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— Avec l’aide de Dieu, je n’y manquerai pas ! répondit le nouveau duc avec une gravité inhabituelle.

Tandis que les félicitations pleuvaient, Condé s’approcha d’Isabelle qui se tenait à l’écart en contemplant la scène.

— Que vous voilà sérieuse, ma belle ? Vous pourriez au moins me dire si vous êtes satisfaite de moi !

— Si je ne l’étais, il faudrait que je sois difficile ! C’est un sauvetage que vous avez opéré, mon cher Prince, et j’espère que François saura vous en remercier !

— Encore votre manie de tout mettre à l’envers ! Je vous rappelle vos propres paroles : Bouteville n’a-t-il pas commencé en abandonnant patrie et aspirations de carrière pour me suivre jusque sur les pires chemins ? Pour la suite je suis tranquille, c’est un fin tacticien et les soldats l’adorent. Il deviendra au moins maréchal de France ! A présent, il faut songer à regagner Paris ! Nous avons un autre mariage qui nous attend.

En effet, la conclusion des derniers travaux de Mazarin allait illuminer Paris pour le mariage de Philippe de France, duc d’Orléans – autrement dit, Monsieur ! –, avec la princesse Henriette d’Angleterre, sa cousine, que l’on célébrerait à la fin du mois avec le faste que le Roi entendait donner à ce premier événement mondain de son règne. Le château de Ligny se vida en partie, laissant François faire plus ample connaissance avec sa nouvelle existence, sa femme, naturellement, mais aussi ses terres et ceux qui en avaient la charge, enfin l’étendue de sa nouvelle fortune, ce qui était fort agréable pour un garçon le plus souvent désargenté, surtout portant en lui le goût du faste et de la vie menée à grand train.

— Le temps de régler l’ordonnance de mes domaines à ma façon. D’apprendre aux gens d’ici qu’ils ont à présent un maître dévoué à une prospérité qui sera d’abord la sienne, de rendre leurs lustres à mes nouvelles demeures… et de mettre un enfant en route et je vous rejoins ! répondit-il à Isabelle un peu surprise par tant de hâte :

— Ne comptez-vous pas présenter la duchesse à la Cour ?

— Si fait !… Mais je ne l’y laisserai pas ! Ce n’est pas un pays pour elle… et je dois songer à reprendre ma place dans les armées du Roi !

— Pour quoi faire ? Il n’y a plus de guerres !

— Mais je compte qu’il en reviendra ! Je suis un soldat, moi ! Et j’entends rendre en gloire les bienfaits dont je suis l’objet2.

— Elle semble une bonne fille ! Vous pourriez me la confier  !

— A vous qui avez si fort le goût de l’aventure ? Vous ne vous entendriez pas longtemps ! C’est une bonne petite femme tranquille et je n’ai aucune envie de la voir changer !

Isabelle s’interrogea un instant sur la façon dont elle devait prendre cela, examina l’idée de se mettre en colère, n’en fit rien mais, soudain traversée par une illumination :

— Me trompé-je ou auriez-vous dans l’idée de modeler votre existence sur celle de notre cher Condé ?

— A quoi pensez-vous ?

— Oh, c’est simple ! La quiétude ineffable de la campagne pour la duchesse et la vie de Cour la plus débridée pour vous ? Depuis combien de temps n’avons-nous rencontré la princesse de Condé ? Depuis l’espèce de campagne guerrière qu’elle a menée pendant la Fronde pour aider son époux dans ses entreprises hasardeuses, et c’est tout juste s’il lui permet de séjourner à Chantilly. Il fait élever près de lui son fils qui est en âge d’être confié aux hommes, ce qui est normal, et, pendant ce temps elle multiplie les fausses couches quand elle n’enterre pas un enfant qui n’a pas suffisamment de souffle pour grandir ! Résultat : le jeune Enghien est toujours fils unique puisque la petite Mlle de Bourbon est morte peu après le mariage du Roi ! Quelle existence, mon Dieu ! Est-ce celle que vous préparez à votre épouse ?

— A cette raison près que je veux des enfants normalement constitués et aussi nombreux que faire se peut ! Elevés dans l’air vivifiant de la campagne !

— … A condition que ladite campagne ne soit pas perpétuellement ravagée par le passage continuel d’une armée ou d’une autre !

Sans qu’Isabelle s’en rendît compte le ton était monté et la patience n’était pas la vertu première de François. Il répliqua sèchement :

— Je lui préfère cette vie-là à la vôtre… celle d’une poupée de Cour dans laquelle on s’étourdit quand on n’a pas d’enfants ! Et qui passe de mains en mains.

Elle crut d’abord avoir mal entendu, faillit lui demander de répéter puis accusa le coup :

— Je ne vous savais pas cruel, François ! Et que vous en usiez ainsi envers moi, je n’aurais jamais pu l’imaginer !

Puis, virant sur ses talons, elle rentra dans le château faire ses adieux à sa belle-sœur avant de rejoindre sa voiture prête au départ. Comme elle l’atteignait, elle rencontra Condé venu la saluer, éclatant de satisfaction :

— Vous êtes contente de moi, j’espère ? Nous avons fait du bon travail, n’est-ce pas ?

— Vous n’imaginez pas à quel point ! Moi non plus d’ailleurs ! Je pense à présent que, jusqu’à son heure dernière, M. le duc de Luxembourg n’a d’autre ambition que de vous ressembler en toutes choses !…

— C’est un reproche ?

— Non : une constatation  !… Nous nous reverrons à Paris, Monseigneur ! Touche, Bastille ! J’ai hâte de rentrer…

Il enleva ses chevaux sans commentaire. Ce fut seulement quand on s’arrêta à Saint-Dizier pour reposer les chevaux qu’il osa faire observer à la duchesse qu’elle avait oublié Agathe de Ricous, sa femme de chambre, pensant ainsi susciter un éclat de rire. Il ne pouvait supporter ce visage ravagé par les larmes qu’elle avait jusque-là dissimulé derrière les mantelets tirés. Mais rien ne vint.

— Ce n’est pas grave ! dit-il doucement. Mme de Bouteville vous la ramènera…

Quinze jours plus tard, Mgr de Cosnac bénissait, dans la chapelle du Palais-Royal à Paris, l’union de Philippe d’Orléans et d’Henriette d’Angleterre dans l’atmosphère la plus aimable qui soit. Le marié, joli garçon un peu efféminé, avait vingt ans et demi. Il brillait de mille feux, tel un astre, sous un déluge de perles et de diamants au milieu de sa cour de jeunes et beaux gentilshommes – ses amis de cœur ! – assombris cependant par la présence de l’éblouissant duc de Buckingham, magnifique garçon qui ne prenait même pas la peine de dissimuler le chagrin que lui causait ce mariage. La petite Madame, âgée de dix-sept ans, était ravissante et jouissait visiblement de la surprise qu’elle avait créée lorsqu’elle était revenue en France, son frère, le roi Charles II, s’étant réinstallé sur le trône d’Angleterre et l’ayant reprise sous son aile.

En quelques mois l’adolescente mal dégrossie, anguleuse et sans grâce, s’était muée en une éblouissante jeune file au teint de fleurs, aux magnifiques yeux bleus sous des cheveux bruns et soyeux. Quant au sourire il était irrésistible et la première victime en fut… le Roi ! Celui-ci qui, un an plus tôt, raillait son frère d’épouser « les petits os des Saints Innocents » était visiblement sous le charme et le montrait. Résultat, les yeux de la jeune Reine Marie-Thérèse étaient gros de larmes qu’elle avait une peine infinie à retenir mais peu de personnes s’attardaient à ce détail et certainement pas l’inusable Loret qui écrivit alors, pensant peut-être arranger les choses :

Cette réciproque jeunesse

Et du prince et de la princesse,

Va rendre infiniment heureux

Ce couple royal d’amoureux

Jamais d’une amour mutuelle