A ce soir ?
Si Condé pensait garder pour lui seul l’idée qui lui était venue touchant l’avenir de François, c’est qu’il connaissait mal Isabelle. N’ignorant pas le côté brouillon de son Prince, elle voulut s’assurer de l’intérêt de la question et se marchanda tel un marchand de tapis, fermement décidée à ne s’abandonner qu’une fois renseignée.
Autant le dire tout de suite, Condé fut, cette nuit-là, comblé d’amour. C’est que ladite idée était non seulement bonne mais géniale. Elle tendait à changer le comte de Bouteville en duc, pair et même prince !
Appartenant à la puissante famille de Clermont, le duché-pairie de Piney-Luxembourg avait pour héritière Marie-Louise de Clermont-Tonnerre, demoiselle de Brantes. Or, celle-ci avait pris le voile et ne pouvait donc avoir accès à l’héritage qui restait en souffrance.
— Il faudrait, expliqua Condé, trouver un moyen de le transmettre à sa sœur cadette Madeleine-Charlotte, unique héritière après elle.
— Puisqu’elle est nonne, cela ne devrait pas causer d’énormes difficultés ? Au fond d’un couvent, elle doit se soucier comme d’une guigne d’un duché. Alors pourquoi ne pas l’abandonner à sa sœur ?
— Parce qu’elle la déteste et ne veut pas la voir se pavaner à la Cour tandis qu’elle-même débite des patenôtres à longueur de journée…
— Qui l’y oblige ?
— Elle est laide et elle le sait ! Oh, elle n’a pas manqué de prétendants mais elle n’était pas sûre de savoir à quoi s’adressait leur empressement !…
— Et la sœur est comment ? Aussi repoussante ?
— Nettement moins ! S’il l’épousait, Bouteville ne serait pas obligé de lui mettre un oreiller sur la figure avant de lui présenter ses hommages… Lui non plus n’est pas un Apollon ! Et puis, un duché, cela mérite un léger effort !
— Entièrement d’accord ! Reste à savoir en usant de quelle magie vous pensez convaincre la nonne en question !
— J’ai une ou deux idées dont nous parlerons en temps voulu. Mais je dois, au préalable, écrire au pape ! Il faut une dispense spéciale pour relever Marie-Louise de ses vœux perpétuels…
— Qui vous dit qu’une fois libérée elle ne voudra pas épouser elle-même mon François ?
— Parce qu’on lui offrira beaucoup mieux…
Isabelle sauta au plafond :
— Beaucoup mieux ? Je comprends de moins en moins !
— Dieu, que vous êtes agaçante et tâchez de m’écouter cinq minutes sans exploser ! Une fois défroquée, on pourrait lui offrir une place de dame du palais de la Reine, les titre et rang de princesse et la faveur d’un tabouret à la Cour…
— … et elle se hâtera de se trouver un époux plus riche que mon frère !
— Je pensais vous avoir demandé cinq minutes ! clama Condé, furieux. Laissez-moi aller jusqu’au bout de ma phrase ! Elle n’obtiendra cet établissement mirifique que si elle accepte de devenir chanoinesse du chapitre de Poussay. Ce qui interdit le mariage ! Et maintenant que pensez-vous de mon idée ?
— Qu’exposée de la sorte c’est merveilleux à entendre. Parviendrez-vous seulement à la réaliser. Mais… le pape ?
— Je lui écris dès demain !
— Pourquoi pas dès ce soir ?
— Parce que ce soir, j’estime avoir mérité un début de récompense ! Et je vous rappelle que mon courrier parti, je dois rejoindre la Cour à Fontainebleau afin de démontrer quel bon courtisan je suis en train de devenir !
Il l’avait extirpée de son siège pour la prendre dans ses bras. Entre deux baisers elle protesta :
— N’exagérez pas tout de même ! Ce terme de courtisan vous va si mal !
— Peut-être mais ce n’est pas le moment de jouer les difficiles. N’oubliez pas que notre bel échafaudage s’effondrerait si notre jeune Roi venait à s’y opposer ! Qui veut la fin veut les moyens mais je ne vous cacherai pas mon urgent besoin de vos encouragements.
Isabelle ne les lui ménagea pas…
Le jeudi 26 août 1660, le nouveau couple qui avait quitté Fontainebleau la veille et couché à Vincennes prit place sur un double trône abrité de soie fleurdelysée à crépines d’or que l’on avait érigé sur un vaste espace herbu et un peu en élévation, situé à mi-chemin environ du château et de la porte Saint-Antoine2. Tous deux vêtus avec magnificence mais, pour ce jour où Paris allait découvrir sa Reine, Louis avait volontairement atténué son propre éclat pour laisser la vedette à Marie-Thérèse.
Celle-ci portait une robe de satin noir mais tellement enrichie de perles et de pierres précieuses que l’on n’en voyait pratiquement plus la couleur. Des diamants scintillaient sur sa gorge naissante, à ses oreilles, ses bras, ses petites mains et sur sa chevelure coiffée assez lâche pour que l’on pût admirer sa blondeur dorée, la couronne royale étincelait de mille feux dans le soleil du matin. Louis se contentait d’un habit entièrement brodé d’argent et d’un seul diamant à son chapeau sous un piquet d’aigrette et de plumes blanches.
Ils reçurent alors l’hommage des corps constitués puis subirent avec patience le discours du chancelier Séguier, drapé d’or de la tête aux pieds et qui croyait dur comme fer que ce jour était aussi celui de son triomphe. Ce n’était plus un secret pour personne que Mazarin s’approchait de sa fin et Séguier estimait que le rôle de Premier ministre lui revenait de droit. Enfin le cortège qui devait ramener les souverains au Louvre put s’ébranler et, tandis que Marie-Thérèse prenait place dans un « char plus beau que celui que l’on donne faussement au soleil », son époux enfourchait avec une visible satisfaction un magnifique cheval bai-brun qu’il fit voltiger élégamment sous les acclamations.
A la suite du Roi, escorté du grand chambellan, du capitaine des gardes du corps et de vingt-quatre archers de la garde écossaise, Monsieur, frère du Roi, marchait puis, derrière lui, les trois princes du sang : Condé, son fils le jeune duc d’Enghien, et son frère le prince de Conti… marié depuis peu à une nièce de Mazarin.
Comme elle le supposait, Isabelle, sur l’invitation d’Anne d’Autriche, prit place dans la tribune que composaient, sur la rue Saint-Antoine, les balcons tendus de velours pourpre et d’or de l’hôtel de Beauvais. Les plus grandes dames, princesses et duchesses, s’y tenaient autour de deux balcons centraux où la Reine mère trônait auprès de la Reine Henriette-Marie d’Angleterre et de sa fille, la petite princesse Henriette. L’autre était réservé à Mazarin, dont les moires cardinalices et les diamants accentuaient le teint cadavérique, installé là en compagnie de don Luis de Haro et de plusieurs ambassadeurs.
En venant saluer les Reines, Isabelle était légèrement inquiète. C’était la première fois qu’elle revoyait Anne d’Autriche depuis les troubles mais celle-ci lui réserva l’accueil le plus charmant :