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L’apparence ne fut si belle !

En fait il exécuta bravement son travail de poète de Cour mais n’arrangea rien. Il fut vite évident que Monsieur était un jaloux – et de la pire espèce : de celle que suscite l’amour de soi-même – et que tout aussi malheureusement la jeune Madame appartenait à l’espèce des coquettes invétérées. Tant que l’on fut à Paris où Monsieur organisait sa propre cour, brillante et agitée, on ne s’en aperçut guère. Ce fut quand, au printemps, on rejoignit la famille royale à Fontainebleau que se dessinèrent de bien curieux bouleversements dans sa Carte de Tendre à laquelle Isabelle se trouva mêlée sans l’avoir cherché. Cela grâce au souvenir charmé qu’avaient gardé d’elle non seulement le roi Charles II mais aussi sa mère, la reine Henriette-Marie, qui lui était reconnaissante de ne pas s’être fait épouser par un romantique prince errant, alors que c’eût été des plus facile. Sa séduction naturelle, sa gaieté et son enjouement attirèrent la nouvelle duchesse d’Orléans qui s’attacha à elle et l’admit dans le cercle étroit de son intimité avec deux autres dames : la duchesse de Valentinois, née Gramont et sœur du séduisant comte de Guiche qui était alors l’ami de cœur du Monsieur, et Mme de La Fayette qui sera plus tard sa chroniqueuse. En accord parfait – pour une fois ! – avec Monsieur qui ne voulait autour de lui que des gens jeunes, beaux, spirituels afin que sa cour à lui prenne le pas sur celle de son royal frère. Ce qu’il réussit pleinement jusque dans le choix des filles d’honneur où brillaient Athénaïs de Tonnay-Charente, future marquise de Montespan, et plus modestement une certaine Louise de La Baume Le Blanc de La Vallière.

Rejoindre la Cour à Fontainebleau apporta donc à Isabelle un vrai soulagement. Elle éprouvait le besoin de s’étourdir après avoir découvert ce que son frère si tendrement aimé pensait d’elle au juste. Et cela n’avait pas été facile.

En rentrant de Ligny, elle avait commencé par s’enfermer durant deux jours pour pleurer le trop-plein de larmes de son cœur. Le seul témoin en avait été Mme de Brienne sa vieille amie qu’elle savait capable de tout comprendre, même parfois de tout expliquer, fût-ce l’inexplicable :

— J’espère, dit celle-ci après avoir réfléchi, que vous me pardonnerez si j’augmente un instant votre douleur avant d’essayer de lui trouver un onguent. Les chirurgiens appellent cette pratique : débrider la plaie…

— Que voulez-vous dire ?

— Que la véritable vénération inspirée à notre nouveau duc par son modèle le pousse à le vouloir copier point par point jusque dans la façon de conduire son ménage à la seule différence que Condé, souhaitant casser son mariage, redoutait d’avoir des enfants. Nanti à présent d’un beau titre et d’une fortune appréciable, votre frère dont l’unique rêve est de repartir en guerre estime inutile de s’encombrer de la sienne. Il va mener avec ses amis la vie fastueuse qui lui plaît, qui est maintenant à portée de sa main et qu’il n’entend pas partager. Pendant ce temps-là Madeleine-Charlotte peuplera son immense château d’une marmaille que son époux veut nombreuse. Il doit avoir dans l’idée de lui faire un marmot chaque année et je gagerai qu’elle ne quittera pas souvent Ligny !

— Je veux bien vous croire, mais pourquoi ce changement d’attitude à mon égard ?

— Afin qu’elle n’ait pas la tentation de vous prendre pour modèle !

— Mais enfin, je croyais qu’il m’aimait ?

— Je le croyais aussi. D’ailleurs cela ne signifie pas qu’il ne vous aime plus…

— Allons donc ! L’affection et le mépris ne font pas bon ménage ! Et je jurerais que mon cher petit frère me dédaigne. Bientôt peut-être me refusera-t-il sa porte !

Un sanglot étouffa le dernier mot. Il ne restait plus à sa vieille complice qu’à la prendre dans ses bras :

— Je vous ai prévenue que mes propos vous seraient douloureux mais quand on regarde les faits en face il est rare que l’on n’en tire pas la leçon, et vous êtes toujours la maîtresse de son dieu !

— Un dieu précocement sur le retour et en train de se muer en parfait courtisan ! Or nous n’avons plus de guerre pour lui rendre son lustre ! Combien de temps fascinera-t-il encore M. le duc de Luxembourg ?

— Vous pourriez avoir raison, poursuivit Mme de Brienne, songeuse. En ce cas, c’est à vous qu’il appartiendra de prendre le relais ! S’il est saisi par la folie des grandeurs, il faut lui damer le pion en devenant plus grande et plus puissante ! Peut-être qu’en forçant son admiration vous pourriez lui remettre la tête à l’endroit ?

— Je ne suis pas certaine d’en avoir vraiment envie ! Si François est atteint de ce mal…

— Oh, il n’y a aucun doute là-dessus.

La suite des événements allait le démontrer brillamment…

Les lettres patentes reçues par François au lendemain de ses noces devaient être enregistrées par le Parlement. Entouré de Condé et de son fils, il s’y présenta donc avec tout le cérémonial requis… mais en repartit furieux en jurant de ne plus jamais y remettre les pieds ! Promesse qu’il tint scrupuleusement. Que s’était-il donc passé ?

Simplement ceci : en s’apercevant qu’on lui attribuait le dix-huitième rang dans l’assemblée des ducs et pairs de France, François fit entendre une explosive indignation. Le dix-huitième rang alors qu’il devrait occuper le second ? Seul le duc d’Uzès, premier pair de France, devait le précéder et, comme le président s’étonnait de ce qui lui semblait une étrange prétention étant donné qu’il venait d’être intronisé, il riposta que les lettres du Roi en sa faveur n’avaient pas créé une « érection » (sic) nouvelle mais le substituaient aux lieux et places de ses prédécesseurs dont la pairie datait de 1581. Seule celle d’Uzès lui était donc antérieure.

Toutefois maîtrisant rapidement sa colère, le nouveau duc se contenta de réserver ses droits par une protestation tacite. Et ce fut le début de l’interminable procès de préséance qu’il soutiendrait sa vie durant contre les autres ducs et pairs. Procès discret dans les débuts mais qui se révèlerait singulièrement assourdissant quand l’éclat de ses victoires lui permettrait de réclamer haut et fort !

Quand elle l’apprit, l’événement fit sourire Isabelle mais c’était là affaires d’hommes qui ne la concernaient pas…

Incontestablement, l’entrée de Madame Henriette à Fontainebleau insufflait au vieux château de François Ier une vie nouvelle consacrée entièrement à la jeunesse et aux plaisirs. Non seulement le charme et la gaieté de la princesse secouèrent les dernières poussières des séjours précédents mais changèrent complètement les us et coutumes de la Cour. Il fut vite évident pour les regards observateurs d’Isabelle qu’au lieu de deux souveraines Fontainebleau en possédait trois dont la plus importante n’était certes pas celle qui portait la couronne.

Dès l’arrivée de Madame, la pauvre petite Marie-Thérèse se retrouva à l’écart sans autre refuge que les jupons de sa belle-mère. La véritable Reine dans ce joli printemps c’était Madame. Le Roi lui consacrait le temps qu’il ne donnait pas aux affaires de l’Etat et les quelques heures nocturnes – mais de plus en plus tardives ! – qu’il passait dans le lit de sa femme… Henriette était le centre – ô combien charmant ! – des fêtes, des promenades en forêt, des chasses, des baignades dans la Seine, des concerts et des comédies en plein air, le couple royal ce n’était plus Louis et Marie-Thérèse mais bien Louis et Henriette. Ils étaient le pôle d’attraction d’une jeunesse turbulente, débauchée, cruelle, libertine et volontiers rabelaisienne mais superbe et pleine de feu, et la Cour de France qui comptait alors moins de deux cents personnes ne semblait exister que par elle et pour elle… Les échos des violons et les fusées des feux d’artifice enchantaient les nuits du vieux palais où l’on ne dormait plus guère.