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— Soyez la très bienvenue, duchesse ! Je n’ignore pas les peines infinies que vous avez prises pour ramener la paix en France ainsi que le plus valeureux de ses soldats à la position qu’il n’aurait jamais dû quitter ! Nous vous reverrons toujours avec plaisir !

— Heureusement, ajouta Henriette-Marie, que vous ne vous êtes pas laissé entraîner en Angleterre par les folies de mon fils quand il n’était qu’un prince errant. Vos belles qualités d’ambassadrice eussent été perdues dans nos brumes anglaises.

— Outre que je n’étais pas digne d’un tel honneur, Votre Majesté, il me semble qu’il ne me sera jamais possible de renoncer à la France et j’admire profondément Votre Majesté d’avoir porté avec tant de grandeur la couronne d’Angleterre. Il est vrai qu’être la fille de notre regretté Roi Henri le quatrième l’y prédisposait.

Elle s’en fut ensuite rejoindre à l’un des balcons la duchesse de Navailles, la duchesse de Créqui et Mme de Motteville qui, pour n’être pas duchesse, devait à son rôle de confidente de la Reine mère d’être considérée au moins comme telle. Isabelle avait d’ailleurs toujours eu d’excellentes relations avec elle et n’hésita pas à poser la question qui la tracassait :

— Je ne vois ni ma cousine de Longueville ni l’épouse de Monsieur le Prince ? N’ont-elles pas été conviées ?

— Vous devriez le savoir mieux que moi ! En fait, le bruit court que Mme de Condé relève une fois de plus d’une mauvaise couche et que la duchesse de Longueville qui fait retraite chez les dames du Carmel ne se juge pas encore assez forte pour replonger dans les miasmes de la Cour. Vous devez savoir mieux que quiconque qu’elle changerait volontiers son célèbre casque à plumes blanches contre une auréole ?

Isabelle voulait seulement connaître la version officielle sachant grâce à Condé lui-même qu’Anne-Geneviève, si elle condescendait à retourner à la Cour, entendait y être invitée seule et qu’en ce qui concernait Claire-Clémence, Condé lui avait interdit formellement de se rendre à l’invitation royale.

Depuis plusieurs mois, elle développait une fâcheuse tendance à vanter ses exploits bordelais en traînant Mazarin dans la boue, ce qui n’était vraiment plus au goût du jour. Surtout s’agissant d’un homme dont les jours étaient désormais comptés !

Le Cardinal ne s’illusionnait guère sur cette cruelle réalité et ses serviteurs pouvaient le voir, quand il était seul chez lui, le soir, parcourir lentement, une canne à la main, l’une ou l’autre des différentes pièces de son palais-musée, s’arrêtant devant telle statue grecque, tel tableau portant une signature illustre, telle pièce d’orfèvrerie, ou tel écrin de joyaux – les diamants en particulier qui le fascinaient et dont il possédait quelques- uns des plus beaux du monde. Ceux-là, il les caressait indéfiniment et l’on pouvait alors l’entendre soupirer à fendre l’âme. Il leur disait adieu sans cacher le déchirement intérieur qu’il en éprouvait.

— Toutes les splendeurs de l’univers ne sont rien auprès de celles du Paradis ! glissait son confesseur dans l’espoir de remonter un peu ce moral déprimé, mais le malade n’en soupirait que plus fort :

— Vous avez sans doute raison, mon père, mais je ne suis pas certain d’être invité à siéger parmi les élus ! répondait-il.

Et de soupirer de plus belle…

Aussi, sentant l’heure fatale approcher, avait-il décidé de donner dans son palais une fête qu’il voulait mémorable. Ensuite, il s’en irait attendre le plaisir de Dieu dans son appartement du sévère château de Vincennes. Le prétexte en était le dernier succès diplomatique du Cardinal : il venait de conclure le prochain mariage du jeune Monsieur, frère du Roi, avec la jeune princesse Henriette d’Angleterre où régnait à présent l’aimable Charles II, cousin germain de Louis XIV, garantissant ainsi la paix au nord-ouest comme le mariage espagnol la garantissait au sud.

Cette ultime fête fut une réussite en tout point. Les comédiens de Monsieur menés par Molière qui était aussi leur auteur et le premier des interprètes y présentèrent deux comédies : L’Etourdi et Les Précieuses ridicules qui remportèrent un vif succès. Comme d’ailleurs le souper somptueux et le bal qui suivirent…

Ce soir-là, Anne d’Autriche présenta elle-même Isabelle à sa belle-fille :

— Je ne saurai trop vous conseiller d’appeler Mme de Châtillon lorsque vous vous sentez gagnée par la mélancolie, lui dit-elle. Je la crois capable de distraire la plus rechignée des douairières ! En outre elle joue de la guitare !

— Bien moins que mon frère, madame, osa répondre Isabelle. Il dispose de plus de temps qu’il ne lui en faut pour cultiver ce talent…

— Bah ! Un peu de pénitence ne lui fera pas de mal ! fit la Reine avec un demi-sourire. Il est bon, pour la paix des royaumes, que les épées restent sagement au fourreau. Que ne se marie-t-il ? Cela l’occuperait…

— Encore faut-il trouver l’âme sœur, soupira Isabelle qui avait encore dans les oreilles la réaction furieuse de François quand Condé s’était décidé à lui exposer son projet.

A la surprise du Prince, le jeune homme avait littéralement explosé :

— Je suis laid et je n’ai pas le sou ! Elle doit être singulièrement disgraciée celle qui, apportant fortune et titre, se contenterait de moi !

— Vos maîtresses ne semblent pas vous trouver déplaisant, avait protesté Condé, mécontent.

— L’odeur de la poudre sans doute ! Les belles montrent toujours une attirance pour le guerrier qui vient à elles encore tout fumant de la fureur des combats  ! Rien à voir avec les hommages d’un gentilhomme campagnard fleurant le fumier et le crottin de cheval !…

— Depuis quand un Montmorency n’est-il plus qu’un simple gentilhomme ? s’était indignée Isabelle. Donnez-vous au moins la peine de rencontrer la demoiselle en question !

— Je n’en vois point l’utilité tant que la moniale qui détient les titres n’y aura pas renoncé ! Et je ne vois vraiment pas pourquoi elle le ferait !…

On en était resté là…

1 N’oublions pas qu’à cette époque Versailles n’était encore qu’un rendez-vous de chasse boueux auquel le jeune Roi ne pensait jamais !

2 Aujourd’hui place de la Nation.

8

La confidente

Que cela lui plût ou non, la Cour alla passer la fin de l’année à Vincennes et cela pour une bonne raison : Mazarin déclinait de jour en jour et avait décidé qu’il y mourrait. Le Roi qui le surveillait comme du lait sur le feu suivit et tous les autres après lui. Condé avait émigré à Saint-Maur pour ne pas perdre une miette de l’agonie de son ennemi juré… et être auprès du Roi qui cachait mal son impatience. Le règne – le vrai ! – à portée de sa main ! Enfin !

Par égard pour sa mère, qui ne cachait pas sa tristesse, il s’efforçait de dissimuler cette hâte en s’occupant du mariage franco-anglais décidé à Noël. La Reine Henriette-Marie et sa fille reparties pour Londres devaient revenir au printemps. Enfermée dans son hôtel parisien en compagnie de Mme de Brienne, Isabelle attendait les retours de Bastille que Condé, qui l’appréciait de plus en plus, chargeait de ses missions les plus délicates. C’est ainsi qu’après l’avoir envoyé à Rome il se faisait escorter par lui dans deux ou trois voyages dans l’est de la France. La fin du dernier l’amena chez Isabelle rayonnant de satisfaction :

— Voilà une affaire rondement menée ! J’ai la dispense papale et l’accord de notre si intéressante religieuse. J’avoue volontiers que je l’ai eu sans peine : la malheureuse s’ennuyait à périr dans ce couvent où elle était entrée sur je ne sais quel coup de tête. S’installer à la Cour avec rang de princesse l’enchante et elle est prête à céder ses droits à sa sœur…