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— Et la sœur ?

— Elle demande à voir !

— A voir quoi ?

— Son prétendant, voyons !

— Le nom de Montmorency ne lui suffit pas ? explosa Isabelle, furieuse. Elle veut voir s’il a toutes ses dents comme s’il s’agissait d’acheter un cheval ?…

— Seigneur ! Moi qui voulais vous proposer d’accompagner François à Ligny ! Mais si vous le prenez ainsi, je vais continuer mon chemin de croix et l’emmener moi-même ! D’ailleurs vous êtes beaucoup trop belle pour lui plaire et avec votre fichu caractère nous allons au drame !

— Oh, cessez de proférer des sottises et répondez-moi ! Comment est-elle ?

— Pas mal ! Blonde, paisible et une expression… légèrement bovine… mais le château, lui, est superbe ! On ne peut plus ducal ! Il n’y manque ni les tours, ni les mâchicoulis, ni de vastes logis magnifiquement meublés ! François, lui, devrait être content  ! Il aurait du mal à trouver mieux. Votre Châtillon est une taupinière en comparaison.

— Où est-ce au juste ?

— Dans le pays de Bar ! Les grandes villes les plus proches sont Nancy à environ seize lieues1, Metz à une vingtaine, Troyes à vingt-six et enfin Reims à une trentaine, vous autres filles, cela ne doit pas vous dire grand-chose ! conclut-il avec le sourire de faune qui donnait toujours à Isabelle l’envie de le battre…

Elle s’attendait à ce qu’il vienne la prendre dans ses bras mais il n’en fit rien :

— A la réflexion, j’y vais seul avec François et vous verrez ce que l’on vous ramènera !

Et sur ces fortes paroles, il partit au pas de charge !

On était alors le 6 mars. Or, à Vincennes, dans la nuit du 8 au 9, vers quatre heures du matin, le Roi dormait auprès de la Reine. Il fut réveillé par Pierrette Dufour, une des femmes de chambre de Marie-Thérèse qu’il avait chargée de le prévenir au cas où le Cardinal irait « plus mal ». Celui-ci avait exhalé son dernier soupir entre deux et trois heures. Sans éveiller son épouse, Louis se leva, s’habilla rapidement et gagna la chambre mortuaire où il découvrit le maréchal de Gramont qu’il embrassa en pleurant :

— Nous avons, lui murmura-t-il, perdu un bon ami !

Il ordonna le deuil en noir comme s’il avait été un membre de sa famille, pleura beaucoup au contraire de sa mère qui, elle, n’avait plus de larmes, puis quelques heures plus tard regagnait Paris où le Conseil des ministres était prévu pour le lendemain.

Derrière lui, le château de Vincennes se vida, abandonnant le défunt à la solitude de ceux dont on n’a plus rien à craindre ni à espérer.

La nouvelle se répandit telle une traînée de poudre enflammée, mais surtout, celle, incroyable, inouïe, qui la suivit presque aussitôt !

A sept heures du matin, donc, le 10 mars, le Conseil se réunissait au Louvre dans la salle qui lui était habituelle. Ministres et secrétaires d’Etat, ils étaient sept autour du chancelier Séguier, plus important que jamais et qui du haut de sa grandeur lançait des regards ironiques au surintendant Nicolas Fouquet qui les dédaignait franchement. Elégant à son habitude, tiré à quatre épingles en dépit de l’heure matinale, Fouquet était cependant plus distant qu’à l’accoutumée. Il contemplait, à travers la fenêtre, la Seine couverte d’une brume qui ne permettait pas d’apercevoir la rive gauche.

Le Roi vint, vêtu de noir et chacun, après l’avoir salué, se dirigea vers son siège pour y prendre place mais Louis resta debout, ce qui obligea les autres à en faire autant. Il se tourna d’abord vers le chancelier, laissant peser sur lui un regard sous lequel Séguier perdit toute sa superbe. Un regard de maître, et quand sa voix s’éleva, le ton, lui aussi, était nouveau.

— Monsieur, lui dit-il, je vous ai fait assembler avec mes ministres et mes secrétaires d’Etat pour vous dire que, jusqu’à présent, j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par M. le Cardinal. Il est temps que je les gouverne moi-même. Vous m’aiderez de vos conseils quand je vous les demanderai. Hors le courant du Sceau auquel je ne prétends rien changer, je vous prie et je vous ordonne de ne rien sceller en commandement que par mes ordres et sans m’en avoir parlé à moins qu’un secrétaire d’Etat ne vous les porte de ma part ! Et vous, mes secrétaires d’Etat, je vous ordonne de ne rien signer, pas même une sauvegarde ou un passeport, sans mon commandement…

Il ajouta quelques ordres particuliers puis repartit, laissant le Conseil sous le choc. Séguier rentra chez lui et s’en fut se coucher pour se remettre. Quant à Fouquet il courut droit chez la Reine mère qui l’écouta en riant et haussa les épaules :

— Il veut faire le capable mais il aime trop les plaisirs ! Cette belle ardeur au travail ne durera pas…

Elle allait durer cinquante-quatre ans. Accablée de soucis, Anne d’Autriche n’avait pas vu grandir son fils et elle ignorait qu’il devait être un véritable bourreau de travail, que, de son siècle il ferait le Grand Siècle et prendrait pour emblème le soleil. De même, ils étaient peu nombreux ceux qui, à l’instar de la duchesse de Châtillon, avaient su déceler une menace dans le regard glacé d’un adolescent trop silencieux. Les choses se passaient exactement comme Isabelle les avait annoncées et quelques jours plus tard, le 17 mars, elle assista dans la chapelle du château de Ligny au mariage de son frère avec Madeleine-Charlotte de Clermont-Luxembourg, elle eut peine à retenir des larmes de joie ! François était sauvé ! Il avait à présent un avenir autre que tourner en rond interminablement dans les salles moroses d’un château silencieux.

Les accordailles s’étaient déroulées au mieux. Blonde, douce et plutôt timide, la fiancée de vingt-trois ans avait souri de façon spontanée à ce promis un brin de guingois qui, après l’avoir scrutée attentivement d’un œil critique, lui avait finalement rendu son sourire mais sur le mode moqueur :

— Par ma foi, si vous voulez bien vous accommoder de moi, madame la duchesse, je crois que nous devrions former un couple digne de continuer nos ancêtres respectifs ! Je ne suis pas beau, j’ai mauvais caractère, mais je fais en sorte de ne pas décevoir ceux qui me font l’honneur de m’accorder confiance et m’attacherai de toutes mes forces à défendre le nom que vous me confiez… et les enfants que vous aurez peut-être la bonté de m’offrir !

Isabelle retint un soupir de soulagement. Les deux familles étant réunies, elle avait béni le Ciel que Madeleine-Charlotte soit nettement plus agréable à regarder que son aînée et que celle-ci n’eût pas manifesté l’intention de renoncer aux biens offerts par Condé pour épouser elle-même. Celle-là était bâtie comme un lansquenet et Isabelle ne voyait pas son François s’attaquant à ce genre de forteresse sous les courtines du lit conjugal.

Mme de Bouteville et sa fille Valençay avaient embrassé de bon cœur celle qui devenait leur belle-fille et belle-sœur en souhaitant tout le bonheur du monde au nouveau couple avant qu’Isabelle et Condé ne referment sur lui les rideaux de la couche nuptiale.

Le lendemain la noce était d’excellente humeur à commencer par le marié, franchement rayonnant, quand un messager de la Cour vint lui remettre, genou en terre, les lettres patentes où le Roi confirmait le transfert à François de Montmorency-Bouteville, les titres et les biens des ducs de Luxembourg et de Piney.

— Il ne te reste plus qu’à prendre place dans l’Histoire en les couvrant de gloire à la première occasion ! lui dit Condé en l’embrassant.