— Je pense… que c’est chose puissante qu’un amour véritable ! Cela vaut aussi pour le comte de Guiche. Il était follement amoureux de Madame !
Celle-ci s’approcha d’un vase plein de roses pour en respirer le parfum suave :
— Parce qu’il lui arrivait de s’enfuir d’auprès de moi en criant qu’il était en trop grand péril ? Nous nous en amusions !
— Mais son regard à lui ne riait pas et surtout ne mentait pas ! Comme celui de La Vallière quand le Roi lui parle…
— Bête que vous êtes ! Vous me voyez des amoureux partout ! Rentrons à présent ! Le Roi a ordonné une promenade en forêt ! J’en profiterai pour lui parler. Peut-être devrions-nous changer de chandelier !
Or, cette promenade – en voiture ! – allait apporter un singulier éclairage aux mises en garde d’Isabelle. On put voir le cheval du Roi trotter près de la voiture où La Vallière avait pris place avec d’autres filles d’honneur. Puis quand on descendit pour s’égailler sous les beaux arbres, Louis fit en sorte d’isoler la jeune fille de ses compagnes. Et soudain, un orage se déchaîna alors que l’on était assez loin des voitures vers lesquelles on revint en courant… à l’exception de ce couple-là, plus éloigné sans doute et, quand le tonnerre cessa, la Cour put voir son souverain revenir trempé comme une soupe tenant La Vallière d’une main – elle, quasiment sèche ! – et de l’autre son chapeau dégoulinant d’eau : tant que la pluie avait fait rage, Louis avait adossé la jeune fille contre un arbre en tenant ledit chapeau au-dessus de sa tête blonde tandis qu’il la protégeait de son corps… En la reconduisant auprès de ses compagnes, il lui baisa la main, salua profondément et reprit sa monture qu’un page lui présentait…
Personne ne commenta mais, le soir même, Madame retirait La Vallière de l’appartement des filles d’honneur pour l’installer dans un cabinet proche de sa propre chambre. La Reine, elle, pleura une partie de la nuit. Quant à sa belle-mère, elle passa un long moment dans son oratoire à réfléchir sur ce qu’elle venait de voir en constatant amèrement que cette jeunesse se révélait de plus en plus difficile à comprendre. Seul Monsieur dormit comme une bûche : son épouse étant d’humeur sombre, il en tirait les plus heureuses conclusions pour sa tranquillité personnelle. Qui n’allait pas durer longtemps…
Le fameux ballet des Saisons fut dansé le 23 juillet et recueillit un vif succès. Mérité d’ailleurs : le Roi, printemps éblouissant, et Madame, Diane plus que divine, dansèrent un pas de deux qui porta à son comble l’enthousiasme de la Cour… et au désespoir le malheureux Guiche revenu sans permission jouer son rôle dans le ballet. Ils représentèrent si parfaitement un couple d’amants que l’amoureux de Madame s’en trouva désemparé et perdit son aisance. Il dansa mal, fit une chute fatale aux pampres dont s’ornait sa tunique, ce qui fit beaucoup rire… à commencer par Madame et, parvenu au fond de la désolation, s’oublia jusqu’à reprocher à la princesse qui n’ignorait pas à quel point il l’aimait de se moquer de lui alors qu’il avait tant espéré voir « couronner sa flamme ».
Le ballet achevé, Monsieur s’en mêla, ulcéré d’avoir vu et entendu son ami de cœur « revenu pour le narguer sans même songer à demander son pardon » et qui, évidemment, se rua chez son frère pour obtenir de lui un ordre d’exil ! Il était même allé un peu plus loin en réclamant du sang pour y laver son honneur ! Pour avoir la paix le Roi, indulgent comme le sont les amoureux comblés, se contenta d’envoyer chercher le maréchal de Gramont et lui demanda fort benoîtement d’expédier son fils à Paris y attendre le retour de la Cour.
Affliction de Guiche, de plus en plus amoureux de Madame, mécontentement de ladite Madame, plus éprise qu’elle ne voulait l’admettre et qui avait perdu la satisfaction de voir le Roi à ses pieds à longueur de journée. Il n’avait, maintenant, d’attentions qu’envers cette La Vallière insignifiante !
— Pour un chandelier, je commence à trouver qu’elle prend beaucoup de place ! déclara-t-elle à Isabelle à laquelle elle se confiait davantage sachant qu’elle n’avait peur de rien ni de personne et que l’amitié qu’elle lui portait était sincère.
En outre, la duchesse s’entendait comme personne à dissiper les humeurs noires. Enfin tout le monde savait, à la Cour, quelle fidélité elle avait gardée au prince de Condé à travers vents et marées au risque de se perdre pendant les invraisemblables troubles de la Fronde. Fidélité qui avait attaché définitivement à elle le Prince repenti. Où trouver amie plus sûre ?
De son côté Isabelle comprenait Madame. Elle connaissait ses foucades, ses emportements, sa gaieté naturelle et son amour de la vie tellement semblables à ce qu’elle était elle-même à son âge. Elle s’efforçait de la conseiller au mieux. Cette fois, cependant, le cas La Vallière ne laissait pas de l’inquiéter et elle craignait d’avoir eu un peu trop raison en faisant remarquer l’autre jour qu’un amour sincère pouvait se montrer singulièrement indestructible !
Cependant, elle s’efforça de considérer la situation à la légère afin de se donner un peu de temps pour observer plus attentivement les acteurs de ce théâtre de Cour qui s’agitaient dans tous les sens et tenter d’en extraire une vérité. Qui aimait qui, au juste, et qui faisait semblant ?
— Nous ne devrions pas tarder à le savoir ! se contenta-t-elle de répondre in fine…
Vint le 17 août, jour choisi par le Roi pour se rendre à la partie de campagne que lui offrait ainsi qu’à sa Cour le surintendant Fouquet – invitation quelque peu forcée d’ailleurs afin de leur présenter son nouveau domaine de Vaux-le-Vicomte dont ceux qui l’avaient déjà approché disaient merveilles.
Or, quand chevaux et voitures se rassemblèrent dans la cour d’honneur de Fontainebleau, Isabelle put constater que seule la Reine mère accompagnait le Roi. L’absence de la Reine s’expliquait par une grossesse déjà avancée. Quant à celle de Madame, si avide de plaisirs nouveaux, on ne se l’expliquait pas. Sauf Isabelle à qui la veille la princesse avait confié sa décision de rester au logis dans le but d’obliger ses filles d’honneur à y rester aussi.
— Il y aura suffisamment de lumières pour que celle du chandelier soit indispensable. Mais je vous engage instamment à n’y pas manquer comme d’ailleurs Mme de La Fayette. Vous serez mes yeux et mes oreilles !
La première observation porta sur le Roi. Il n’avait pas l’air de bonne humeur, ce qui était étrange étant donné qu’il se rendait à une fête ! Tandis que le cortège, encadré de mousquetaires et de gardes françaises, s’organisait, Isabelle fit signe au comte de Saint-Aignan, le confident de Sa Majesté – qui n’en était pas peu fier ! – avec qui elle bavardait volontiers :
— Le Roi fait une mine épouvantable, chuchota-t-elle derrière son éventail. S’il n’a pas envie de répondre à l’invitation de M. Fouquet, il n’a qu’à le dire ! D’autant qu’il fait vraiment très chaud !
— Il risque de faire encore plus chaud à Vaux. La Vallière est venue hier se plaindre au Roi des prévenances de M. Fouquet. Comme elle n’a pas les moyens de s’offrir de belles toilettes, celui-ci a voulu lui donner de l’argent « pour que sa parure soit digne d’une auguste attention… ».
— Il est pourtant intelligent d’habitude ? commenta-t-elle, effarée.
— Il ne la connaît pas. Il l’a crue calquée sur le même modèle que les autres filles de son âge, folles de toilettes et d’ajustements !
— C’est incroyable !
— Plus étonnant encore : elle aime le Roi et le préférerait de loin hobereau sans importance !